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lundi 29 octobre 2012

Platon, Le banquet / analyse complète



Platon ,    Le Banquet.



Qu’est-ce qu’un banquet ? C’est une cérémonie avec des règles, une sorte de rite, de concours intime entre gens de l’élite, un jeu de société. Chacun apporte son écot sous la forme d’un discours qui est une petite contribution individuelle.
Le texte débute par les conditions de la parole, c’est en devisant le long du chemin que la mémoire va circuler, passer de l’un à l’autre, un peu comme le contenant plein vient remplir un contenant vide. L’établissement du savoir ou de la            mémoire ne suit pas celui de la sagesse (comme le note Socrate en se moquant d’Agathon).
Le statut de la mémoire chez les grecs est très différent du notre, la narration est orale et toute l’histoire de la Grèce, de génération en génération passe par cette tradition  des aèdes, des conteurs, des poètes. Ainsi la mémoire ne doit pas faire défaut, elle doit faire passer le fil, permettre que chacun s’accapare l’histoire collective et en garde trace. Nous sommes ici dans une société de la parole et non de l’écrit. Demander que l’on raconte un banquet ne doit pas surprendre, ni non plus le fait que Apollodore puisse aussi bien avoir retenu chaque phrase ou mot.

Position historique
Le Banquet est avec le Phèdre les deux œuvres de Platon où il est question de l'amour.
Comme tous les écrits de Platon, les paroles des personnages ne sont pas directement retranscrites. Platon ne les rapporte pas non plus en tant que narrateur, et préfère se servir d'un intermédiaire, Apollodore. Il raconte en effet comment Apollodore vient à refaire le récit très précis de cette soirée, en rapportant toutes les paroles importantes qui y furent échangées.
Platon écrit vers 385, mais il situe le récit d'Apollodore 20 ans auparavant, vers 405, tandis que onze années ont passé depuis la fameuse réception de 416. Apollodore lui-même n'était pas chez l'hôte Agathon. Il tient son récit de Socrate mais surtout du disciple Aristodème qui l'accompagnait.
La multiplication de témoins intermédiaires a pour but de signaler au lecteur que le texte qu’il lira n’est pas la retranscription exacte de la soirée mais de l’essentiel de ce qui a été dit. En même temps il s’agit de montrer la généalogie de la mémoire, sa construction et sa validité possible. Les propos sont rapportés mais aussi validés par plusieurs voix, y compris par celle de Socrate qui aurait reconnu  cette version pour vrai. On peut cependant ajouter qu’il y a création d’une situation de quasi authenticité ou d’illusion d’authenticité. C’est un procédé pour créer au départ l’idée d’une certaine profondeur, il y a des pointages de personnages, de lieux, des retours en arrière : il s’agit de produire un certain retentissement.

Circonstances et protagonistes
Quelles circonstances donnent lieu à toutes ces paroles sur l'amour ? Le jury d’un festival a couronné la première tragédie du jeune Agathon. Pour célébrer sa victoire, Agathon organise une grande fête le soir même, qui se termine en beuverie. Le lendemain, il donne à nouveau une réception, mais plus calme, en invitant des personnalités importantes à fêter son succès. Mais on doit aussi se rendre compte par là de l’importance de ce groupe d’élite qui composent ce soir-là les co-buveurs. A l'initiative de Phèdre, relayé par Eryximaque, chacun est invité à faire à son tour un éloge de l'amour, ce qui selon lui n'aurait jamais été fait. Le Banquet est donc l'histoire de cette longue nuit, où on entend se succéder ces éloges, ainsi que les discussions et les multiples incidents qui interrompent le protocole. L’un d’entre eux est marquant et devra faire l’objet d’une analyse distincte : un groupe de buveurs fait irruption et l’un d’eux (Alcibiade) usurpe la présidence et tient des propos qui sont, peut-être, scandaleux.


 Les personnages
Apollodore fait le récit, mais les personnages principaux du dialogue sont :
Agathon, jeune poète couronné, disciple de Gorgias, et organisateur de la réception
Aristophane, auteur comique à succès
Pausanias, amant d’Agathon
Eryximaque, médecin
Socrate, qui invoquera Diotime qui l'a initié à la pensée de l'amour ; Socrate est accompagné de son disciple Aristodème
Phèdre, jeune Athénien brillant
Alcibiade, exubérant, encore amoureux de Socrate, qui arrive sur le tard, et ivre
De nombreuses autres personnes sont présentes, mais elles n'ont pas de rôle majeur au cours de la réception.
Plus de dix ans après que cette réception eut lieu, Apollodore relate en détail ce qui s’est passé et dit lors de cette réunion, tel qu’il l’a appris d’Aristodème qui était présent puisqu’il accompagnait Socrate.

