Philosophie

Mise à disposition d'un matériel permettant de travailler les cours de philosophie.

dimanche 25 novembre 2012

Le politique / antiquité-modernité

Le politique :






Saint-Paul posait qu’il faut « dépasser la loi », cette loi dont il parle et qu’il faudrait  vaincre est celle du nomos grec, loi civile par excellence qui ne doit rien aux lois des enfers, au thesmos, aux Dieux. Ainsi la pensée chrétienne doit-elle d’abord s’écarter du génie grec afin de trouver sa voie propre. Il faut remplacer l’homme par Dieu, la justice par la crainte. Il faut fonder cette cité humaine sur le modèle de la cité céleste : la cité de Dieu est le modèle de l’organisation de la société chrétienne.

Pourtant la démocratie est encore balbutiante, trop souvent nous sommes incapables d’élever nos enfants par d’autres moyens que la crainte et le tremblement. Il y a une incapacité de l’homme de renoncer à l’usage de la violence, elle se fait sociale, elle prend la figure de la justice rendue, de la légitime violence. Où bien elle s’entête et attaque le cœur même des institutions qui sont pourtant son propre sang. Dans les arcades de la conscience nous attendons toujours ce moment de la libération des forces que nous contenons ; nous voulons l’écrasement de nos adversaires, la victoire par domination physique ou intellectuelle.       
Le jeu des forces est un je des forces, je suis moi-même dans un rapport ambiguë et incertain à la violence et la force. La sécurité peut-elle consister à l’écrasement des forces qui nous menace ? Sommes-nous en train de fonder une légitime violence contre ceux qui menacent la démocratie ? Cela peut-il se justifier ?

La naissance de la démocratie en Grèce ancienne est liée à une représentation du corps guerrier. Au gymnase se forge l’esprit de groupe en même temps que les corps se sculptent. Il s’agit de renforcer le corps de la Cité, lui insuffler force et esprit. Système qui pose à la fois une infinie liberté pour quelques hommes et terrible esclavage pour les autres. L’esclavage devenant le signe à la fois de la participation à un autre sang que celui des grecs et d’autres institutions que celle de la démocratie. Parler et écrire le grec sont les conditions nécessaires de la liberté. Torsion du vivre ensemble qui pourtant apparaît comme l’invention politique majeure qui jusqu’aujourd’hui force l’admiration des peuples. 

 La transformation du lien politique entre l'antiquité et la modernité :







 Le pb du vivre ensemble se pose toujours avec la même acuité depuis l’antiquité. Pourtant des faits marquants ont modifiés la conception du politique.
1°)          l’avènement avec le christianisme de l’individu possédant une valeur infini
2°)          la conception d’une technique conquérante et d’une science capable de transformer le donné naturel
L’univers politique moderne :
Cadre historique
L’émergence de la société occidentale se produit au moyen-âge à travers 3 phénomènes
1°)          développement du commerce et de l’artisanat qui provoquent la renaissance des villes dans le bas Moyen-âge et provoquera l’effondrement de la royauté
2°)          naissance de la science moderne et d’un commerce mondial avec la circumnavigation (découverte de nouveaux mondes au XVI et XVIIe siècles.
3°)          création de la sté industrielle avec la machine et la production de masse au début du XIXe
Cadre de cette modification :
                               Fin de l’artisanat, destruction de l’excellence dans le travail
                Le libéralisme est une pensée d’abord de la liberté, nul ne doit vivre d’autre chose que du produit de son travail.
                Dans les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) Adam Smith explique que le politique peut se fonder sur un égoïsme que jusqu’alors la morale et la religion critiquait. En voulant accroitre sa richesse l’individu concours à l’intérêt collectif
« L’acteur est poussé comme par une main invisible à remplir une fin qui n’est pas dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel il travaille plus souvent de manière plus efficace pour l’intérêt de la ste que s’il avait réellement pour but d’y travailler »  L IV ch 2
La transformation de l’intérêt individuel en dispositif moral permet de dév. d’une théorie de l’Etat minimal qui ne doit pas interférer avec le marché en même temps que le commerce permet une égalité des chances entre les acteurs économiques. La liberté est construite sur l’égalité des chances, chacun peut atteindre la richesse. Les différences de rémunérations n’étant plus que des différences d’emplois et de qualifications. La justice prend la forme de l’équivalence, désormais le travail devient une valeur sur laquelle les hommes vont devoir s’ajuster. Cette définition suppose une concurrence entre les hommes et les groupes sociaux. La société libérale est « une société querelleuse » (Raymond Aron).


