Philosophie

Mise à disposition d'un matériel permettant de travailler les cours de philosophie.

samedi 15 novembre 2014

dissertation : Que serais-je sans toi ? Correction



A la question "Que serais-je sans toi ?" nous répondrons en nous souvenant de la parole du poète, de cette supplique qu'il adresse à celle qui pour lui est tout : un coeur au bois dormant, une âme en peine.  Tel est le sort de celui qui ne parvient pas à aimer ou à l'être, solitude du corps et de l'âme, la vie ne vaudrait d'être vécue que par la grâce d'autrui, par celle de l'amour. Pourtant nous avons aussi d'autres souvenirs, parfois autrui devient au contraire une ombre menaçante, il est aussi le responsable de crimes, de viols, il menace et exécute. La figure du bourreau est encore trop présente pour que nous puissions l'oublier. Alors comprendre que ces deux figures sont contemporaines, que l'amour et la haine s'incarnent seulement pour les hommes, "il n'y a pas de danger plus formidable que l'homme", ce sont nos propres démons que nous poursuivons sans cesse. Volonté de tuer, volonté d'aimer : toujours autrui est présent à nos pensées, c'est vers lui que nous tournons toutes nos pensées et toutes nos actions.
Se demander qu'elle serait notre place sans autrui semble absurde car c'est d'abord par autrui que nous apprenons et plus encore que nous devenons humain. Autrui est celui sans qui, littéralement, je ne serai pas. Pour devenir et être il faut d'abord les bras accueillants de nos parents, de ceux pour qui nous sommes le centre du monde - ou c'est du moins ce que chaque enfant devrait connaître - ceux qui ne dormirons plus si nous sommes malade, qui s'inquiéterons de notre sort et toujours seront à nos côtés. L'homme ne peut apprendre que de l'homme, et c'est d'abord de l'amour qu'il apprend. Pourtant très vite la rivalité avec les autres enfants s'installe et elle durera toute notre existence - rivalité et entraide aussi, tout l'éventail des sentiments et des répulsions. Alors nous nous entourons de ceux que nous aimons, de ceux que nous apprécions, alors nous déterminons des frontières à partir de nos façons de penser, de vivre, de sentir, d'aimer.
Kant parlait d'une "insociable sociabilité", du fait que sans cesse nous désirons le contact d'autrui et en même temps désirons le fuir. Toutes nos sociétés, nos univers, nos inventions ne sont que le résultat de cette équation impossible à résoudre, être avec et sans autrui. Crusoé nous renseigne sur cette capacité de l'homme à vivre seul, la folie et le désespoir se cache sur chaque île déserte. Plus encore ceux qui la peuple ne peuvent remplacer totalement ceux que nous avons perdus : vendredi a été sauvé par Crusoé et devient son compagnon d'infortune mais son nom reflète son statut : vendredi. Non pas Alfonse ou Henri mais un jour de la semaine, un nom pour un objet ou une chose non pour un être humain. Robinson nous adresse encore un message, même jusque dans la solitude les réflexes de classes et de sociétés subsistent. Le raciste perdu sur une île est encore raciste s'il croise le chemin de celui qui n'est pas blanc. Le cannibalisme venant rajouter à cette idée d'un abandon de l'humanité pour ces peuplades ou tribus. Nous créons des mondes, des rapports, des sciences et chacun d'entre nous pourtant n'est finalement qu'un enfant, nous jouons en déplaçant non plus des petites voitures mais en manoeuvrant des chars, en condamnant ici en transgressant là.