Chronologie du texte :
Socrate rencontre Aristodème et l’invite à l’accompagner
Socrate s’isole, Aristodème arrive seul
Début du repas
L’arrivée tardive de Socrate, Agathon le place à sa droite
A la fin du repas, rejet de l’ivresse pour une discussion réglée par Eryximaque : chacun à son tour fera l’éloge de l’amour, selon l’envie de Phèdre
Le jeune Phèdre inaugure le premier éloge de l’amour (I)
Plusieurs éloges non rapportés par Aristodème
L’éloge de l’amour vertueux par Pausanias (II)
Le hoquet d’Aristophane
Eryximaque prend la parole à sa place, et fait un éloge excessif (III)
L’histoire des moitiés coupées par Aristophane (IV)
Socrate engage avec Agathon une discussion
Phèdre rappelle la règle imposée, de parler tour à tour
L’éloge de l’amour par Agathon (V)
Socrate questionne Agathon sur son discours
Socrate rapporte l’enseignement de Diotime (VI)
Arrivée impromptue d’Alcibiade ivre
Alcibiade se place entre Agathon et Socrate, couronne l’un puis l’autre
Eloge de Socrate par Alcibiade (VII)
Socrate convainc Agathon de se remettre à côté de lui pour qu’il fasse son éloge à son tour
Arrivée impromptue d’une bande de buveurs qui met le désordre
Tous sont obligés de boire, finissent par partir ou s’endormir
Au réveil d’Aristodème, le soleil est déjà levé, seuls Socrate, Aristophane et Agathon sont encore éveillés
Socrate termine une discussion sur l’identité de la comédie et la tragédie avec Aristophane et Agathon qui finissent par s’endormir
Socrate et Aristodème repartent
Socrate reprend ses occupations ordinaires





Les changements successifs de places autour d'Agathon :
AGATHON - ARISTOPHANE
AGATHON - SOCRATE - ARISTOPHANE
AGATHON - ALCIBIADE - SOCRATE - ARISTOPHANE
ALCIBIADE - SOCRATE - AGATHON - ARISTOPHANE
Au début, c’est le poète reconnu Aristophane qui a la place d’honneur, à droite d'Agathon. Aristodème le disciple de Socrate arrive avant lui, Agathon l’installe à une modeste place. Puis Socrate finit par arriver au milieu du repas et Agathon l’invite à s’asseoir juste à côté de lui. Il prend donc la place d’Aristophane. Puis arrive Alcibiade en plein milieu des discussions, il ira s’asseoir entre Agathon et Socrate, séparant les deux, et volant ainsi la place d’honneur à Socrate. Puis Agathon, invité par Socrate, revient à sa droite. Il vole la place d’honneur à Alcibiade, mais il a fallu pour cela que Socrate devienne l’hôte à la place d’Agathon. Au matin, les seuls à ne pas encore dormir sont l’hôte Agathon et ses deux invités d’honneur, Aristophane et Socrate. Mais Socrate finit par endormir ses deux interlocuteurs, Aristophane, puis Agathon. Là encore, il vole le rôle d’hôte à Agathon, puis repart en compagnie d’Aristodème qui s’est réveillé.
On remarquera aussi qu'Aristophane échange son tour avec Eryximaque, car il est pris d'un hoquet.