L’Etat libéral se fonde sur 2 principes :
1° La limitation du pouvoir et 2° la séparation des pouvoirs.
1°)          la def de l’individu possédant une valeur infini conduit à une limitation du pouvoir pol., la liberté individuelle et le pouvoir d’entreprendre ne devant pas être limité par l’Etat. Ensuite la distinction sphère privée et sphère publique avec une valeur absolue accordée à la position du sujet.
                Le thème de l’Etat minimal est posé : l’Etat à pour tâche d’assurer la tranquillité des échanges grâce à un pouvoir commun et des lois communes. Ces lois ne sont acceptées que parce qu’elles sont celles que l’individu isolé choisirait.
2°)          la séparation des pouvoirs assure le contrôle du gouvernement. Pour fonder l’Etat sur les libertés individuelles il faut mettre en avant le thème du contrat. Ce contrat vient du droit privé et du secteur économique. Le contrat donne un objet à l’Etat et lui assigne des limites, comme tout contrat il peut être annulé si une des parties n’en remplit plus les clauses. La pensée libérale reconnaît ainsi un droit à la révolte.
C’est la constitution qui donne la formule du lien des citoyens à l’Etat, le thème de la séparation des pouvoirs apparaît d’abord par la séparation entre la couronne et le parlement.
C’est parce que le pouvoir corrompt qu’il faut trouver des mécanismes de limitation de sa puissance, « si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument » Lord Acton.
La liberté est une propriété de l’individu qui se déploie sous des formes diverses : lib d’expression, de commerce,  religieuse, d’action.

De la suzeraineté à la souveraineté :
Au moyen-âge la notion d’un pouvoir centralisé disparaît sous la pression géographique des seigneurs qui gèrent les fiefs et seuls peuvent assurer la protection du peuple. Le roi en reconnaissance des services offrent des terres qui deviennent de fait autonomes. Le roi se dessaisi de son pouvoir. L’autre pression est affective, c’est un réseau d’amitiés qui forme la puissance, les alliances sont changeantes et mouvantes, l’affectif joue un rôle central dans les décisions. Le rapport personnel prime sur le service public.
A l’époque moderne nous passons à la souveraineté c'est-à-dire au partage effectif de la responsabilité politique

samedi 24 novembre 2012

Exister est-ce se soustraire au temps ? Correction : plan détaillé



Exister est-ce se soustraire au temps ?


chute du mur de Berlin


1                    Exister c’est d’abord se soustraire au temps, comme conscience je le comprend et le dépasse

A                    Exister = être au monde, la spécificité de l’homme étant sa conscience d’être au monde, dans le monde mais comme conscience il englobe le mouvement du temps dans sa propre réflexion. S’il est la plus faible des créatures il est la seule à se connaître comme telle. L’homme se distingue du temps le comprenant et le désignant, il n’est pas comme de l’eau dans de l’eau, indistinct à son milieu mais au contraire il est le concepteur de sa propre existence et du cadre de son action.           
B                     Aussi exister c’est en reconnaissant le temps s’y soustraire, Dieu, la liberté, l’œuvre sont autant de moyens pour échapper au temps. L’éternité de l’esprit comme palliatif à l’éphémèrité du corps et à sa disparition. L’âme est le nom de cette soustraction, elle échappe au temps par une inversion fantastique : le corps est le bourbier du corps et la mort une délivrance qui inaugure un « non temps », une éternité qui est soustraction radicale à l’écoulement et à l’inéluctabilité et l’irréductibilité du mouvement temporel : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve car l’eau change et je change.
C                     Pour moi il le temps n’existe que comme pensée, le seul temps que je puisse saisir c’est l’instant, je suis toujours à la « pointe » du temps, sur sa crête : passé et futur sont soit  engloutis soit absents. Le « présent est un pont jeté entre le passé et le futur » affirme Bergson qui pose ainsi un temps de la conscience qui n’est pas celui des mathématiques, une durée, une épaisseur qui construit avec le temps une pâte spécifiquement humaine

