Philosophie

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dimanche 30 décembre 2012

Théories et expériences / cours pris en notes par 1 élève



Théories et expériences
 
Problématique : N’apprend-t-on jamais que par expériences ?
Introduction : A la question, le sens commun répondrait que c’est l’expérience qui permet de comprendre ce que nous vivons ainsi le petit enfant appréhende intuitivement et émotionnellement le monde sans une histoire ou conscience qui viendrait unifier ses perceptions et on insiste lentement en lui à l’éveil d’une expérience qu’on peut assimiler à une forme de raison et de responsabilité. Mais bien sur cette évolution a lieu que parce que d’autres hommes l’entourent et le guident. Il y a donc une influence de la société et de ses membres de l’expérience sur l’enfant, ici les différences culturelles modifient les statuts de l’expérience. En Afrique subsaharienne, lorsqu’un vieillard meurt c’est une bibliothèque qui disparait posant ainsi le statut de l’âge et de l’expérience. Nos vieillards en occident sont relégués de la vie sociale et de la société dans les maisons de retraites. Mais si l’expérience a un sens dans nos existences individuelles la question posée renvoie à un horizon plus large, cela signifierait que c’est une autre expérience qui guide notre expérience. Qu’en est-il alors de la théorie ?
I-L’horizon conceptuel

a-La naissance de la philosophie comme l’origine de la séparation de l’âme et de l’esprit, de la théorie et de l’expérience

Au 3ème siècle avant J-C, Platon met en place par écrit l’enseignement de Socrate dispensé uniquement à l’oral. C’est là l’origine de la philosophie. Son contexte historique est celui des guerres du Péloponnèse. Le déchirement des cités a produit des systèmes politiques qui s’écartent de la définition de la démocratie, la corruption politique ronge la justice.

L’allégorie de la caverne telle que Platon l’a décrit dans la République (livre 7 p.60).



 Dans cette allégorie Platon met en scène l’existence humaine sous la forme de prisonniers attachés à des poteaux et prenant des ombres pour la réalité. La philosophie étant précisément l’instrument de libération il décille les hommes de façon à atteindre la vérité. Il y a donc à travers l’allégorie l’opposition physique du haut et du bas mais aussi l’opposition métaphysique de la vérité et de l’illusion pensée aussi comme une erreur. Chez Platon il  ya une priorité de l’invisible sur le visible, l’invisible est la cause du visible. C’est donc vers lui qu’il faut retourner. Pour Platon, il y a un ordre de cosmos qui est celui des idées et pour construire la cité des hommes il faut être rivé sur les étoiles. Il faut donc pour Platon mourir au corps pour naître aux idées, il faut se débarrasser des fonctions appétitives et naturelles. Le corps est le bourbier, son sépulcre, l’apologie de Socrate montre à travers la mort de Socrate de Platon. En même temps que séparé l’âme et le corps sont liés. Socrate est condamné à mort pour empiéter accusé de corrompre la jeunesse. En effet, il dénonce les faux dieux au profit d’une religion du cosmos (Plotin) dans les ennéades en tendant le doigt vers les cieux  dira : « La haut est ma patrie ». On lui propose de s’enfuir, il refuse car mourir sous une mauvaise loi vaut mieux que mourir sans loi, il boit donc l’acigut. Autour de lui Criton et Phédon se lamentent Socrate leur dit d’arrêter de pleurer, la mort n’est rien pour lui. Pourtant au dernier moment un tressaillement agite Socrate, c’est dû à l’amertume du poison ou de quitter la mort sans savoir si la mort est habitée. 

Claude Bernard
 b-La méthode expérimentale
En fait, la position Platonicienne va irriguer toute la construction de l’occident y compris la conception de la connaissance scientifique. D’où provient la connaissance ? Pour Platon la connaissance vient de l’idée. L’objet physique n’étant qu’un mode, une chute de l’idée, une incantation particulière d’un tout donc une déperdition que fait la matière ne permet pas par elle-même l’accès à la vérité. « La vérité est ailleurs » donc comprendre la source de la connaissance scientifique. On parle de deux façons protagonistes de connaître : l’induction et la déduction. L’induction est le passage du particulier au général et la déduction c’est l’inverse. C’est l’opposition de l’idéalisme au matérialisme, l’idéalisme étant le fait que l’idée est première à la matière et le matérialisme étant le fait que la matière est première à l’idée. Il y aura une tentative de conciliation de ces deux idées à travers la méthode  expérimentale de Claude BERNARD. 











 

 


Ici la méthode de C. Bernard semble poser une priorité expérimentale, autrement le fait serait à lui seul révélateur d’une théorie générale, en un sens ici il faudrait savoir lire (lire dans livre de la nature) l’expérience qui est entièrement informé théoriquement mais cette information ne dépend pas l’objet que de l’observateur. C’est C. Bernard qui fait parler l’objet de son information, il faut toute la connaissance du biologiste pour déterminer que la situation du lapin est anormale et que simultanément qu’il se retrouve dans un état organique autre que celle de son espèce. En fait derrière cette apparente induction se dissimule une déduction qui est le fait du scientifique, ce n’est pas l’objet qui parle mais le scientifique qui le fait parler, ici toute la qualité du scientifique qui le fait parler : C. Bernard a prouvé que la grande distinction entre animaux et végétaux est infondée. Cette distinction est basée sur la production de sucre entièrement du côté des végétaux. Le foie serait un organe du stockage du sucre, une expérience le prouvait. Or C. Bernard prouve que le foie produit du sucre, la différence entre animaux et végétaux est annulée, encore une fois on peut penser qu’il s’agit d’un fait inductif lié à une observation mais pourtant c’est tout le génie qui est à l’œuvre mais on fait parler la nature. Bachelard dira «  le laboratoire crie plus fort que la nature ».