Conditions philosophiques
Apollodore raconte :
Aristodème rencontre Socrate qui le convie à un banquet, arrivée Socrate disparaît, il est dans le vestibule d’une maison voisine et réfléchit. Il peut oublier en cet état toutes les choses du monde, il est comme aspiré par son « démon ». Socrate est un personnage qui tout en étant au monde se soustrait à sa « matérialité ». On apprend ainsi que, de même qu’il peut « entrer en lui-même » pour résoudre un problème qui soudain se pose à lui, Socrate n’est non plus pas sensible à l’alcool. Il peut boire tout son saoul sans jamais l’être.
P35 – 175c-176c
Les convives décident tous de boire raisonnablement, ils vont se livrer à une louange : celle d’Eros, du dieu de l’Amour.        
Eryximaque :   «(…) passons le temps aujourd’hui à discuter ensemble ».
« (…) il siérait en cette occasion à toute la compagnie présente de faire l’éloge du dieu. »
177c-178b
1°)       Phèdre
Il évoque l’autorité d’Hésiode pour placer Eros comme celui qui avec Gaïa arriva dès le commencement des choses. Eros est l’un des plus anciens Dieu. Cf. cours
L’amour serait ce qui permet d’obtenir la justice et la paix, elle est plus forte que la parenté ou les richesses. L’amour des amants est celui qui permet l’honnêteté la plus forte, on ne peut souffrir devant l’être aimé l’injure ou l’injustice. C’est pour lui que nous serions capable de la plus grande force et abnégation car son regard porte avec sa considération l’essentiel de l’existence de l’amant. Que ne ferait une armée seulement constituée d’amants ? Elle serait capable de tous les exploits, de toutes les grandeurs. C’est un peu ce que Platon développe dans La République , faire que chaque enfant soit élevé avec ses compagnons d’âge, faire que chacun tienne aux autres comme à ses frères, un monde d’amour qui produit aussi une armée invincible. Chacun ne tentant plus de se défendre mais d’abord de protéger son voisin, son frère. La puissance de l’amour rend donc invincible, pas forcément l’individu mais certainement le groupe. En se battant pour celui qu’il aime l’amant devient invincible car il est rendu étranger à la peur. De plus l’amour protège du vice : celui qui faute rougit devant son amant plus que devant quiconque. Ainsi Phèdre peut-il poser que ces hommes même en nombre restreint pourraient conquérir le monde : ils sont impénétrables aux vices, à la lâcheté, courageux jusque devant la mort. Ici on retrouve l’idée que l’amour est un tel lien que tout se brise contre lui, sa puissance est destructrice de monde. La référence est celle des légions thébaine. Mais ceci n’est vrai que si ce couple ami-amant est la plus haute autorité morale et la référence vertueuse devant laquelle nul ne voudrait se trouver déshonorer.  L’amour prend la forme ultime du dernier sacrifice, de la mort. Et non pas mort pour l’aimé mais pour la Cité, sacrifice paravent qui place l’amant au premier plan pour mieux pouvoir défendre la communauté. On peut aussi penser à Sparte. Son efficacité militaire tient à une éducation où une classe d’âge ne peut compter que sur elle pour que les enfants restent en vie par la rapine et la ruse. Le bouclier rond en est le symbole, il protège la moitié du corps du guerrier et la moitié du corps de son voisin, comme son propre corps est protégé pour son autre moitié par son voisin. L’addition de tous ces boucliers forme une muraille infranchissable. Celle-ci est faite du ciment des hommes qui ont appris à s’aimer.
Le texte vise aussi à la démonstration que l’amour par choix vaut mieux que l’amitié (qui est une affinité élective) et que la famille. L’exemple de la fille de Pélias permet de montrer le sacrifice pour l’aimé, cet amour est tel « qu’il fait paraître aux propres yeux de Pélias ses parents étrangers » tant ils sont loin de pouvoir approcher du feu de sa femme.
A nouveau la mythologie est convoquée :
Dans la mythologie grecque, Alceste (en grec ancien λκηστις / Álkêstis) est la fille de Pélias, roi d'Iolcos en Thessalie, qui envoie Jason conquérir la Toison d'or, et la sœur d'Acaste. Son histoire est racontée par le pseudo-Apollodore dans sa Bibliothèque
L’histoire d’Alceste d’abord - Médée découpa un bélier en morceaux et le plongea dans de l'eau bouillante, il en ressortit un agneau. Convaincues par la démonstration de Médée, les sœurs d'Alceste décidèrent dès lors d'en faire autant avec leur père Pélias afin de le rajeunir. Alceste refusa de prendre part à l'expérience. Pélias ne ressortit jamais du chaudron.
 Alceste fut donnée en mariage à Admète, roi de Phères, grâce à l'aide d'Apollon, alors condamné par Zeus à être son serviteur. Mais Admète oublia de faire un sacrifice à Artémis à l'occasion de son mariage, et les deux jeunes mariés trouvèrent la chambre nuptiale remplie de serpents. Apollon dut de nouveau intervenir, pour calmer sa sœur. À l'instant de la mort d'Admète, le dieu invoqua les Moires pour le laisser vivre. Celles-ci acceptèrent à condition qu'une autre personne prît sa place. Le père et la mère d'Admète refusèrent, mais par amour, Alceste conclut le marché et s'empoisonna. Héraclès la ramènera des Enfers (selon d'autres traditions, Perséphone décide de renvoyer Alceste chez les vivants).    
La convocation d’Alceste est aussi celle de la tragédie dans le texte de Platon, celle de l’entre-deux-morts. Moment ou les vivants sont morts. Lorsque la mort rappelle le Roi Admète, Alceste est la seule à vouloir prendre sa place. Tous recule devant la mort, elle seule s’avance. Alceste est ici donnée en exemple, c’est donc une femme qui prend le devant de la scène


En contrepoint l’histoire d’Orphée est celle de celui qui descend aux enfers pour en ramener sa femme, pour cela il charme Cerbère le chien à quatre têtes avec le son de sa cythare, comme il charme encore Hadès, le dieu des enfers, ainsi il est autorisé à quitter les régions souterraines avec sa femme à la condition qu’il ne se retourne pas. Mais Orphée se retourne, il n’a que le temps d’apercevoir le visage de celle qu’il aime qui bientôt disparaît dans un jet de lumière. C’est seul qu’il ressort des enfers. Les Atrides ne pardonnent pas l’échec, elles ont le pouvoir de déchiqueter avec les mains un corps, c’est le sort d’Orphée, sa tête est arrachée de son corps. Ainsi périssent ceux qui ne garde pas assez confiance dans la parole des dieux et la trahisse.
L’histoire d’Orphée est le contrepoint exact de celle de Dionysos, celui est écartelé par les Titans réduit en  morceaux et dévoré, à partir d’un fragment de son cœur,  Zeus recompose Dionysos. L’un est déchiqueté par la volonté des dieux, l’autre renaît de l’éparpillement par cette même volonté.
Cette histoire d’Orphée vaut aussi pour ce que Phèdre en dit : il traite Orphée de simple joueur de cithare, Orphée serait celui qui est en présence d’un fantôme de femme, d’une image de femme et non de l’être de l’aimé. Voila la nature du reproche, Alceste prend la place de son aimé, Achille lui est celui qui suit son amant (il suivra Patrocle dans la mort), pour sa part Orphée n’est que dans le fantasme de l’amour et non l’amour réel. Il est dans l’image de l’amour, au miroir de l’amour. Dans le reflet des choses et non dans les choses mêmes.