2                    Exister ce n’est pas se soustraire mais s’additionner au temps



A                    La conscience inaugure un temps proprement humain, celui de la saisie de l’existence dans le temps, avec lui… Intégrer le temps pour construire avec lui un présent. On retrouve cette addition dans le projet, dans l’intention, dans l’ambition… dans ce qui vient informer ce qui n’est pas encore par toute la force du désir et de la volonté. Que ce soit avec mon agenda ou dans le programme de développement de l’aérospatiale,  l’homme empiète déjà sur le futur, il le voit et s’y voit.
B                     L’histoire est le nom de cette addition, cette mémoire collective toute entièrement jetée dans le temps pour construire avec lui une unité, un lieu où l’homme se reconnaît et progresse. Vision fantastique d’un miroir ou chacune de nos actions s’inscrit pour projeter nos ambitions et nos intentions dans un cadre ou chacune s’additionne afin de fabriquer l’humanité.
C                     L’espoir et la crainte sont liés au temps, empiéter sur le futur, ressasser le passé. Fabriquer de la durée c’est comprendre selon notre condition l’environnement externe. Le temps fait-il parti de nous où est-il une condition a priori de notre perception ? 
 
3                    L’existence n’est pas une opération qui surviendrait dans le temps mais l’espace du    déploiement de ma sensibilité


A                     Le temps n’est pas une opération, il n’est pas le pur produit de mon intelligence mais la condition de toutes perceptions et de mon être dans le monde. Le monde est un lieu, un espace, celui de mon propre corps d’abord qui prend une forme dans un temps et une époque.
B                     Ici on croise la question de la liberté, que le temps soit hors de nous n’empêche pas le libre arbitre, au contraire c’est la responsabilité qui est mise en avant. Je suis responsable de mon engagement au cœur du temps, dans ce présent qui est tissé par toutes les actions et aussi les volontés.
C                     La question du temps est en fait celle de l’humanité, prose à la fois entre l’inexorable et le choix de sa volonté, et cela est vrai pour l’individu tout aussi bien que le groupe. Alors que nous sommes ici et maintenant les produits d’une culture, d’une histoire, d’une symbolique, l’affirmation de la liberté demeure pourtant toujours possible. Ce surgissement qui soulève les montagnes, écarte les eaux et affirme le pouvoir de la volonté sur ce qui sans cesse peut la détruire. L’œuvre est au fond la construction propre à l’homme, faire au-delà de soi, pour ses enfants, pour la paix, vouloir en créant affirmer notre présence… se transformer déjà en souvenir pour continuer d’agir.

OU

C                   L'amour est la forme la plus grande de la présence du temps, amour qui transforme le temps en posant l'éternité au centre de l'existence, au cœur même de la chair. Le peintre nous fais voir derrière le sourire de la "jeune fille à la perle" (Vermeer) l'archétype de la relation amoureuse. Cette légère pliure à la commissure des lèvres, ce regard qu'elle porte vers son spectateur et qui en même temps le transperce. L'existence est ce moment d'expression de la sensibilité où le corps impliqué dans le monde prend la forme de mon existence.


dimanche 18 novembre 2012

Bibliographie indicative

New-York

Pour la culture générale :

Dostoïevski,   Les frères Karamazov    chap. le grand inquisiteur
Victor Hugo,  L'homme qui rit              chap.1 livre1 et chap.  livre 2
Stendhal,       Le rouge et le noir
Zola              Au bonheur des dames
Rousseau       Les rêveries du promeneur solitaire

Ces ouvrages classiques de la littérature permettent une utilisation de leur contenu dans les dissertations, cette liste n'est bien sûr pas exhaustive.