c-La phénoménotechnique
Bachelard veut dire ainsi que ce n’est pas la nature qui dicte ses lois mais la pensée qui injecte dans la nature ses propres déterminations. Le laboratoire impose dans ses lois, nous sommes du côté d’une déduction radicale, on peut prendre l’exemple de la loi de la chute des corps : en automne, lorsque la feuille se détache de l’arbre elle s’envole et semble jamais vouloir atterrir. Est-ce donc un démenti de la loi de la chute des corps. En fait, la loi de la chute des corps ne peut être mise à jour du tube à vide de Newton capable de produire un vide d’air. En effet, pour la feuille il faut supprimer sa forme étale, la résistance de l’air, le vent. C’est donc dans le tube à vide un objet idéal tombant dans un environnement idéal. Pour Bachelard, la loi est indépendante de l’expérience elle est directement un produit de la pensée, ce n’est pas seulement dans les faits. C’est plutôt qu’elle ne s’applique jamais. La loi est une somme théorique qui rassemble tous les éléments de l’expérience, si elle ne s’implique à aucun cas particulier c’est justement qu’elle doit s’appliquer à tous. Les conditions de l’expérimentation ont été profondément modifiées, l’astrolabe électronique ne transmet plus d’images mais des données chiffrées qui font immédiatement l’objet de traitements informatiques. De même, le microscope est capable d’atteindre des formes plus petites que l’atome. A nouveau, ce sont des données mathématiques qui apparaissent, ici on comprend ainsi le statut instrumental des mathématiques, il ne s’agit pas d’atteindre la vérité. Les mathématiques se neutralise comme science exacte, on les nomme désormais science hypothético-déductive.  Les mathématiques fonctionnent par hypothèse, il ne s’agit de postulats qui ne sont pas des vérités. Or Bachelard pose ainsi qu’il y a des obstacles à la pensée scientifique le premier étant l’obstacle de la connaissance générale où les sciences sont vues comme une découverte instantanée. Newton recevant une pomme sur la tête, Einstein manquant de tomber d’un trainway suffirait à la loi de la chute des corps et la gravitation universelle. Nous sommes ici face à une humanité ahurie où les découvertes surgiraient d’elles-mêmes à une occasion d’un événement fortuit. On retrouve ici une critique qui s’adresse à la méthode expérimentale, le fait crucial de C. Bernard suppose une observation théorique. La différence étant que nous sommes ici dans la connaissance théorique d(observateur qui est capable d’analyser une situation expérimentale. Bachelard pose ainsi qu’il faut produire une compréhension de la matière dirigée par la pensée. La distinction entre la matière et l’esprit devant l’idée de phénomène. Un phénomène n’étant rien d’autre qu’un mixte entre théorie et fait, partout où notre regard se porte on trouve la trace de l’esprit. Tout autour de moi, il y a la matérialisation de la pensée comme par exemple le double décimètre. On peut penser qu’il s’agit d’un simple morceau de plastique mais il s’agit de deux mille ans d’évolution mathématique. Toutes les choses autour de nous sont techniques par essence et même celle que je détermine comme naturelles sont des dispositifs complexes. La forêt est contrôlée par l’office des forêts qui fait des coupes… Nous sommes donc dans un cadrage technique généralisé.



Livre p.388
La phénoménotechnique est ce moment où l’esprit et la matière s’unissent dans une incorporation mutuelle qui reflète l’état des sociétés occidentales avancées. On se souvient de la formule « le 20ème siècle sera religieux ou le sera pas nous pourrions poser que le 21ème siècle sera technique ou ne le sera pas ». Nous sommes à l’aube d’une révolution majeure, nous entrons dans une société postindustrielle par le biais du numérique et du nano technologique, alors que longtemps nous avons pensé une priorité de la pensée sur la matière, nous réhabilitons la notion de chair de cette intégration de la pensée dans un corps ou un corps qui fait pensée.

Livre p.390 texte de Ryle
Ryle pose que la comparaison de l’esprit à la matière produit une analogie (qui est une comparaison à deux termes) ici la matière et la machine, là l’antimatière et l’anti-machine. De cela découle par Ryle que les termes utilisés s’ils viennent en comparaison reprennent les mêmes mécaniques. Les rouages, les poids et contrepoids, les mesures ne sont pas réels pourtant c’est du même objet qui l’est question, le vocabulaire est porté du côté de l’esprit et il est censé rendre compte de rouages invisibles. Ici les mots sont conservés et mis à disposition d’une structure non perçue. Il en demeure pas moins que nous sommes face à une incompréhension du phénomène de la pensée qui ne peut pas se traduire avec d’autres espaces physiques ou autres, de surface intérieur et extérieur. Ryle peut conclure que l’esprit n’est pas un fantôme attelé à une machine mais une « machine fantomatique ».  

L'hypothèse de l'inconscient empêche telle l'affirmation d'une liberté du sujet ? Méthodologie de la dissertation /

 
La dissertation est un exercice qui suppose à la fois une culture philosophique solide et une argumentation qui rende compte de la question posée. Le plus difficile étant de parvenir à ne répondre qu'à la question posée, elle ne peut être seulement un prétexte à la mise ne place de connaissances qui sauraient pas utile pour son traitement. Il faut donc diriger toute son attention sur la question et sa formulation en excluant des éléments qui iraient à l'encontre manifeste de son sens pour son interprétation.

On peut prendre un exemple d'énoncé pour illustrer cela :

L'hypothèse de l'inconscient empêche telle l'affirmation d'une liberté du sujet ?

Ici il s'agit de l'opposition claire entre un inconscient psychique qui suppose que le sujet soit agit par des motifs ou mobiles inconscient qui en large part lui échappe, et l'affirmation donc la certitude que la liberté du sujet est un fait qui à pour pendant l'affirmation de la responsabilité du sujet sur sa vie donc la possibilité consciente de choisir et donc d'affirmer par cela même sa liberté. La liberté du sujet est donc lié à la maîtrise et au contrôle de sa propre existence. 