Vient l’histoire d’Achille, il représente la prompte mort, la mort rouge – il est celui qui pouvant choisir la longue vie se décide pour la mort au combat – mort qui intervient dans la force de l’âge, avant la décrépitude et la vieillesse – laissant ainsi un souvenir impérissable et toujours jeune dans l’esprit des hommes. Pour venger son amant, Patrocle,  il mettra à mort Hector, puis il voudra le défigurer, le rendre méconnaissable, flétrir sa jeunesse en le trainant mort derrière son cheval. De cela Phédon ne parle, pourtant l’histoire est d’importance car les dieux ne permettront pas cet outrage. Après avoir été trainé par le cheval le corps d’Achille apparaît encore dans sa jeunesse et sa beauté. Hector lui aussi avait le choix, il pouvait tenter la négociation, Hélène étant le gage, mais la haut sur les murailles de Troie il aperçoit son père, il ne peut plus reculer et lui aussi opte pour la gloire éternelle par un combat qu’il sait perdu d’avance. De même Achille savait qu’il mourrait peu de temps après Hector, sa vie est donc liée à celle de celui qu’il peut tuer ou épargner : le tuant il se sait donc condamné, pourtant son bras ne faiblira pas. Pourtant Achille se posera la question, pourquoi ne pas rester tranquille, écouter les conseils de sa mère Thétis, avoir une vieillesse heureuse ? Mais très vite cette idée est gommée : le choix de la Moïra, du destin, de la vie pour la mort, pour la mémoire des hommes, pour cette éternité qu’aujourd’hui nous faisons vivre par l’énoncé de ses exploits et de son nom.
Attention : cette mort n’est pas le sacrifice d’Achille pour son aimé, il en est aimé ce qui est différent. Il est celui qui est aimé et cela l’engage, crée des obligations. Il fait du destin de Patrocle son propre destin, c’est ce sacrifice qui fait que les Dieux admirent Achille – l’écart entre les dieux et les hommes s’estompe pour un instant, Achille produit un miracle. Si Alceste se sacrifie c’est d’une manière moins éclatante, moins belle qu’Achille, car elle est l’amante et en cela elle est moins brillante, Achille glisse lui d’un statut à l’autre de l’aimé à l’amant : c’est cela le phénomène de l’amour.
Eros est donc le dieu qui permet – la vertu – le courage – le bonheur – la transformation ou la métamorphose.
L’action faite par amour est ici toujours bonne et droite, elle est aussi toujours conquérante et victorieuse car celui qui livre combat en son nom est habité par la volonté inflexible des dieux.
Le discours de Phèdre se clôt  sur ce louange.