Plan détaillé :

1 /  Autrui est la condition de mon existence  /   être c'est être avec autrui

A   L'homme parmi les autres animaux est celui qui reste le plus longtemps dépendant, son enfance est celle d'un être démuni sans l'aide de ses semblables. L'homme privilégie l'intelligence pour s'approprier l'espace extérieur et fabriquer un espace intérieur. Ce choix d'espèce conduit à une extrême fragilité de l'homme durant toute sa période de construction. L'enfance est ce temps et la famille le rempart dressé contre les violences du monde extérieur.
B    Mais ce besoin d'assistance, d'une protection, ne cède pas entièrement avec le temps. L'âge adulte est celui de l'autonomie et de la maturité, pourtant l'homme ne cesse de rechercher des alliances et des rapprochements qui permettront son développement. La société elle-même en un sens n'est que l'extension spectaculaire de cette volonté d'être avec autrui. Ne peut-on pas poser avec Freud que l'invention d'un Dieu tout puissant n'est rien d'autre que la manifestation d'un désir infantile de protection et d'aide, figure d'un père qui désormais ne peut plus assurer cette tâche ? Nous mettons en place des tissus, des organisations qui favorisent ces rapports et entretiennent des formes de salut.
C   Ainsi en même temps que nous développons le vivre ensemble des formes d'égoïsmes, de rivalités, de conflits apparaissent. Autrui est la condition de mon existence mais il faut-être aussi sa malédiction. Les génocides, les guerres, les crimes, les violences sont autant de signes que la possibilité d'être avec autrui pose autant d'obstacles qu'elle semble indispensable. Il s'agira alors de "choisir" parmi les personnes.

2 /  Autrui ma chance et ma malédiction /  sans toi je serai moi

A   Kant parle d'une "insociable sociabilité" de l'homme, il n'est jamais satisfait car autrui lui est indispensable mais il ne peut le souffrir. Nous ne pouvons vivre les uns sans les autres mais en même temps nous ne supportons cette nécessité et nous tentons de fuir autrui.  Cette fuite prend plusieurs formes : le retrait avec l'ermite qui tente de s'éloigner des autres, qui engage un discours intérieur et ainsi se coupe volontairement de l'agitation du monde et des hommes; le choix exclusif d'élire ceux avec lesquels je commercerai, les affinités électives sont celles qui mettent en avant et exaltent les passions les plus vives de l'homme; la décision de limiter l'homme à cette portion que je peux saisir et comprendre : l'autre est ici le même, c'est le rétrécissement sur un univers fermé qui est ici fermé et qui en creux refuse la diversité et la différence.
B   Pour la phénoménologie autrui est cet autre qui est aussi ma malédiction, "l'enfer c'est autrui" écrit Sartre, le remettant ainsi du côté de celui qui, parce qu'il me rappelle sans cesse à ma liberté donc à ma responsabilité, m'empêche d'exister sans contrainte. Le sentiment de honte serait ainsi le produit de ce regard d'autrui capable de me chosifier ou inversement de renvoyer à cette responsabilité que j'avais oublié dans l'action.
C   nous le voyons avec ces exemples la définition d'autrui change selon les dimensions de sa compréhension : idéologique, humaine, sectaire, sociale, psychologique. Pour toutes ses raisons nous comprenons le plus souvent le "toi" comme la manifestation en autrui de cette part de moi-même que je ne trouverai que dans la fusion amoureuse. Pouvoir se confondre avec toi pour ne plus me confondre avec autrui, choisir afin de ne plus subir - vouloir une alliance contre les autres - n'est-ce pas la forme de ces cercles que nous créons et qui vont du plus proche au plus lointain ? La famille puis les amis puis les autres : avec un éloignement qui fait parfois oublié jusqu'à l'homme derrière la distance ? Et alors choisir la mort d'un million d'hommes plutôt qu'une égratignure à mon doigt ?