Inutile ici d'échapper à cette opposition, c'est plutôt à partir d'elle que nous pouvons travailler et progresser dans sa résolution. La règle est de ne jamais quitter la question, sa reformulation étant le gage de la progression dans sa compréhension. Une position critique est possible ; il faut entendre par cela qu'il faut, en même temps qu'être respectueux par rapports aux auteurs, attaquer la question pour montrer que sa formulation pose problème ou porte un postulat qui en aucun cas ne peut être accepté sans une analyse. On nomme cela le présupposé de la question, le sujet porterait avec lui un préalable qu'il faut reconnaître afin de ne pas tomber le "piège" qu'il porte. 

ainsi : dans le sujet précédent nous comprenons que le primat de la conscience (au sens du cogito cartésien) est le point d'ancrage de l'affirmation possible de la liberté, comment être libre en étant "inconscient" donc en ne mesurant ni la cause de l'action ni son objectif ? Le point de vue idéologique étant que seule la position cartésienne est compatible avec l'affirmation de la liberté. Le terme d'hypothèse plaçant la psychanalyse du côté d'une "science molle" qui peut-être contestée de multiple façons.



L'inconscient n'est pas exclusif d'une liberté possible, c'est la connaissance de l'inconscient qui permet au contraire la compréhension de ce qui peut nous mouvoir, nous mettre en mouvement. La psychanalyse ne pose pas l'irresponsabilité mais impose de reconnaître les moteurs différents de l'action. 

Il faut donc s'attacher à produire à partir d'une opposition facile une combinaison qui ne soit plus exclusion mais inclusion de la difficulté rencontrée. La liberté pour le patient atteint d'une névrose c'est certainement de pouvoir revivre normalement, la liberté ne doit pas se comprendre comme un absolu mais comme le cadre d'une affirmation particulière dans des circonstances elles aussi particulières. La "liberté en situation" suppose donc un sujet qui ne puisse se reposer sur une identité construite mais qui à chaque moment construit en même temps que son action la perception de celle-ci.





Le plan dialectique suppose une mécanique où vienne s'enchaîner tous les moments de l'argumentation.

par ex :

L'hypothèse de l'inconscient empêche telle l'affirmation d'une liberté du sujet ?

1) Le principe d'imputation de l'action exclut la possibilité d'une privation de conscience. La liberté est liée à l'affirmation de la maîtrise consciente du sujet

2) La découverte de l'inconscient psychique n'est pas l'opposé de la conscience mais la nécessité de sa reformulation, la conscience devient un épiphénomène de l'inconscient. Il faut reposer la question du rapport de la liberté à la conscience.

3) L'inconscient n'est pas une hypothèse mais une certitude couronnée de succès, l'affirmation d'une liberté du sujet est un postulat : il faut inverser la proposition de cette façon / l'hypothèse d'une liberté du sujet est-elle contredite par l'assurance de l'existence d'un inconscient ? / L'affirmation de la liberté peut-être dans ce cas un écran à l'abime de la pulsion.



jeudi 27 décembre 2012

L’idée de Nature : anthropologie d’une transformation.



L’idée de Nature : anthropologie d’une transformation.





O souillures, souillures des la chair ! Si elle pouvait fondre !
Et se dissoudre et se perdre en vapeurs !
Shakespeare, Hamlet,  éd. Gallimard, coll. Folio, 1978, Paris,  Acte I, scène II, p.41.

L’invention lente et chaotique de l’individu est le fil d’or qui permet de suivre la logique de ces mutations, car le mécanisme de sublimation instauré par la répression sexuelle a été le moteur invisible de l’élan occidental jusqu’aux spectaculaires modifications enregistrées à partir des années 1960.
Muchenbled Robert, L’orgasme et l’Occident, une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, éd. du Seuil, Paris, 2005, p.27.

Si en grec idea signifie littéralement « ce qui est vu », l’idée ne s’oppose pas au réel, elle est l’élément qui au contraire permet de saisir dans la profusion de la perception la forme distinctive, le spécimen ; l’objet est constitué et distingué de ce qui n’est pas lui. On se souvient de l’expérience de la cire chez Descartes, j’allume une bougie de cire puis je sors de la pièce, lorsque j’entre quelque temps plus tard je dis, « la bougie s’est consumée », cependant la forme que j’ai devant moi n’a plus ni le même aspect, ni la même couleur, ni la même odeur. Seule l’idée permet de lier des manifestations qui autrement n’existeraient pas pour moi, la continuité de l’objet bougie ne peut se produire que grâce à une tension de ma pensée qui maintient la permanence ou l’identité de l’objet jusque dans ses transformations. Alors l’idée est bien ce qui nous mets en contact avec le monde autrement que seulement par l’instinct ou notre nature : en effet cette table existe pour l’animal comme elle existe pour moi mais pour lui elle n’est qu’un obstacle empêchant ou modifiant sa progression, elle est pour l’homme un  élément de la symbolique culturelle, elle possède à ce titre une histoire comme elle se lie dans l’histoire du sujet à des expériences et à des investissements qui dépassent largement l’objet physique table. L’idée rend intelligible le monde et ainsi engage un travail possible sur lui : elle est ici au plus proche du réel et non pas son opposé. Lorsque les idées se rassemblent elles forment une vision globale des choses, un monde. Chaque système d’idées correspond strictement à un système de langue. Les idées prennent une forme systématique car elles engagent un système d’idées. Elles sont composées de nuances, leur sens est « arbitraire et conventionnel » : comprendre  chaque idée prend sens dans le cadre d’une vision globale, toutes les idées rassemblées forment un univers. Mais il peut se trouver qu’une série d’idées produise un sens qui contredise ma propre représentation des choses, existe à ce moment une coupure représentative que l’on nomme idéologique : l’idéologie est toujours un vocable qu’on utilise pour décrire les autres visions et  les dénigrer. 



Le destin de ce terme est celui d’une époque, d’un siècle, qui a vu fleurir à la fois des tentatives de modélisation du monde dans le même temps que la plus forte opposition dans la représentation de ces modèles. Alors l’idéologie est un élément essentiel du déchiffrage de la politique au XXe siècle, elle pose que souterrainement il y a une manipulation des idées qui puisse aboutir à une image inversée de la réalité, moment donc où l’idée nous écarte du réel plutôt que nous le fait rencontrer. Au cœur de l’idéologie il y a une subreption, c’est-à-dire une volonté de faire « comme si » l’idée qui y était déployée constituait la réalité. L’idéologie porte aussi un mensonge sciemment fait, une tromperie dans la volonté consciente des acteurs idéologique de fourvoyer les hommes et les femmes dans une représentation fausse de la réalité et des rapports. L’idéologie suppose une forme de manipulation de la réalité, en faisant passer l’idée avant les choses, et non en même temps qu’elles, il laisse la possibilité de transformer le monde réel à partir d’un fantasme ou d’une illusion, elle fait alors interpréter le réel à travers un prisme qui est celui de l’idée – le réel est donc second et se donne à partir d’une idée qui est désormais sa cause. C’est la camera obscura de Marx telle qu’il la peint dans L’idéologie allemande, une image retournée, inversée des choses, un monde la tête en bas, lorsque l’on place la conscience avant les rapports de production, la représentation des choses avant les choses : image inversée que l’on trouve dans la chambre noire de l’appareil photographique – fantasme, représentation au sens littéral : ce qui est présenté à nouveau, ce qui est second, objet d’une manipulation, d’une transformation mais qui revendique le statut de réel.