Analyse du Banquet :
Socrate affirme ne connaître quelque chose que dans les choses de l’amour. Pourtant il est frappant de remarquer qu’il ne dit presque rien en son nom propre. Socrate parle juste après Agathon, nous sommes rappelons-le au milieu du cercle éclairé des convives, partout autour c’est la nuit, une nuit comme nous n’en avons pas souvenir. La nuit est pour nous toujours prise dans un halo de lumière, celle de l’éclairage artificiel. Mais en Grèce ancienne aucune lumière, aucun néon, la nuit est totale. Ce détail est important, au début du  Phèdre Socrate est réveillé avant le lever du jour, et lorsqu’il se lève il renverse tout sur son chemin.
L’amour des garçons est en Grèce un fait de culture, dans les milieux des maîtres du savoir, milieu où s’élabore la culture, et milieu où cet amour est mis en pratique. Cet amour des garçons est aussi le centre des relations inter-humaines. Or la parole de Socrate est pourtant portée par une femme, Diotime (comme auparavant l’exemple le plus haut de l’amour était celui d’Alceste). Il faut s’interroger sur cette voix. Nous savons déjà que le véritable amour n’est pas tant celui d’Alceste que celui d’Achille, c’est le principe de l’amour masculin, du lien de l’aimé et de l’amant, du lien qui existe entre l’adolescent et l’adulte. Alors convoquer la femme est peut-être le moyen de mettre au devant de la scène le jeune homme et l’homme, en une formule la totalité du lien social grec.
Discours d’Aristophane :
Les dieux ont séparés les hommes cette séparation, cette blessure c’est l’arrogance des hommes qui l’a provoquée. Nous avons défiés les dieux et Zeus, qui garde jalousement son royaume tranche les hommes en deux. La marque qu’ils en garde c’est le nombril. La suture, le nœud, la cicatrice, ce lien qui marque en même temps la distance et la proximité. Distance car nous sommes à la fois séparés des dieux et séparés de nous-mêmes. Car c’est d’une part de nous dont nous sommes amputés.  Et c’est de retour dont nous rêvons, de cet impossible retour qui nous feraient nous fondre avec l’être aimé.
Discours d’Agathon :
L’amour est jeunesse, il se moque des rides. C’est ainsi qu’Agathon loue l’amour, le plus jeune des dieux.
Discours de Diotime :
Le beau n’a pas de rapport avec l’avoir, avec quoi que ce soit qui puisse être possédé, il est ami avec l’être, et plus proprement encore avec l’être mortel. Le propre de l’être mortel est de ne pouvoir se survivre que par la génération. Ainsi le domaine de l’humain est marqué par le rapport génération-putréfaction, putréfaction-génération. C’est à la fois un cycle et une alternance. C’est bien pour cette raison que la règle ou encore l’essence doit être ailleurs : plus haut, dans les Nuées, dans le domaine des essences éternelles et imputrescibles, dans le cosmos. Alors on peut saisir l’usage mortel de la beauté, nous introduire aux essences, permettre aux hommes de franchir la barrière qui sépare l’humain du divin. Le beau permet d’approcher les éternels, de sentir l’immortalité au cœur de la mortalité. Le beau permet l’isothèisme, de s’assimiler aux dieux autant qu’il est possible pour un mortel.
Diotime affirme d’abord qu’au cœur de l’existence humaine, sans cesse mouvante, sans cesse changeante, il y a pourtant la permanence du sujet, constance donc de la personnalité à travers les multiples altérations et du corps (car en nous tout change, les cheveux, les ongles, la peau, les os, la taille…) et de l’esprit (le caractère, les humeurs, les oublis, des fautes morales, les joies, les vertus…).Alors que tout passe, que tout change, que jamais le baigneur ne se baigne deux fois dans la même eau (car l’eau change mais aussi le sujet qui se baigne), la génération porte avec elle le même, l’identique, le semblable. La fonction du beau prend tout son sens, il sert de barrière, il permet de garder l’équilibre entre deux eaux, entre deux mondes, entre le changement et la permanence, entre la vie et la mort, à nouveau nous touchons la tragédie. Le beau est ici l’ultime rempart contre la mort, le beau est un voile jeté sur la mort, elle est alors escamotée au profit de l’éternité. Glissement de sens, changement de perspective, nous voici dans la caverne platonicienne et la création des arrières-mondes.
Mais ici on peut entendre la plainte d’Achille lorsque rencontrant Ulysse dans l’Hadès il lui dit qu’il préférerait être parmi les vivants le dernier des hommes que le premier au royaume des morts. Voici le trait frappant du discours de Diotime, la proximité qu’elle produit entre la beauté et la mort. C’est la beauté tragique qui apparaît jusque dans la mort, elle ne fait que s’en repaître. L’amour change alors de nature, ce n’est plus une action mais un discours, juste une parole que l’on tient et qui parfois nous tiens. On peut toujours suspecter le meilleur des hommes de ne l’être que pour pouvoir entendre l’aède chanter ses exploits. Même l’amour sacrifice devient suspect : crois-tu même que ceux qui se sont montrés capables des plus belles actions, comme Alceste, en tant qu’à la place d’Admète elle a accepté de mourir, ne l’a pas fait pour qu’on en parle, pour qu’à jamais le discours la fisse immortelle ? ». comment juger l’action faite, qui peut dénouer l’écheveau des intérêts ? L’action est-elle désintéressée ou prise dans le filet de l’amour de la gloire, de l’amour de soi ? Pourtant Diotime s’interrompt, elle s’arrête devant les mystères impénétrables, devant l’Epoptie. Car cette dernière connaissance nul ne peut l’avoir.
Alors vient la description des formes de la beauté, son élévation, puisque nous passons dans une gradation de l’amour d’un beau corps, à l’amour des beaux corps, amour ensuite de la belle âme, des belles sciences, puis du Beau autrement dit du Bien. Nous quittons doucement les amours humains pour rejoindre le point fixe des astres. C’est bien pourtant ce qui permet de retrouver le couple aimé-amant. Car ce que le beau laisse désormais apparaître c’est le désir. Un désir qui est une construction métonymique, la fabrication de quelque chose qui se place au-delà de tous les discours en visant une perspective sans limite. Mais le doute toujours, n’est-ce pas encore un fait du discours que de placer l’amour au-delà de tous les discours ? Peut-être que se scelle ici le destin des héros, Achille est aimé des dieux plus qu’Alceste, car Alceste est du côté de cette action sublime, de l’amour pour l’aimé, qui en fin de compte est toujours incompris car soupçonnable d’être un paravent à l’amour de la gloire. Achille suit un autre chemin, Patrocle n’est pas l’aimé mais celui qui l’aime : ici pas de faux-semblants, c’est le rapport dialectique aimé-amant qui produit l’obligation, qui commande le sacrifice, être aimé crée des devoirs auxquels il faut tenir. Il y a ici transformation du sujet qui parce qu’il est aimé devient aimable. Le but n’est plus qu’interne, ne pas défaillir face à soi, être à la hauteur de la mort. Le héros est celui qui s’avance vers le destin de tout homme, mais sans le fuir. L’amour est le moyen pour mener à bien cette dernière confrontation, la belle action est le dernier fil qui recouvre l’horreur de la mort.