3    Sans toi je ne serai rien, cet éloge est celui d'un coeur et non plus d'un intellect

A   La sophistication des rapports internes et externes conduisent à créer des zones de retraits où le dispositif amoureux prend une forme spectaculaire. La complexification de cet instinct de conservation de l'espace animale à travers la reproduction nous l'avons affranchi de cette seule reproduction et produit un sentiment amoureux qui est, dans le cadre de la passion, le moment le plus grand de l'activité pulsionnelle.
B   Le poète peut fêter autrui car il sort ainsi de la masse indifférencié des autres, choisir elle ou lui afin de pouvoir reconnaitre dans la foule celui que j'ai choisi - ne plus subir mais activement vouloir un rapprochement - reproduire l'ancienne alliance - et à partir de ce noyau étendre prodigieusement les bornes d'autrui. Lésinas posait que le regard était le signe de ma responsabilité, une convocation à cette dernière. Autrui est moi en sa totalité, chaque partie de lui doit renvoyer à cette totalité signifiante qu'est l'amour disait-il.
C  La solution est alors artistique : comme la jeune fille à la perle de Vermeer porte à la commissure des lèvres une forme universelle de demande, elle incarne la cristallisation amoureuse et ne peut que renvoyer le spectateur à la contemplation d'une forme d'universalité de l'amour mais aussi à une intemporalité de ce sentiment; ce que l'artiste parvient alors à produire en moi c'est l'écho dans ma propre existence de ce sentiment qu'un instant je partage et qui me fait comprendre que la présence d'autrui est la seule éternité qui s'offre à loi, qu'il est là tout le temps et qu'il ne m'appartient plus que de le voir.

La parole du poète fait écho bien au-delà de son intention à tous, ce dont il parle ce n'est pas d'une expérience originale mais de celle faite par toute l'humanité. Le choix d'aimer est un miroir à 2 faces, il permet à chacun de se connaître comme unique en même temps qu'il est le cadre d'une expérience universelle et générale. Vivre ensemble suppose que nous parvenions à une pacification des rapports qui repose certes sur l'intérêt mais aussi sur l'amour, non pas abstrait et général mais porté sur "autrui" en tant que porteur d'une fin qui m'échappe mais que je tente pourtant de saisir et de comprendre. Comme Vercors qui voyait en chaque homme le porteur de l'humanité toute entière, prendre soin de lui c'est prendre soin de nous tous.



vendredi 7 novembre 2014

Correction intro - texte de Alain - Définitions





Correction texte Alain, Définitions

L'idée générale du texte d'Alain réside dans une confrontation de l'âme au corps, l'âme est une force qui s'oppose aux exigences du corps, une force de refus capable de définir l'homme comme un être pouvant dépasser ses pulsions, ses craintes, ses intérêts. L'enjeu est à travers cette célébration de l'âme de montrer qu'elle est le lieu d'une identité qui vient se confondre avec une forme d'exigence morale. Ce texte redonne à l'âme une place que la querelle des modernes et des contemporains lui avait retiré. L'âme donnerait à l'homme sa dignité. Opposition d'une force physique et animale à la grandeur d'une conscience qui seule nous détermine comme homme. Cela bouleversant la définition de la folie, l'inconscient n'est pas un trouble de la conscience mais du corps.
Pour ce faire l'auteur précède en 3 moments. L'auteur commence par définir l'âme comme une force de refus, capable d'une résistance aux exigences du corps, avec une assimilation de l'âme avec l'identité même de l'homme. Puis Alain distingue les états de la confrontation de l'âme au corps, posant que le corps porte avec lui la folie qui n'est pas une affection de la conscience mais de son absence. L'exemple qui vient conclure le texte est l'explication d'un terme qui accompagne la décision de l'âme : la magnanimité s'illustre dans une action qui porte avec elle la grandeur.

dimanche 2 novembre 2014

commentaire : Sartre / corrigé rapide



Corrigé du commentaire :