 Si le XXe siècle est comme le nomme Jean-Pierre Faye[i] « le siècle des idéologies ». L’idéologie y tenait  presque entièrement en deux noms, Staline et Hitler. Ils constituent les deux pôles de l’idéologie, ces systèmes sont « des machines idéologiques »(p13). « Le démon enfermé dans un flacon est devenu géant sous le souffle des « idées » qui le hantent » (29) ainsi un Etat totalitaire naît d’abord de la  licence qui lui est faite  d’agir. D’abord souffle elle devient tempête sous l’effet de la faiblesse des hommes,  c’est alors la naissance d’un « Etat total »(29). Il est un moment pour la bataille, on se souvient de la leçon de Jean-jacques Rousseau dans Le contrat social « on vit aussi en paix dans les cachots », le rappel est ferme : il faut parfois savoir s’opposer, « dresser la pensée souveraine face à la servilité »(31). L’idéologie suppose le mensonge et la dissimulation, « ici la vie s’est enchaînée et se stabilise dans une servitude sans fin » au contraire la pensée réclame l’autonomie du choix, là « souffle l’air libre »(36). Et puis toujours le langage qui est l’instigateur de la mort. Ce que Roman Jakobson nomme « les grains de langage », ce qui s’insinue dans la langue pour en faire varier le sens vers la destruction et le meurtre. Deux miroirs face à face, « qui se renvoient l’un l’autre des images inverses de soi-même »(49) et « les deux grandes dictatures idéocratiques du siècle se sont finalement entendues en dehors de leurs idéologies »[ii], comme une ressemblance contradictoire pousse les deux monstres à se rassembler note Jean-Pierre Faye. Le moteur de ces deux totalitarismes est cependant différent, le nazisme adopte la Nature comme fondement, le stalinisme l’Histoire. C’est ici cette idée de Nature qui va  retenir notre attention  dans son application au sport.


« mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? »
                               Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, éd. Actes Sud, 1981.

Curieuse plainte qui semble recouvrir la pensée des hommes depuis l’apparition des premiers regroupements humains. La société serait un frein, une diminution de la puissance d’agir et d’être…nostalgie du prédateur. Chez Stig Dagerman elle prend la forme d’un constat, pas de retour en arrière possible, ces « formes figées » sont les seules auxquelles nous puissions prétendre, pas de salut en dehors de la compagnie des hommes. Pourtant cette pensée œuvre souterrainement jusqu’aujourd’hui pour célébrer une nature qui est désormais menaçante à travers les multiples visages qui lui sont donnés : le sport serait l’un d’eux et c’est vers la description de ce « mouvement naturel » au sein de la société que nous allons nous tourner. Plus loin que de traquer l’utilisation d’un vocabulaire animal dans la désignation du sportif ou des manifestation sportives, il faut affirmer la concomitance  du sport et de la nature, une proximité ambiguë. Quelle part occupe la Nature dans la construction sportive ? Le corps est le lieu des instincts et de l’esprit, de l’élaboration d’un rapport entre l’animalité corporelle et la civilisation humaine naissent des pratiques et des coutumes, des mœurs qui doivent répondre à la question du rapport entre nature et culture. Que faisons-nous de notre corps ? Que symbolise t’il ? Les Jeux Olympiques qui sont l’étendard des sports doivent aussi être  le lieu de l’analyse la plus aiguë de ce phénomène. En son sein on peut voir se fabriquer l’idéal du héros, une religion sportive s’annonce : l’athlète en sera le Dieu, l’Institution Sportive son Vatican, le spectateur son adorateur. La question du fondement devient cruciale : quel est le sol sportif ? Quel est le corps sportif ?



De la nature et du sport, zoolympisme et haine de l’homme.

Le corps manquerait d’une histoire comme le formulait Marc Bloch dans La Société Féodale  « une histoire plus digne de ce nom que les timides essais auxquels nous réduisent aujourd’hui nos moyens ferait leur place aux aventures du corps. » Sommes nous aujourd’hui en mesure de faire cette part au corps, pouvons nous le suivre dans ses pérégrinations ? Plus encore peut-on même penser une « actualité » du corps ? Son présent si son passé nous demeure encore interdit ? Le texte commence par un constat, les médiévistes n’ont que peu travaillé sur le corps, alors qu’il constitue le point central de l’analyse de la société médiévale : « la dynamique de la société et de la civilisation médiévale résulte de tensions : tensions entre Dieu et l’homme, tension entre la ville et la campagne, tension entre le haut et le bas, tension entre la richesse et la pauvreté, tension entre la raison et la foi, tension entre la violence et la paix. Mais l’une des principales tensions est celle entre le corps et l’âme. Et plus encore à l’intérieur du  corps même »[iii]. Le corps est en effet scindé, séparé, divisé : toute cette opération vise la dévalorisation de la chair, de cette partie putrescible qui empêche l’élévation vers le Christ. C’est ainsi que le corps  n’est plus pensé que comme un oripeau, « au seuil du Moyen Âge, le pape Grégoire le Grand qualifie le corps d’  « abominable vêtement de l’âme », le moine mortifie sa chair et le port d’un cilice sur la chair est le signe d’une piété supérieure. Un changement notable s’effectue dans la transformation du pêché originel en pêché sexuel, une chape morale s’abat sur le corps, l’Ordre Moral vient lui dicter sa conduite, tout écart est criminel, la gourmandise est traitée tout comme la luxure. C’est la sombre horreur du bas-ventre, de ce qui est de l’ordre des désirs du corps, irréfléchis et corrompus, au contraire de ceux du cœur qui doivent guider vers les hauteurs du royaume de Dieu : opposition de deux espaces, l’un puissance du sol lié au Tartare et à la corruption des enfers, l’autre éthéré, puissance des hauteurs qui vient se saisir des valeurs idéologiques du christianisme pour les imprimer sur le corps des fidèles. On pourrait dire que « le corps est le grand perdant du Moyen Âge ». Il devient lieu de dépravation par l’opération d’une division exemplaire entre l’âme et le corps puis dans le corps même entre un corps digne de Dieu et l’autre animé par les puissances du Mal et de la concupiscence. Corps Céleste, corps satanique. C’est cette division qui devient la définition de l’humanité, on se souvient que chaque année le pape s’installe devant la foule des fidèles sur une « chaise percée » qui fait reconnaître à tous qu’il n’est qu’un homme, soumis aux besoins du corps, excréments et urine ramènent à l’humilité et empêche l’idolâtrie. De même qu’après sa mort son corps est exposé, nu, afin que chacun puisse voir l’ouvrage et l’outrage de la mort.