Diotime l’avait dit : l’amour n’appartient pas à la nature des dieux mais à celle des démons. A ces êtres intermédiaires, intercesseurs, entre les hommes et les dieux. L’amour est un passage, le héros un passeur, car nous conservons sa mémoire et par lui le souvenir d’une action dernière qui mettrait presque en échec la mort. Intermédiaire encore le savoir et la doxa, l’origine de l’Amour est dans ce mélange : c’est pendant le sommeil de Poros qu’il est conçu. Poros est fils de Métis l’Invention, il est tout puissant et tout sachant, mais le sommeil porte avec lui l’oubli, au moment où il ne sait plus rien se produit la rencontre qui engendre l’Amour. Celle qui s’introduit en lui c’est Aporia, celle qui par son désir produit l’infraction. Aporia est la pauvreté absolue, elle n’est pas conviée au banquet des dieux qui se tient au jour de la naissance d’Aphrodite. Celle qui incarne le désir féminin est aussi sans droit. Et la parole d’Agathon qui lance à Socrate « je ne savais pas » vient de cet avant. Aporia est sans connaissance ni reconnaissance, elle engendre avec celui qui sait tout, l’Amour est à la fois sachant et ignorant. Cet avant l’Amour est le moment ou l’indigence s’invite au lit de la richesse. Avant l4amour, et pourquoi pas avant le monde, dans ce geste inaugural qui est celui d’une main tenant une serpe et tranchant le sexe d’Ouranos pour libérer Gaïa, puis tous   avec elle. Mais le sang, mais le crime ? L’Amour se pare à la fois des plus beaux habits et de loques, il habille ainsi et le crime et le dévouement.
Mais soudain tout change, tous ces discours, tous ces éloges, toutes ces pensées sont balayés. Un homme suffit, il s’agit d’Alcibiade. Un Alcibiade soûl, tout en chair, tout en muscles, habité par cette Aphrodite vulgaire qui emporte avec elle tout le cérémonial mis en place. Alcibiade, aviné, fait son entrée, comme au théâtre, grimé, décoré presque. Il ne peut en cet état que reconnaître Agathon et vient prendre place près de lui, le séparant ainsi de Socrate. Il est la preuve que l’amour n’est pas que dans les hauteurs et le raffinement d’un dialogue entre personnes dignes. L’amour n’est pas que vertu et élévation, il est de corps, il est d’odeurs, d’haleines. Alcibiade va dresser un portrait troublant de Socrate. Socrate aime les beaux garçons mais que l’un soit beau ou pas il n’en a cure, presque il le mépriserait pour cela. N’est-ce pas la place que nous découvrions comme étant celle de l’origine de l’Amour, les deux parts en un seul être. Socrate dédaigne ce que la foule acclame. Alcibiade tient le langage de la passion. Socrate alors tente d’accuser Alcibiade en posant que son amour n’est pas une mince affaire, qu’il est violent, qu’il pèse comme une menace sur lui : « prends garde donc et protège moi car de celui-ci la manie et la rage d’aimer sont ce qui me fait peur » dit-il à Agathon. Mais Alcibiade ici se révolte, c’est tout le contraire clame t’il, l’agneau est un loup. Socrate est le démon qu’il décrit sous les traits d’Alcibiade. « Tais-toi » lui lance alors Socrate. Cette parole est un aveu, il est l’autorité, il est celui qui possède entre ses dents le pouvoir de faire taire. Alcibiade jure alors sur Poseïdon qu’il dit vrai, et lorsque l’on connaît les colères de ce Dieu, ce n’est pas rien de le faire.
Lorsqu’il s’agit de faire l’éloge de Socrate, Alcibiade va comparer les discours qu’il produit à une ivresse comparable à celle d’une musique. Sa parole sans accompagnement est une musique, elle n’a pas besoin d’un instrument pour jouer. Ici on comprend la morgue contre Orphée « simple joueur de cithare », celui qui ne dépend pas de lui-même pour produire de la musique et envouter les cœurs. Socrate est à lui-même son propre instrument. Le temps vient de « se boucher les oreilles », car ces révélations sont terribles : Socrate ne donne pas d’amour, car il sait. Aimé c’est être dans l’ignorance, dans les ténèbres. Mais Socrate peut renvoyer alors Alcibiade à sa croyance, il doit voir en lui des choses qui n’existent pas. Alcibiade est lui aussi un entre-deux, entre la puissance de la révélation et le ridicule du grotesque. L’ironie du plein et du vide change de sens, Socrate se pense vide, vide de ce vide originel qui est ce à partir de quoi le savoir peut advenir. Ce désir qui vient permettre l’Amour. C’est la seule chose que Socrate sache, mais quelle chose !
La démarche de Socrate tranche avec l’excès d’Alcibiade, il est austère, Alcibiade doit d’abord se trouver, chercher son âme, se perfectionner. Si Alcibiade est l’homme du désir, Socrate est celui du savoir. La modification intervient ici, la dialectique aimé-amant, celui qui est aimé devient  aimant. Il adresse alors ses hommages à un autre, il défait ainsi les fils du discours, il vise Agathon qui se laisse aimer par Socrate et qui devient à son tour l’objet de la convoitise d’Alcibiade. Socrate détourne le discours vers l’éloge d’Agathon. Alcibiade ne peut plus que tenter de s’élever vers la beauté tout en étant condamné à méconnaître le bien réel qu’est l’amour. Nous rencontrons alors, en sortant du Banquet le démon de Socrate, il possède désormais un nom et une identité c’est Alcibiade – celui qui est aimé et qui ne peut l’être. Celui qui est tout et qui est méprisé. N’est-ce pas alors un peu de notre histoire qui est conté ici ? Un peu des tiraillements de l’amour ou le plus cher est aussi le plus pauvre parfois, aimer et faire souffrir, déchirer pour mieux recomposer, histoire des amants, histoire des cœurs, jusqu’au dernier tressaillement.  Aimer, mourir, rêver peut-être.