Philosophie :

Platon,  le Banquet
             le Phédon
Rousseau,     Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes
Kant     introduction à la Critique de la faculté de juger 
Bergson,        Les deux sources de la morale et de la religion
Sartre            L'Être et le néant     chap.2
Aristote         La politique

C'est une proposition de lecture, en philosophie on peut ne pas lire un ouvrage du début à la fin mais choisir des chapitres et lire d'une façon discontinue en ayant un objectif de lecture : par ex en guidant celle-ci avec un sujet de dissertation ou une question précise.

Tokyo




jeudi 15 novembre 2012

Les jeux olympiques.



La naissance des jeux. 

La Grèce ancienne est notre lointain présent, nous lui devons la démocratie et les Jeux Olympiques. Nous partagerions le même esprit mais aussi le même corps. Si performances et  dépassement de soi sont le cœur des JO modernes qu’est-ce qui le faisait battre il y a 2800 ans ?

Le domaine des Dieux : « Les réalités et les rapports économiques ne jouent pas de la même façon dans le contexte de la Polis antique et dans celui des sociétés capitalistes d’aujourd’hui »[1], l’idéal de la société grecque archaïque est une politique d’autarcie. Le projet grec ancien est d’abord politique : trouver une unité des Cités, cette fameuse trêve dans les combats intercitéiques qui assurerait la sécurité des routes pour rejoindre ces lieux sacrés. En 884 av. JC à Olympie une trêve des armes s’impose : Lycurgue, roi de Sparte et Iphitos, roi d’Elis, décident de cesser les hostilités pendant le temps des festivités qui s’appelleront « olympiques ». Il y a bien une « paix des jeux »  qui prendra vie à partir de sa validation par la pythie de Delphes. Le stade est ainsi la demeure des dieux, un sanctuaire. Les jeux se font sous les auspices des dieux et pour eux, l’exploit n’est pas celui des hommes mais il est tendu vers les dieux, il est reconnaissance et manifestation de leur puissance. Des concours permettent de révéler la valeur propre des participants, leur arété, qui n’est que le reflet de leur sang et de leur Cité. Si les aptitudes d’un athlète sont reconnues elles ne le sont que comme un signe, c’est un monde qu’il représente et qu’il exalte, celui du citoyen appartenant à une Cité, à un même sang : les « sanctuaires panhelléniques, ouvert à la communauté hellénique entière, dominent l’ensemble du système religieux grec [2] ». Ces concours sont donc d’abord expression de la vie religieuse : c’est tel un dieu que le vainqueur des jeux olympiques rentre dans sa cité monté sur un char traversant la brèche qu’on a pratiquée dans les remparts. 

