Philosophie

Mise à disposition d'un matériel permettant de travailler les cours de philosophie.

samedi 29 mars 2014

La nature - 3/3 - cours


Le jardin ouvrier :

En plein coeur de la production industrielle on voit apparaître les jardins ouvriers, ceux-ci permettent à la fois de créer une économie d'autosubsistance et de proposer un contact avec la nature pour l'ouvrier et sa famille. L'ouvrier est l'homme des cités, des villes, des usines : le jardin permet un double contrôle 1°) l'homme du jardin est toujours à l'ouvrage, la valeur du travail ne se perd donc plus dans des loisirs qui sont sa négation, alors que l'ouvrier est coupé du fruit entier de son travail lors de son activité salarié il retrouve la dimension du faire par soi dans "son jardin" qui demeure la propriété de l'industriel 2°) l'homme des jardins n'est pas l'homme des bois, du coupe-jarret qui trouve abri dans l'obscurité des forêts, la transparence du jardin invite l'ouvrier à confirmer son identité d'ouvrier, son jardin n'est pas celui de la superficialité, de l'apparat des roses et des lys, les légumes sont du côté d'un contact brut et direct à la vie, plus primitif aussi... Le jardin se doit d'être utile, il ne doit pas devenir subversif en calquant les intérêts et la vie des bourgeois. Comme cette subversion du "délicat"est pensée du côté du bourgeois, comme son signe même, l'ouvrier redimensionne son identité par l'affirmation d'un jardin "utile".


Mais au-delà des intentions de l'industriel l'ouvrier retrouve dans au jardin quelque chose de l'ancienne relation au travail, l'artisanat, l'oeuvre, la construction par soi d'un objet de l'origine de sa fabrication jusqu'à son terme. Le jardin potager engage un lien nouveau : celui de la création, il faut réapprendre le contact avec des éléments qui ne sont plus "machiniques" mais vivants. Dans le jardin il doit "faire" avec les intempéries, les nuisibles...Il y a découverte d'une forme de liberté dans la nécessité de choisir, une entrée dans le calcul des risques et la planification. Le travail devient alors praxis, il y a fabrication de soi en même temps que fabrication d'un objet, l'ouvrier-jardinier peut enfin se reconnaître tout entier dans un geste dont il est entièrement l'auteur, qu'il a choisi.

Les champs :

Les grandes exploitations agricoles sont des usines - il ne s'agit plus de retrouver un rapport aux éléments, le paysan s'est effacé devant l'industriel qui se trouve avoir pour usine les champs et les étables et pour revenus leurs produits. Les champs sont ainsi soustraits à la nature, ils sont une industrie qui transforme l'ozone et le carbone en matières premières pour l'industrie agro-alimentaire. Il y a ici une économie qui vient se saisir des champs et qui plie les sols à des contraintes de production, à l'économie : la monoculture tire le maximum d'une terre jusqu'à son épuisement, les engrais et pesticides viennent optimiser les rendements.

Pourtant la représentation d'un bonheur dans le pré demeure en beaucoup. Pour comprendre cette affirmation il faut analyser le rapport ville- campagne.




Ville / Campagne

La ville serait le lieu de l'artifice, de la technique, des spectacles et de la superficialité des personnes et des rapports. Le lieu qui devrait permettre de définir le plus précisément l'homme est en même temps celui décrit comme froid, sans la chaleur des relations que l'on peut trouver à la campagne, sans non plus la profondeur des relations qui naît de l'entraide et de la solidarité dans le travail et face à la nature. Lieu de l'isolement et de la solitude dans la foule. La ville est le lieu où la personne disparaît dans l'anonymat de la concentration trop grande des individus. Le paradoxe étant que ce qui exprime le mieux l'homme est aussi le lieu où la personne devient anonyme.

La campagne est pour sa part endroit de la dispersion, et donc aussi de la solitude - mais d'une solitude sous le feu des regards, celui en coin des rideaux qui laissent passer l'oeil. Lieu ou l'anonymat est impossible car le vide de l'espace livre paradoxalement aux regards et aux jugements d'autrui. Endroit plus authentique var tous mes gestes y sont signifiants - ils prennent la force de l'interprétation et du jugement.La campagne est aussi le lieu de l'ennui, d'un temps qui ne passe plus car il est lié à une pesanteur qui absorbe les volontés.