dimanche 28 octobre 2012

L'histoire



L’histoire.
hommage
  L’histoire est la science qui prétend étudier les actions humaines.
A cette prétention il est possible d’opposer des arguments de 3 ordres :
1°) si l’histoire travaille sur les événements passés elle est toujours présente dans l’absence de son objet. L’histoire parce qu’elle n’est pas contemporaine des faits qu’elle décrit n’est pas totalement au fait des règles, des  coutumes, des symboles… qui régissaient l’époque et le fait narré. Homère parle ainsi « d’une mer vineuse », ce qui est strictement incompréhensible pour nous. Ainsi il y a une traduction de l’historien qui intervient sur le fait lui-même afin de le rendre audible par ceux qui vont le lire.
 2°) cette réserve porte non seulement sur l’objet de l’historien mais aussi sur lui-même : il est le produit d’un temps, d’une époque, il est un résultat historique et à ce titre il ne peut s’abstraire de sa propre époque, de sa société, de l’idéologie dominante etc… Lamartine pour écrire au XIXe une histoire de la révolution française, s’enferme dans son grenier afin de ne pas souffrir des influences de son temps… et il écrit une histoire romantique de la révolution française. L’historien se projette dans le passé qu’il décrit et y injecte avec lui ses préoccupations et ses valeurs.
 3°) l’expérimentation est, d’autre part, impossible en histoire. On ne peut jamais revenir sur l’évènement pour le reproduire, ce qui a pour conséquence l’impossibilité d’établir des lois ou des mécanismes nécessaires en histoire. La contingence règne, l’historien peut raconter il ne peut expliquer.

bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris
           
Qu’est-ce qu’un fait historique ?
Un fait historique est un évènement capable d’exprimer  un moment de l’histoire des hommes digne d’intérêt car révélateur d’une période. C’est aussi ce qui est indéniable, incontestable, qui porte avec lui une charge de vérité : le fait historique peut donc être un vestige qui porte témoignage d’une période mais aussi provenir de l’entrecroisement des sources : le processus d’extermination nazi est prouvé par les films de la libération des camps filmés par les alliés, les films des nazis tournés dans les camps, par les témoignages des déportés, par les archives de la gestapo, de la Weihrmart, par l’arrestation et l’interrogatoire des bourreaux, par les preuves matérielles de la déportation comme le pistage des trains vers les camps d’exterminations à partir des horaires et des lieux de départ et d’arrivée des trains, etc.

Peut-on parler d’une vérité historique ?