 Le gymnase : Pour les grecs la participation aux activités du gymnase équivaut à rendre vivace la culture grecque, ceux « qui s’oignent d’huile » sont les représentants de la cité. La fréquentation des gymnases est la garantie d’obtenir « la poitrine robuste, le teint magnifique, les épaules larges, la langue courte, la fesse grosse, la verge petite » s’inscrivant ainsi en contre champ de ceux qui se livrant à la parole facile et aux banquets auront « le teint pâle, les épaules étroites, la poitrine resserrée, la langue longue, la fesse grêle, la verge grande.[3] ». Deux mondes se font face, deux esthétiques aussi, l’entraînement produit le corps, la langue et la verge longue sont le signe d’une parole et d’une sexualité abondante car mal réglées, l’avachissement du corps n’étant plus alors que le signe de cet abandon. Au contraire la vigueur du corps dur est signe de cet effort pour sculpter le défenseur de la Cité. L’athlète doit approcher du corps divin, il doit avoir sa force, sa vigueur, il doit être d’airain. C’est pourquoi les dieux interviennent constamment, ils sont proches, mais la frontière reste marquée c’est celle du mortel et de l’immortel, du corruptible  et de l’imputrescible, le corps des Dieux reste éternellement jeune, il n’est pas soumis aux outrages du temps. Alors les  jeux sont cette tentative pour échapper au vieillissement et à la mort, tentative non pas individuelle mais collective : elle est celle des cités. Le moyen pour parvenir à ce but est la gymnastique. Pour louer les athlètes Ioniens concourants aux fêtes d’Apollon on peut lire cette ode à Phoibos : « la boxe, la danse, le chant par quoi ils te célèbrent font  ta joie lorsqu’ils organisent leur concours. Les croiraient immortels et épargnés à jamais par la vieillesse, qui les rencontreraient alors, les Ioniens, quand ils sont rassemblés[4] ».
Politiquement ce qui est fêté ce n’est pas tant l’exploit individuel que la constitution d’un seul et même corps : corps hellénique, corps politique, corps religieux. Ces sanctuaires, que sont les jeux ouverts à tout le monde grec permettent d’expérimenter concrètement que « même sang et même langue, sanctuaires et sacrifices communs, semblables mœurs et coutumes » (Hérodote, VIII, 144) fondent l’unité du monde grec. Ainsi c’est une même voix qui s’élève pour honorer non le vainqueur mais la victoire des hellènes sur les peuples barbares. Ne peuvent participer aux jeux que les citoyens grecs, il ne s’agit donc pas d’un principe d’extension, d’une passerelle vers autrui, il s’agit de rester entre soi, de redécouvrir ce qui nous unit contre les autres. Les jeux sont en ce sens intolérants à toute « étrangeté », ils mettent en place la répétition cyclique de la même phrase, celle de  cette identité grecque qui est le tout de l’homme. Il faudra à Alexandre Ier, roi de Macédoine, produire sa généalogie avant que d’être autorisé à participer aux jeux. Être homme c’est être grec. Lorsque la polis finira, lorsque la démocratie s’effacera, les jeux ne seront plus qu’un vagabondage parmi des tombes, l’idéal grec ne pouvant ni supporter l’altérité ni la contrainte. Les jeux sont issus d’un peuple qui pour être infiniment libre pensait que d’autres pouvaient êtres infiniment esclaves, les jeux étaient la formulation corporelle de cette position politique.  Les jeux doivent s’insérer dans un système complet de sens et ne pas être une exception ou un paradigme explicatif permettant de saisir par eux seuls le système politique et religieux de la Grèce archaïque, antique puis hellénique. Or cet élément constant de l’histoire de la polis grecque c’est la guerre, les jeux peuvent donc constituer la poursuite de l’affrontement entre les cités par d’autres armes. Les jeux olympiques pourraient s’insérer dans une politique guerrière et non pas être sa suppression, « pour les Grecs de l’époque classique la guerre est naturelle. Organisés en petites cités, également jalouses de leur indépendance, également soucieuses d’affirmer leur suprématie, ils voient dans les jeux l’expression normale de la rivalité qui préside aux rapports entre Etats ; la paix, ou plutôt les trêves s’inscrivant comme des temps morts dans la trame toujours renouée des conflits[5] ».