La modernité est l’annonce d’un nouveau rapport au corps, la refonte du politique conduit nécessairement à la recomposition de la corporéité. Et puis cette Révolution ne peut se faire sans l’aide de « ces praticiens du corps » que sont des hommes comme Sade ou Casanova. Dire l’activité sexuelle, en faire le moteur de l’activité humaine, poser que le fond de la culture est directement lié aux spasmes de la jouissance. Telle est aussi l’annonce et la nouveauté de la Révolution française. Construire même une forme littéraire qui corresponde à ce nouveau corps rassemblant dans le même lieu esprit et matière, succession de dissertations philosophiques et de scènes pornographiques pour mieux montrer l’égalité nouvelle de ces parties antérieurement séparées par la religion. Mais la Révolution c’est aussi tout le courant du « sentiment moral », d’une douceur nouvelle trouvée à la croisée du corps et de l’esprit : le sentiment donc. Une douce affection, une inclination morale, une passion supérieure à toutes les autres : désormais la morale prend assise dans le corps. Réhabiliter le corps, lui rendre sa force mais tout en lui conservant la direction de la civilisation : l’orienter vers un projet civilisationnel et non destructeur. Sade n’était que le prélude à la libération, son moment de rejet extrême des formes anciennes, l’accomplissement de la Révolution suppose l’apaisement du corps lui-même autrement que par la subversion de l’ordre ancien. Mais cette même modernité en oubliant la puissance libératrice du corps la replonge dans « l’obscurité des couvents » : celle-ci est passée de la théologie catholique à la religion civile. La révolution prend peur de sa propre nouveauté, elle va chercher dans les formes anciennes un exorcisme capable de faire oublier qu’elle est a elle-même son propre fondement, sa propre essence. La peur devant un corps affranchi des barrières conduit à l’édification de digues morales censées repousser le flot des passions. Alors pour mieux pouvoir contrôler le corps l’évocation de la Nature vient à point nommée, elle permettra de recadrer les représentations du corps, « voila ce qu’est la Nature, voila ce qu’est votre Nature, voila donc ce qui est autorisé par ses lois et voila en regard ce qui ne saurait s’autoriser d’elle ». Se réclamer de la Nature pour agir, bel alibi et jamais mis en défaut car la Nature est toujours le produit de ce que l’on y dépose[iv]. Elle n’est que le reflet de nos désirs et de nos aspirations, elle prend un visage plus inquiétante lorsqu’elle devient le creuset idéologique d’un monde à faire sur ce que sont déjà les ruines de son futur. Or la Nature est le sédiment de cette rupture, plutôt cette rupture va engager une modification durable de l’idée de Nature qu’il faudra désormais réfléchir à partir d’elle.             C’est à ce point qu’intervient « l’idéal sportif » : tout à la fois point d’ancrage nostalgique d’avec une nature humaine unifiée et non pas divisée, retour donc à une situation d’entente entre ce qui deviendra l’âme et le corps ;  et en même temps occasion d’amplifier la rupture par la saisie exagérée d’une tendance post-médiévale, séparer totalement le corps de ce qui rendait nécessaire la séparation elle-même, saisir un corps en dehors de son « vice » en dehors de ce qui le fond immédiatement comme faisant partie de la Nature en général et animale en particulier. Le sport serait le lieu privilégié de cette analyse du terreau, de la souche, de la racine : il y a volonté d’enracinement du sport dans un sol, dans une nature, dans une forme d’atemporalité – cette soustraction au temps permettant une inscription trans-culturelle. S’ajoute un fait, le sport est une activité corporelle apparemment totalement asexuée, le sport reprend la nature sans la génération, sans la génitalité. Le sport est ainsi la saisie dans la culture d’une nature proprement « inhumaine », point de contact d’abord puis de rupture ensuite. Il fait son apparition au moment de l’émergence de formes politiques nouvelles en Europe et surtout avec deux formes économiques qui sculpteront pour longtemps le panorama de nos sociétés : le libéralisme d’abord, le communisme ensuite.


 Quelle Nature ?