D'où cette attirance aujourd'hui pour les espaces qui ne sont ni ville ni campagne - terrain de l'aventure dans la confrontation à une nature "sauvage" où l'homme n'apparait que dans une quête qui est celle d'un dépassement des limites de l'identité - lutte contre les éléments, contre soi et les autres, exploits qui renvoient du côté du sportif - identité qui n'existe que dans une confrontation et une concurrence de tous les instants avec autrui et le temps.

jeudi 27 mars 2014

La nature - 2/3 - cours



La nature - suite -

L'écologie, une défense de la nature ?

Il faut distinguer l'écologie de l'environnementaliste : l'écologie n'est pas qu'une défense de la nature elle peut-être aussi son apologie - elle revendique par certains de ses courants (les plus extrémistes) l'égalité des droits entre les hommes et la nature (animaux, végétaux, minéraux). L'écologie profonde fait de la défense de la nature une arme contre l'homme. L'environnementaliste pour sa part est une réflexion sur le milieu le plus propice à l'évolution de l'homme, l'intérêt pour l'environnement est donc d'abord un intérêt dirigé vers le bien être de l'homme qu'il faut protéger jusque dans son "milieu naturel". On peut agir sur le milieu extérieur, dans sa préservation, pour vivre dans les conditions les meilleures - ici l'homme occupe la place centrale.

Opposition de la forêt et du jardin

Le jardin est tout entier dans la figure de Voltaire, la nature n'a de valeur que transformée par la main de l'homme, le jardin est le lieu où le savoirs de l'homme s'applique sur la nature; les végétaux y sont pliés, modelés, sculptés, présentés... L'ordre des jardins à la française reproduit l'ordre de la raison. Au contraire l'apparent désordre des jardins à l'anglaise est la peinture des sentiments qui agitent le coeur des hommes, tableau des passions, tableau des sens...

La forêt est "naturelle",  elle engage un éco-système, une autonomie dans sa création et sa perpétuation, cycle en éveil de la regénérescence du milieu par lui-même. L'homme est dans ce cadre inutile sinon nuisible, cet environnement est autosuffisant.  L'homme de la forêt est incarné par Rousseau, lors d'une promenade où il goûte le charme de la nature par la contemplation de son spectacle forestier, soudain, au détour d'un bosquet, il croise une manufacture et c'est le désespoir qui s'abat sur lui. Alors qu'un homme des lumières se réjouirait de ce spectacle, Rousseau s'en lamente - ici il faut peser et comprendre que c'est la nature qui écarte Rousseau du processus des lumières. Mais la nature de Rousseau est aussi un temple pour lui, un sanctuaire, la "sauvagerie" possible des lieux y est toujours tempérée par l'amour, la mélancolie, le charme... Au contraire Sade ne voit dans la nature que la destruction qu'elle porte en même temps que sa puissance. Alors qu'il est "embastillé" il se fait porter une gravure représentant le Vésuve. Ce que Sade aime dans la nature c'est sa capacité de destruction, les volcans illustrent cette force et cette démesure qui sont les caractères du grand libertin. Il faut que la nature soit entièrement en irruption pour qu'il y trouve un intérêt - seulement lorsque la nature entre en orgasme alors Sade peut y trouver de l'intérêt et une parenté. Au contraire la sexualité est une ellipse dans l'oeuvre de Rousseau, il se garde bien de quitter le sentiment de peur de croiser le loup au coeur de la forêt.

La nature prend donc chez Rousseau la forme de la "polis", il ne s'agit pas d'en revenir à une pulsion sexuelle qui menacerait le social de désagrégation, le modèle est celui du coeur, c'est-à-dire du sentiment moral et de la vertu. Ce que Rousseau cherche dans la nature c'est bien la pureté, le chemin foulé dans la forêt est toujours celui de l'amour simple des choses, de la fusion... bref de la relation tendre que Rousseau cherchera tout au long de sa propre existence. Sade ne voit la nature lorsqu'elle entre en orgasme et détruit le monde.