 La guerre : Artémis, la vierge chasseresse, est chargée de l’éducation des jeunes, elle règne sur les gymnases dont elle est « souveraine »[6], il faut entraîner les jeunes à l’amour de la guerre : « c’était un spectacle réconfortant de voir Agésilas en tête, suivi de ses soldats, sortir des gymnases avec leurs couronnes qu’ils allaient consacrer à Artémis : ce lieu où les hommes honoraient les dieux, s’exerçaient à la guerre, s’entraînaient à la discipline, comment ne pas le voir tout rempli des meilleures espérances[7] ». Nous pourrions supposer alors que loin d’être un moment de suppression des conflits les jeux peuvent supposer le début d’une guerre. Vernant nous apprend ainsi que ce qui n’était au départ « qu‘un scénario d’initiation entre des groupes de jeunes gens appartenant à des cités voisines, des joutes rituelles se déroulant, à l’occasion des fêtes d’Artémis, dans des sanctuaires communs situés à la frontière des deux états (…) ces luttes rituelles ont pu déboucher dans de véritables conflits frontaliers et se prolonger en guerres ouvertes opposant les deux communautés[8] ». Il y a un lien étroit entre le développement des jeux, qu’ils soient olympiques, pythiques,  isthmiques ou néméens et celui des conflits et des guerres : les Cités grecques sont d’abord dans un rapport de rivalité et les jeux vont permettre de transposer l’hostilité en affrontements réglés d’où émergera la figure d’un homme, d’une Cité, d’une classe sociale, d’une certaine « hellénité » qui en dernier ressort sera le terreau de ce que nous nommons le panhellénisme. La fameuse paix des jeux, cette concorde provisoire d’hommes égaux dans leur hellénité : « un rite d’initiation, un rite de purification, un rite d’accession à une méritocratie olympique [9] ». On comprend mieux ainsi la place particulière occupée par la gymnastique dans la constitution juridique des cités : il est possible de faire échec à la démocratie réelle  en mettant en place ce que Glotz[10] appelle la « démocratie sophistiquée » qui n’est rien d’autre qu’une forme d’oligarchie et ce en favorisant ou en défavorisant certaines classes de la population. La gymnastique devenant alors un outil de cette politique. Aristote écrit (Politique, VI (IV) 10, 6-7.) « On permet aux pauvres de n’être point armés, on punit les riches qui ne le sont pas. Point d’amendes pour les uns, amendes pour les autres, s’ils ne fréquentent pas le gymnase, de manière que ceux-ci y aillent par crainte de l’amende et que ceux-là sans abstiennent n’ayant rien à redouter ». L’éducation des corps devient celle d’une classe d’hommes.
Les cités jouissent d’une autonomie dans la formulation des lois et dans la pratique cultuelle. Il y a donc un monde grec, un monde commun, mais en son sein les développements sont indépendants : il faut  alors rappeler cette unité à travers des fêtes, des occasions pour inscrire cette proximité. Les sanctuaires sont aussi des lieux d’échanges économiques et ils sont liés à la création de la monnaie comme ils conservent leur pouvoir et se font respecter  par des amendes sacrées. Il y aurait une  « fonction internationale » qui se mettrait en place dès le VII s. av. JC à Olympie, à cette époque « par une espèce de jeu de mot spontané, le Zeus Olympien, c’est le Zeus d’Olympie, devenu comme prototype pour le culte des cités »[11]. Mais il faut se souvenir que cette  « internationalité » est plutôt une « intercité » presque un interstice dans ce qu’est le monde et qu’ignorent les grecs. Une trêve sur quelques milliers de kilomètres pour quelques centaines de milliers d’hommes et quelques dizaines de cités qui ont décidé de s’appeler entre elles « le monde ». Il se trouve que l’histoire de la fabrication de l’Occident et de ses valeurs est effectivement intimement liée à  cet îlot ; ce n’est pas une raison pour en oublier ses limites. La démocratie œuvre de Solon et de Clisthène doit mettre en place l’isonomie, une même loi pour tous, les conflits devront désormais se régler par le jeu des institutions alors qu’auparavant était convoqué un juge extérieur capable de rétablir la paix, qu’on le nomme arbitre ou tyran. Les réformes de Clisthène engagent une transformation de l’espace civique, face aux anciennes représentations chargées de religieux se dévoile un monde où les repères sont désormais citoyens, où les hommes « abandonnés des dieux » régissent eux mêmes leurs affaires. Le stade doit s’insérer dans cet espace de résolution nouveau qu’est celui de la loi, il doit promouvoir la paix et le règlement interne des différends. « Très tôt, nous le savons, la Grèce peut-être considérée comme une unité religieuse. Mais des institutions qui fussent des organes de cette unité, elle a été longue à en avoir ; elle n’en eut même jamais que d’assez précaires et de portée plutôt restreinte »[12], les jeux organisés à Olympie seraient un maillon dans l’édification de cette synthèse des cités ? Certes mais alors le maillage est bien faible : la fameuse « paix olympique » est souvent violée : en 644, les Pisates envahirent Elis, en 580  les Eléens détruisent Pise. Durant la CIIIe olympiade les Arcadiens s’emparent du sanctuaire et organisent les Jeux. En 420 Sparte est exclue puis en 328 Athènes. 