Mais qu’est au juste cette nature qui avance sans cesse changeante ? La nature est un concept éminemment protéiforme,  elle prend tous les aspects et tous les contenus : elle signifie d’abord pour nous l’arbre, la forêt, le chant de l’oiseau, aussi tout ce qui est extérieur à la main de l’homme, elle peut prendre alors le sens de pur ou d’originel. Alors ne tarde pas de poindre la nature comme essence,comme ce qui est premier, originel – il y aurait ici une priorité ontologique du côté de la Nature qui prend une orientation métaphysique en laissant la simple « phusis », c’est-à-dire la physique des objets et des êtres vivants comme objets d’études et de connaissances. Bien sûr l’homme fait partie de la nature comme toutes choses et  tous les êtres du monde. La nature est ainsi ce qui fait être ou apparaître au monde, étymologiquement nature provient du terme nasci qui signifie naître ; en même temps cette origine engage une identité fixe, le concept de nature fait référence à des caractères figés, immuables. Elle implique autrement un contenu définitionnel ou thétique d’une espèce, on peut parler ainsi d’une nature humaine qui posséderait des caractéristiques propres de même qu’on parlera d’un caractère pour désigner une tendance de l’individu ou une inclination qui n’a pas a voir seulement avec des éléments culturels ou éducatifs mais qui impliquerait le naturel en lui. On le devine déjà, l’application de ce concept à l’homme ne va pas sans difficultés : alors qu’il ne semble pas y avoir beaucoup de progrès pour l’animal, l’homme lui se transforme et se perfectionne. Les réactions humaines semblent liées à des déterminations culturelles : l’homme se modifie sans cesse et son libre arbitre lui permet d’opérer des choix, il travaille le donné dont il est issu, il construit sa propre identité. C’est à ce point que nous retrouvons le sport, sa position y est paradoxale car il maintient tout en même temps une priorité de l’injonction naturelle avec l’impératif de la découverte technique et médicale appliquée aux athlètes. On peut parler d’une véritable schizophrénie de l’institution sportive qui postule à la fois deux  énoncés totalement inconciliables : laisser parler la nature et modifier entièrement le corps afin de l’adapter aux impératifs de la performance. Car c’est par le biais des techniques que l’homme parvient à disposer de son environnement : il ne s’adapte pas seulement au monde extérieur mais il le fait se plier à ses contraintes intérieures. La culture est le nom donné à ce mode d’appropriation du monde extérieur et à l’opération de transformation de ce monde en un monde intérieur.

Longtemps le rôle de la culture à été pensé sous le mode d’une révélation, ce qui s’exprime par la culture ne serait qu’une Nature qui disposerait les individus et distribuerait les qualités selon un plan naturel ou divin. Il existait ainsi au XVIIe siècle, « un je ne sais quoi » de l’esthétique classique, quelque chose d’indéfinissable qui permettait à une classe sociale d’énoncer le Beau, de dire le goût. Une disposition qui se voulait naturelle et qui permettait à l’aristocratie de gouverner les arts. De la disposition naturelle à dire le Beau à celle d’énoncer le juste et l’injuste il n’y a qu’un pas. Ainsi celui qui dit le Beau est aussi le plus apte à déterminer ce qui est bon pour les hommes, « l’homme de goût » devient ainsi homme politique. Du moins ce serait la nature qui aurait placée ces facultés en l’aristocrate. reprenant cette tradition qui va d’Aristote aux jurisconsultes « certains sont nés pour gouvernés, d’autres pour être gouvernés »[v]. Le détour par la nature permet de faire oublier l’iniquité de l’oppression, de la justifier par une volonté extérieure et supérieure. De détourner le ressentiment des fauteurs de misère vers une substance transcendante inaccessible à l’action des hommes. La nature devient alors un instrument technique d’aliénation, un moyen politique de gouvernement. La Nature prend le sens de concept régulateur, elle permet à partir de l’affirmation d’une origine de mesurer l’écart avec la situation présente. L’affirmation d’une origine des jeux et de la concurrence entre les hommes conduit à affirmer la nécessité de sa présence, et à l’absence de jugement de ses détracteurs. C’est cette nature qui apparaît comme un enjeu majeur de la biologie du début du XXe siècle, Spencer, Haeckel reprendront les travaux de Darwin pour produire une « politique et une hygiène de la race ». La biologie distingue alors entre les hommes, il y a des « races » qui s’opposent, la  race  blanche européenne étant celle qui possède les caractéristiques les plus purs, en elle la race germanique s’oppose à la celtique. Darwin accrédite cette idée en posant qu’il y a moins de différence entre des individus d’une même race qu’entre des races différentes. C’est tout un temps et toute une recherche qui sont engagés dans une voie qui aboutira au National Socialisme. On voit ainsi  la science allemande se mettre à disposition de la théorie raciale et de la nécessaire supériorité génétique d’un groupe humain sur d’autres. Le sport devient l’occasion de révéler la puissance physique non pas d’un individu mais de tout un groupe, de toute une race. Le spectacle sportif devient un spectacle racial.

Les Jeux Olympiques :