La nature de Sade n'est pas celle de Rousseau, ici aucun frein, aucune vertu, dans Justine il n'arrête pas d'arrivé malheur à ceux qui suivent les prescriptions de cette "bonne nature" que Rousseau affectionne -  et ce à la plus grande joie des libertins. En un sens tout ce qui arrive à Justine arrive à Rousseau, ce dernier est l'ennemi déclaré de Sade qui déteste en lui cette forêt qui ne serait en fait qu'une prairie romantique.



dimanche 23 mars 2014

La nature - 1/3 - cours -



La Nature

Il y a une grande polysémie du terme "nature" :
- la nature comme essence, comme définition d'une chose, ce qui est premier, originaire. Il s'agit ici d'un sens métaphysique.
- la nature au sens de "phusis", comme physique des objets et des êtres, comme objet d'études et de connaissances. Nous sommes ici dans une physique "naturelle" qui s'oppose à la métaphysique. Nous sommes dans le visible et non dans l'invisible.
- la nature au sens de monde qui comprend tous les objets et les êtres.
- la nature dans son opposition à l'artifice, la nature comme tout ce qui n'est pas produit par la main de l'homme. La nature comme sans artifice, authentique, "pure". 
- la nature au sens de "caractère", lorsque l'on dit de quelqu'un "c'est une nature", spécifie le propre de l'individu et suppose aussi souvent la force. 

L'homme dans la nature :

L'homme est dans la nature, il en est une composante, il en fait partie comme toutes les choses et les être du monde. La nature est ce qui fait être, ce qui fait advenir au monde - étymologiquement elle provient du terme nasci qui signifie "naître". En même temps cette origine du terme peut renvoyer à des caractères figés, une identité fixe. 

Mais l'application du concept de nature à l'homme ne va pas sans difficultés : alors que l'animal ne semble pas bénéficier de progrès spectaculaires tant dans ses évolutions génétiques que dans son organisation sociale, au contraire l'homme se transforme et se perfectionne. Les réactions humaines semblent liées à des déterminations culturelles : l'homme se modifie sans cesse et son libre arbitre lui permet de faire des choix. Il travaille le donné dont il est issu, il construit sa propre identité. D'où la grande diversité des cultures et des peuples. 



L'homme comme être de culture :

La main est cet "outil d'outils" (Aristote) qui met toutes choses à disposition des hommes : alors que chaque animal n'a qu'un mode de rapport au monde, qu'un mode de défense (les griffes, la dent, la corne...)  et donc qu'un mode de présence au monde, l'homme a une plasticité de ses déterminations - sa main peut devenir tour à tour griffe, serre, dent... L'absence d'assignation technique, l'absence d'une prédétermination technique permettent à l'homme d'occuper toutes les places, d'assurer toutes les fonctions. La technique engage l'homme dans un rapport médiatisé au monde, l'outil devient intermédiaire entre lui et le monde, en même temps qu'une occasion de réflexion sur la nécessité de cette mise à distance pour le maîtriser. 

Par le biais des techniques l'homme dispose de son environnement, il ne s'adapte pas au monde extérieur mais plie le monde extérieur à ses propres besoins. Il fait plier l'environnement à ses contraintes intérieures. Ainsi le chauffage, les vêtements... permettent aux hommes d'occuper tous les espaces et de s'adapter au climat par l'intervention des techniques. L'homme est présent sous les climats les plus rudes alors que l'animal ne peut survivre que dans un environnement particulier, l'ours blanc ne peut survivre sous un climat tropical. La culture est le nom donné à ce mode d'appropriation du monde extérieur et à l'opération de transformation du monde extérieur et hostile en un monde intérieur domestique et bienveillant. 



La différence nature / condition : 

Au contraire d'une nature la condition suppose un état d'instabilité et des modifications possibles : la condition est liée à un état social -> on parle de la condition du salarié comme liée à l'effet des forces productives, la condition suppose un statut provisoire et modifiable car la transformation des conditions extérieures permettra une redéfinition du salarié dans sa condition. Alors que la nature suppose un milieu intérieur fixe et sa combinaison avec un milieu extérieur déterminé, au contraire la condition est liée à des contraintes extérieures qui déterminent provisoirement l'identité du sujet. La condition vaut donc dans un cadre particulier. En même temps alors que l'on ne peut que plier devant le commandement intérieur de la nature (comme l'animal qui répond au jeu complexe des instincts), la condition permet de faire jouer la volonté et avec elle le libre arbitre. La condition n'est pas une fatalité mais un élément sur lequel on peut agir. La condition engage donc l'homme comme producteur de sa propre identité. La condition n'est pas statique mais plastique (mouvante), l'histoire devient alors terrain de luttes. Par exemple la révolution française annonce le début de l'ère industrielle par l'avénement de la bourgeoisie, par le déclin des corporations et l'invention du salariat. Ce qui disparaît alors c'est à la fois l'excellence dans le travail du maître artisan mais aussi le servage pour la paysannerie.