La vérité en histoire est liée aux preuves, elles sont de diverses sortes :
-         Le vestige, c’est un fragment du passé qui possède en lui-même des qualités informationnelles, il est le témoin d’une époque et apporte des connaissances
-         Le témoignage, sa forme est plurielle, il peut s’agir d’une narration, d’un récit, d’un roman, de lettres, d’une parole ou d’un récit oral.
-         Les archives, elles contiennent des éléments détaillés et forment une mémoire étatique accessible aux chercheurs.
Les documents historiques sont donc l’objet d’une critique, cad d’une série de précaution pour atteindre le fait historique. Par exemple le général Marbot dans ses mémoires écrit que la nuit du 7 au 8 mai 109 il traversa le Danube en crue pour faire prisonnier des officiers autrichiens. La critique permet de réfuter ce récit. En le confrontant à d’autres témoignages : les carnets de marche autrichiens montrent que les troupes n’avaient pas les positions que Marbot leur assigne. La correspondance de Napoléon indique que la crue du Danube n’avait pas commencé le 8 mai. Le 30 juin Marbot signe une demande de promotion où il ne fait pas état de son fait d’arme. La vérité en histoire repose sur un principe de non-contradiction, ici la non-contradiction de témoignages indépendants.
Il faut procéder par recoupement entre les sources pour atteindre la corroboration d’un événement, la multiplication de ces sources est une garantie.     
La construction du fait historique :
On parle d’une « histoire régionale » par opposition à « l’histoire générale ou globale » : cette histoire générale était active au moment où l’occident pensait son histoire comme l’histoire en général. Le phénomène de colonisation vient augmenter son sens, on se souvient de Hegel voyant passer Napoléon après la bataille d’Iéna dire « j’ai vu passer l’âme du monde à cheval ». Il y a un « esprit du temps », un « esprit de l’histoire » qui permet de poser une direction certaine aux événements, un sens. Cet esprit est incarné par l’homme victorieux. Lié on trouve le « primitivisme », si certains sont nés pour vaincre d’autres le sont pour subir – la différence culturelle devient l’occasion d’un mépris pour toute forme différente de civilisation et de mode de vie. Nous sommes dans la situation de voyageurs dans un train. Deux trains lancés à la même vitesse dans la même direction permettent aux voyageurs de s’étudier d’un train à l’autre, de se faire des signes ou des grimaces. Mais deux trains lancés à la même vitesse en direction opposée se rencontrent en un éclair, pas d’étude possible, l’autre voyageur demeure un inconnu. C’est la métaphore de deux cultures proches, et de deux cultures opposées = nous ne pouvons voir que ce dont nous sommes proches. Le primitivisme recale les cultures différentes, pour lui il existerait « des peuples sans histoire », cad des peuples en retrait de toute transmission – ce qui est faux : « il n’existe pas de peuple sans histoire », mais cette histoire peut prendre d’autres formes pour se dire et se transmettre. L’image d’un train permet de comprendre le processus de création de l’Autre ou du « sauvage », les sociétés parentes circulent dans la même direction sur deux rails voisines, deux trains lancés à la même vitesse dans la même direction, les passagers peuvent se saluer et se regarder, alors même que le train circule à 200 km/h, au contraire pour une société différente les deux trains circulent sur deux voies dans un sens opposé, là le passager s’il regarde le train qui passe ne voit qu’un éclair. C’est la situation de l’incompréhension de l’Autre qui conduit à la conclusion de l’absence d’histoire, en fait il y a bien histoire mais son orientation est différente, sa direction est radicalement autre. Nous concluons de nous aux autres : il faut apprendre à voir et entendre, il faut se déplacer vers une autre culture. On peut distinguer  l’accumulation à des fins d’enrichissement. Dans la sté de consumation nous sommes dans la dilapidation de tout surplus. D’un côté la conservation de l’autre la destruction = les logiques s’opposent. L’histoire est nécessairement embarquée, l’historien est subjectif, la conscience de l’histoire est une conscience dans l’histoire. Nécessairement il construit une vision de l’histoire en accord avec les perspectives philosophiques, morales, sociologiques, symboliques qui la précèdent et se projettent en elle. Il en va de l’histoire comme de la mémoire individuelle : à partir du présent il y a empiétement sur le futur, le passé sert donc notre actualité, notre vie présente. Le passé est le fruit du présent. 


mai 68 à Paris
 
Y a-t-il un sens de l’histoire ?

Parler d’un sens de l’histoire = poser qu’il y a une direction historique. Poser une loi de l’histoire = poser des règles fixent et un rapport causal entre ces éléments. La direction suppose que l’on sache vers qu’elle point l’histoire s’achemine. Il y a donc un postulat final qui vient rétroactivement éclairer les faits présents. Cette direction est souvent idéologique, c’est-à-dire qu’elle dissimule des intentions derrière les faits « objectifs ».

Par exemple dire que l’histoire des hommes s’achemine vers le jugement dernier = engager une lecture apocalyptique des faits, il y a derrière cette analyse une conviction de foi et non une analyse des faits.

Dire que l’histoire des hommes est celle de l’acheminement vers une société sans classe sociale c’est prendre l’histoire présente comme l’une des phases de l’accomplissement de cette loi historique à ici c’est la conviction politique qui prend la forme de l’histoire, nous sommes alors dans une forme de foi révolutionnaire qui est de l’ordre du religieux.

Nous ne savons pas de quoi le temps est épais, nous pouvons au plus nous orienter dans un brouillard d’ombres fait de ce que nous connaissons du passé et ambitionnons pour l’avenir. Parler d’une loi de l’histoire c’est plaquer du mécanique sur du vivant. C’est certainement réduire l’effort de penser à un engagement personnel ou collectif à travers le prisme d’une idéologie.

C’est s’attendre à trouver demain aujourd’hui, c’est mesurer le temps qui vient avec la connaissance ancienne, le présent est un pont entre le passé et l’avenir – il faut historiquement se souvenir de l’imprévisibilité des événements. Remplaçons la notion de loi par celle de lecture attentive – l’interprétation est au cœur du parcours historique – nous ne pouvons nous engager seulement que pour une vigilance historique, car si le passé délivre des enseignements le futur n’est pas son calque.