Le texte de Sartre oppose 2 conceptions de la liberté : l'une héritée du sens commun l'autre portée par l'analyse philosophique. Le sens de cette opposition repose sur une querelle qui prend sa source avant son commencement. Si Sartre écrit "qu'il faut, en outre, préciser..." c'est bien parce que l'entreprise vise à une définition la plus claire possible du sens de la liberté et qu'elle ne commence pas avec l'extrait que nous possédons. Que veut dire "être libre"? D'abord qu'est-ce que cela ne peut signifier : obtenir ce qu'on a voulu. Ici nous pouvons nous interroger sur le sens de cette proposition. En effet si nous avons souhaité un résultat et que nous l'atteignons nous pourrions penser que la réalisation de l'objectif posé est en soi un élément de la liberté. C'est du moins ce que nous pourrions tous penser. Et c'est justement cela que dénonce Sartre. Cette facilité a confondre liberté et satisfaction. Ce serait l'obtention du but de l'action, sa satisfaction, qui serait la véritable liberté - confondant ainsi le but de l'action comme fin et la réalisation de la liberté. Disqualifiant ainsi le projet comme porteur d'une liberté non réductible à la seule obtention de sa fin.  Le coup de force de Sartre réside à cet endroit : la liberté n'est pas liée (seulement) à la fin visée mais réside comme projet dans l'individu qui le porte. La liberté n'est pas un accident de la finalité mais implique la mise en mouvement du sujet à partir de sa volonté. Ce n'est pas le "succès" qui importe à la liberté mais... le projet. Nous ne sommes pas libre  au terme d'un processus qui mesure la réalisation concrète de la liberté mais dans l'initiative, dans la décision de se mettre en mouvement vers une fin. Être libre ne dépend pas de la réalisation mais de l'initiative - c'est justement ce qui nous distingue comme être humain. C'est paradoxalement l'acte de penser lui-même qui est l'indice le plus sûr de la liberté, l'acte de décision d'un sujet qui vise par la pensée un mouvement et qui se met en mouvement pour l'atteindre - ce que Sartre nomme un début de réalisation. Il s'agit ici du lien de la liberté à l'action, à la mise en mouvement et non à l'attitude de satisfaction et de contemplation qui suppose, au contraire, le soustrait de l'action dans la contemplation immobile du résultat. Ce qui importe à la liberté c'est la décision prise et non sa possible réalisation - en mettant la liberté à l'abri de l'obtention de la fin de l'action Sartre pose l'action comme le seul moment de la liberté. Le début de l'acte libre est dans le pro-jet dans cette anticipation de l'action qui guide ma volonté et produit sa réalisation concrète. Ici Sartre insiste sur la qualité de la volonté qui se tourne vers l'action et non vers la une forme de fantasme, de rêve ou la pensée ne rencontre qu'elle même. Ici se pose pourtant un problème, la seule façon d'assurer notre liberté est de rencontrer le réel - les autres volontés et les choses elles-mêmes dans un mouvement qui tente de fabriquer un espace de réalisation. Dire "je fais' c'est déjà s'engager, c'est intervenir pour construire. Mais Sartre oriente différemment la liberté : l'autonomie du choix est l'élément central de la liberté. Penser par soi-même, décider seul, vouloir par et pour soi - ici la liberté échappe aux "circonstances" qui sont des accidents de la liberté : l'histoire des événements, de la morale, de la politique n'engage pas le sol de la liberté mais seulement ses conditions. Alors nous pourrions assimiler le choix au faire - l'acte de faire est par lui-même le choix. Il ne s'agit donc pas d'une liberté abstraite mais d'une confusion entre la volonté et de l'acte de faire - vouloir c'est agir ou dit autrement nous sommes (décidons) ce que nous faisons. Il y a une identité du faire et du choisir dit Sartre - nous ne devons pas séparer l'espace de l'action du temps de la décision. Le souhait se trouve ainsi lui aussi disqualifié : le souhait est une pensée d'action, de réalisation mais il n'est aussi qu'une action en devenir, en ferment, sans un sol suffisant pour s'édifier. Sartre prend alors l'exemple du prisonnier, paradigmatique de la situation de contrainte : celui-ci n'est pas libre de sortir précise t'il mais il l'est de le vouloir. L'empêchement n'empêche pas la liberté de vouloir y échapper : et pour cela qu'il peut, qu'il doit, essayer de s'évader. La condition du prisonnier comme être libre étant dans cette possibilité de vouloir se libérer de ses contraintes dans une "pro-jection" de son évasion - littéralement dans une anticipation qui est aussi une action par le déplacement qu'elle produit dans sa propre vie. Et ici c'est l'action qui renseigne le sujet sur sa propre liberté, l'action guide ainsi le sujet et l'éclaire sur sa propre identité d'être libre. Être libre étant chercher à l'être. La valeur de son projet ne pouvant se produire que par un "passage à l'acte" qui engage le sujet dans sa propre liberté.