Le baron de Coubertin annonce son objectif olympique par une formule devenue célèbre,  « je rebronzerai une jeunesse veule et confinée, son corps et son caractère par le sport, ses risques et même ses excès ». Le programme est celui d’un « naturalisme révolutionnaire » appliquée aux sports, il s’agit d’indiquer un contenu pour le faire être. La nature n’est pas derrière nous mais devant, « dit moi quel est ton but et je te décrirai ta nature », en même temps qu’il invente une fonction nouvelle à ce qui est en train de devenir « le sport » au sens contemporain du terme : voila même en un sens son véritable acte de naissance. Ici l’idéologie ne fait pas que décrire un processus de refondation, aussi elle accuse : veulerie, confinement, absence d’un corps fier et d’un caractère fort, tels sont les attributs de ceux qui refusent l’attrait sportif. Il ne s’agit pas seulement de déterminer une nature mais aussi de s’opposer à une autre. Il y a dans la volonté olympique celle d’en découdre, de dénoncer un certain type et usage du corps pour imposer un autre modèle. Coubertin est, nous le rappelle Jean-Marie Brohm, un partisan de la « sélection raciale » il peut écrire « il y a deux races distinctes : celle des hommes au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs à la mine résignée et humble, à l’ait vaincu. Et c’est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n’est applicable qu’aux forts »[vi]. Les choses pourraient avoir changées, lors de la campagne parisienne de promotion de la candidature de la ville de Paris pour les Jeux Olympiques de 2012 sur l’hôtel de ville était placé un écran défilant géant où l’on a pu lire « un esprit sain dans un corps sain ». Les mêmes spectres hantent le corps et le sens critique disparaît totalement face aux sports : un maire socialiste peut laisser s’afficher des slogans eugénistes indignes d’une démocratie. Il y a ici une véritable anthropométrie sportive[vii], une opération de « police physique et mentale ». Mais l’action est ici doublement abusive : elle ne fait pas que décrire un modèle imaginé comme si il était une réalité mais elle contraint à réfléchir le présent culturel du corps sous des vocables naturalistes. Ainsi le cadre de ce nouveau corps « naturel » prendra comme propriétés la franchise, l’élargissement, son caractère comme son corps seront « trempés ». Vocabulaire du fer, de l’acier, de la sidérurgie, curieux mélange après l’enchantement des feux de camps, la sémantique sportive n’est pas à ça près – un caractère de fer, une volonté de fer, un corps d’acier. Déjà le sang n’irrigue plus cette nature, il est dès son origine remplacé par le métal, par le symbole même d’un temps voué à la grande industrie, par l’usine et son cœur palpitant de feu et de vapeurs. Par l’ordre qui y règne grâce à tous les appareils de contrôles qui s’y déploient. En même temps les images sont bien celles de la campagne, de la forêt, des rivières où se jettent du haut de promontoires des corps jeunes, sculptés par le sport et le travail. C’est le temps des « auberges de jeunesse » où l’accent est mis « sur la jeunesse, le corps et le nature, dans un but éducatif et hygiéniste ». Nous sommes devant l’éloge du pré, de la campagne et du contact grâce à elle avec un corps pur libéré des miasmes de la ville, de sa promiscuité aussi. Se libérer du contact trop étroit avec l’homme, préférer la campagne et les forêts, la morale des champs est ici édifier contre le contact fétide des villes. « L’homme pue », c’est en substance le message de l’Ordre Nouveau qui s’annonce. La campagne à les faveurs de Drieu la Rochelle, l’ordre nouveau suit de peu la mise en ordre des corps. En 1936 Léo Lagrange alors Sous-secrétaire d’Etat auprès du Ministre de la santé déclare à « La voix de Paris » : « Loisirs sportifs, loisirs touristiques, loisirs culturels où doivent s’associer et se  compléter les joies du stade, les joies de la promenade, du camping, des voyages, les joies des spectacles et des fêtes ». (p.118). On peut lire ici seulement l’heureuse manifestation d’une libéralisation des corps et des moeurs qui jusque là étaient douloureusement et doublement corsetés par les vêtements et le puritanisme ; mais aussi et plus souterrainement l’apparition d’un nouveau paradigme, celui du corps sain qui va utiliser comme arme principale pour sa croisade le sport. La ville de Suresnes voit s’implanter sur les hauteurs du Mont-Valérien une école aérée[viii], au début du XXe siècle l’hygiénisme tente de soustraire les enfants aux affres de la misère, en cette école tout est fait pour que les enfants puissent prendre le soleil sur des solariums, pratiquer la natation, la danse, les arts plastiques, être dans la nature, faire du sport. Mais l’eugénisme guette. Les mêmes concepts irriguent des systèmes différents, le socialisme croit en l’éducation et aux progrès de l’homme, tandis que d’autres surveillent déjà les germes d’une nouvelle humanité. Même chez Edouart Vaillant, qui a crée cette école,  l’un va côtoyer l’autre. Vouloir rectifier les injustices sociales par une correction physique et psychique en soustrayant les enfants au cadre maladif d’une classe sociale prise dans les effluves et les miasmes,  la tuberculose, l’alcool, la proximité, la malnutrition. Déjà dans le monde ouvrier des plaintes s’élèvent, soustraire les enfants pour leur santé en les privant de leur parents puis les replonger une fois adulte dans le ventre de la grande industrie, ou plus rapidement, dès allant mieux, dans les cités ouvrières, dans la misère. Alors la tentation pour les Etats d’évoquer une responsabilité, de fabriquer une nature ouvrière, naturellement du côté de la paresse et de la dépravation – incriminer une nature pour ne pas en réfléchir les causes, inventer un type d’hommes pour se dédouaner des origines politiques du méfait. Produire un laboratoire d’abord à l’échelle d’une classe sociale et d’âge puis l’étendre. Vanter l’air pur pour célébrer les corps purs, se libérer des hommes pour chanter et louer la Nature  à travers l’exercice du sport. Non loin de la nature campe la race. Alors les Jeux Olympiques de 1936 en Allemagne voient la naissance de ce corps nouveau né de l’alliance de la Nature et du fer, « le sport fut à Berlin, du 2 au 15 août, la raison d’Etat, et la seule, toutes autres affaires cessantes. Que le sport ait été mis au service de la race, personne ne le contestera. A l’aide d’une manifestation athlétique d’intérêt et de participation mondiaux, le führer et ses collaborateurs donnèrent aux peuples le spectacle d’une Allemagne régénérée physiquement et moralement, sûre d’elle-même, organisant à la perfection, donnant l’impression d’une race en parfait équilibre et en plein essor »[ix]. La régénération par le sport, la chrysalide voit sortir « une race » nouvelle, portant dès son enfance uniforme, drapeau et insignes. Qui mieux que le sportif incarnerait cette transition de l’homme vers « l’Aryen » ? « L’athlète : aventureux, lyrique. Il sent vivre en lui un être secret (…) que crée l’effort athlétique, qui domine de haut le train-train journalier des organes »[x]. On connaît cette poésie qui encense la force et la mort, qui magnifie le corps par une alliance entre lyrisme et aventure. Fièrement les bras ce tendent vers un salut qui deviendra le symbole de la perte de conscience et d’humanité de toute une nation et avec elle de beaucoup d’autres. C’est cet « être secret » qu’il nous faudrait traquer, qu’est-il ? il est le résultat de l’effort et non sa cause et pourtant il possède une vie autonome et riche qui lui permet de s’affranchir du « train-train » des organes, du quotidien de l’homme ordinaire, du « métro-boulot-dodo » de la santé, en le propulsant du côté du sur-corps et de l’inconnu : caché derrière le moi se cache un autre être celui-là capable de s’affranchir des bornes de la vie ordinaire… capable de tout. L’histoire malheureusement le confirmera. Il saura rompre non seulement avec les corps « ordinaires » mais aussi avec la morale « ordinaire ». Ainsi le système nazi fait se côtoyer les camps d’extermination avec un souci zoophilique. Il s’agit par le sport de parvenir à une sorte de coïncidence avec l’animalité, le rapprochement avec la bête est sportive. Le système nazi est le premier à engager des réformes importantes pour protéger la Nature, et principalement en elle les animaux. Dans un discours Hitler annonce le programme de la future loi du 24 novembre 1933 sur la protection animale : « dans le nouveau Reich il ne devra plus y avoir de place pour la cruauté envers les animaux »[xi]. Souci des bêtes et destruction de l’homme, cela pourrait sembler contradictoire, nous pensons plutôt que ces projets se complètent. On se souvient du capitaine d’un navire de Greenpeace qui pour montrer son indignation face au « massacre » d’une centaine de baleines organisée sur les Iles Féroé rituellement par la population chaque année[xii] parlait d’une « atrocité digne des camps d’exterminations nazis ». Les mouvements écologistes portent avec eux ces excès, Greenpeace veut le dépassement des valeurs humanistes au profit de valeurs « suprahumanistes  qui placent toute vie végétale et animale dans la sphère de prise en considération légale et morale »[xiii]. Prôner l’animal pour atteindre l’homme puis dépasser l’homme pour permettre l’expression de la Nature. Un chercheur en sciences humaines a travaillé sur des centaines de documents du IIIème Reich sans jamais rencontrer le mot « tuer », lorsqu’il le croisa enfin il était lié… à un chien. Le vocabulaire est le premier ennemi du totalitarisme, le déguisement, le déplacement du sens est son allié, le mensonge est d’abord dans le langage[xiv]. Il y un glissement sémantique qui s’opère et qui tend à injecter rétrospectivement dans le passé des termes qui y étaient alors dépourvus de tout sens. Ainsi parler de sport dans la Grèce ancienne est une erreur dont nombreux ont déjà éclairé la source[xv] mais que les auteurs relais pourtant à l’envie, « a en croire les descriptions d’Homère, les concours sportifs existaient en Grèce dès le IIe millénaire » écrit dans son Histoire des Jeux Olympiques Françoise Hache[xvi]. La modification du vocabulaire ou l’adaptation du passé à un cadre idéologique ou sémantique présent sont le signe d’une « révision historique » car ce cadre donne à pensée des choses fausses sur des évènements qui sont connus autrement dans le contexte d’une histoire comparative rigoureuse. Ainsi si nous devons l’origine et la signification du terme de « sadisme » à Sade tout auteur ultérieur qui évoquerait ce terme pour désigner une situation antérieure à l’invention du terme serait dans une double imposture : fabriquer un passé investi de représentations contemporaines serait nous faire penser que l’on réfléchissait avant avec les cadres actuels de notre culture, c’est aussi s’épargner l’effort de tenter de comprendre une société où tous nos repères sont défaits.