La sexualité Lorsque Coubertin écrit « O sport, tu es la justice (…) O sport, tu es l’audace (…), O sport, tu es l’honneur (…), O sport tu es la fécondité. Tu tends par des  voies directes et nobles au perfectionnement de la race en détruisant les germes morbides et en redressant les tares qui la menacent dans sa pureté nécessaire [13] » sa volonté est d’effacement : il faut ôter ce qui peut empêcher la « pureté » ; sa thèse est fixiste : il y a des caractéristiques établies qui doivent être retrouvées, nous sommes devant une pensée du « monstre », de l’anomalie ; le sport olympique doit nous permettre de retrouver cet « homme pur », celui pleinement en acte de la pensée Aristotélicienne : il serait ici intéressant de le mesurer à ce que le monde grec indiquait comme étant ses proportions. L’idéal grec est peut-être dans l’image d’un homme entreprenant un autre homme et l’entraînant avec lui en de folles courses, en des jeux qui s’ils sont bien humains ne plairaient peut-être pas à Coubertin. Nous voyons là la modélisation d’une société guerrière et… homosexuelle : être pleinement homme c’est dépasser la condition biologique pour atteindre le politique, dépasser la femme – son ventre qu’il faut travailler comme les champs pour obtenir moisson – afin d’atteindre son égal : l’homme. Visée une relation débarrasser du spectre de la nature, une relation d’égaux qui engage la rivalité : être rival c’est accepter cette émulation positive de la course non pas pour dépasser l’homme par une mesure de sa performance mais pour s’en tenir à l’exploit, au moment qui est porteur de toutes les joies.. Xénophon écrit dans Le banquet  : « Aux grandes Panathénées, il y eut des courses de chevaux. Callias, fils d’Hipponicos, y conduisit le jeune Autolycos, qu’il aimait et qui venait de remporter le prix de pancrace ». Ce banquet étant la célébration par Callias de la victoire de son éromène. Cet amour des garçons, de ces jeunes éphèbes, est célébré par Théognis de Mégare : « Heureux l’amoureux qui fréquente au gymnase et de retour chez lui dort tout le jour avec un jeune homme[14] ». C’est cette relation entre érasme et éroméne qui est l’arrière fond de la fréquentation du gymnase et qui suppose une relation aristocratique : c’est un honneur dont le jeune homme pourra se prévaloir toute sa vie que d’avoir été séduit puis enlevé par un homme mûr et respecté. La pédérastie est un des éléments de lecture du gymnase d’abord, de l’éducation par conséquent, enfin des Jeux Olympiques. 


Conclusion :

Le lien qui unissait nos mondes était tissé de nuit. Les jeux Olympiques ne sont pas un havre de paix mais la mise en scène de la discorde des Cités, ils sont aussi l’occasion d’une joute amoureuse et érotique. La violence est le fil rouge des JO, violence du sang, violence aux corps, fureur des esprits : c’est à un vagabondage parmi des tombes que ceux de Pékin nous convient.




[1] Vernant Jean-Pierre, Mythe et société en Grèce ancienne, éd. La Découverte, p.9, 1974.
[2] Lévêque Pierre, L’aventure grecque, éd. Armand Colin, 1964.
[3] Aristophane, Les Nuées, v.1010-1018, trad. Debidour, éd. Les Belles Lettres, 1952.
[4] « Hymne homérique à Apollon » in Delorme Jacques, La Grèce archaïque et primitive, p.345, éd. Armand Colin, 1969.
[5] Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, p.31-32                   
[6] Euripide, Hyppolite, 229.
[7] Xénophon, Les Helléniques, III, 4, 18.
[8] Vernant Jean-Pierre et Vidal-Naquet  Pierre, La Grèce ancienne, t.2, p.320, éd. du Seuil, 1992.
[9] Brohm Jean-Marie, Le mythe olympique, p.284, éd. Christian Bourgeois, 1981.
[10]Glotz Gustave, La cité grecque, p.89, éd Albin Michel, 1968.
[11] Glotz Gustave, op. cit. p.145.
[12] Louis Gernet et André Boulanger, Le génie grec dans la religion, p.140-141,  éd. Albin Michel, 1970.
[13] Pierre de Coubertin, « Ode au sport » in L’Idée Olympique, Discours et Essais, p. 38-39, Verlag Karl Hofmann, Stuttgart, 1967.
[14] Cité in Mossé Claude, Dictionnaire de la civilisation grecque, p. 365, éd. Complexe, 1992.