Le roman des origines.

« la vraie nature, qu’il faut à tout prix protéger contre les méfaits de la culture, n’est pas celle qui a été transformée par l’art, et par là même humanisée, mais la nature vierge et brute qui témoigne encore de l’origine des temps. Il est impossible de comprendre l’écologie nazie si l’on ne perçoit pas qu’elle s’inscrit dans le cadre d’un débat séculaire sur le statut de la naturalité comme telle. »
Ferry Luc, Le nouvel ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme, éd. Grasset & Fasquelle, 1992, p.151.

Le sport serait le lieu cathartique d’expression de la nature en l’homme – il y a une origine rêvée du sport dans l’origine même de la nature humaine – vers le besoin d’exprimer par son corps la voix de la nature - espace du langage animal, de cette langue biologique qui autrement nous échapperait. Le sport permettrait de retrouver un langage premier ou primal, celui de l’instinct et de la nature. Celui de l’agression certainement – ainsi toutes les narrations sur les origines de l’homme décrivent un univers où règne la puissance physique, l’empire de la force qui à pour palais l’origine animale de l’homme. Cette agressivité est donc l’effet de la nature en l’homme, la biologie est sa source, autrement dit la vie elle-même – la métaphysique déjà pointe, car la vie se trouve inexplicable, elle se constate mais elle ne se comprend pas réellement, on approche son mécanisme par le vivant ou paradoxalement par le mort mais la Vie peut devenir un principe métaphysique puisque le simple constat de l’organisation mécanique des organes ne donne pas la vie : « le cadavre conserve les mêmes organes que ceux qu’il possédait l’instant auparavant, mais il est mort ». Le sport se constate de la même façon que la vie, il lui serait lié par la même origine, autrement dit « naturellement »[xvii]. Il y a invention alors d’une nature sportive, d’un mythe du sportif originel, le premier homme serait aussi le premier sportif : le sport à toujours été, on trouve son apparition en même temps que celle de l’homme. Il y a toujours lié au discours sur le sport l’omniprésence de l’origine – l’exercice physique, quelque soit sa direction est rapportée finalement à l’esprit sportif : déjà la lutte pour la survie est le prélude aux formes contemporaines d’affrontements sportifs, le combat des hommes est ramené à la boxe ou à la lutte, la projection d’un projectile au lancer du javelot ou du marteau, bref tout fait sens pour le sport et finalement toute activité humaine est son ancêtre. Le sport actuel n’étant rien d’autre que l’état dernier de sophistication des techniques du corps, posant ainsi une continuité entre le passé et le présent et établissant une grille de lecture de l’histoire à partir du sport comme référent indispensable à la compréhension des événements humains. Histoire linéaire donc, continuum de temps qui échappe aux particularismes culturels de chaque civilisation, peuple ou ethnie. Il y a toujours eu des sportifs c’est ce que clament tous les tenants de l’institutions sportives. Ce phénomène serait aussi ancien que celui du langage. Mais alors que l’un détourne de la nature l’autre serait sa survivance dans un cadre désormais non plus animal mais proprement humain. Le sport serait la saisie spécifiquement humaine de la nature. C’est cet événement qui est fêté par les Jeux Olympiques.  Il y aurait « une part maudite » dans cette proximité entre le sport et la nature. En effet l’homme fête et reconnaît dans l’exploit sportif sa part animale ou motrice, sa capacité à montrer sa force, sa puissance, sa détermination. Le corps, le jeu de la musculature, la violence du corps en action, la force animale. Et en même temps toute la couche de culture sédimentée sur l’homme qui l’empêche d’accepter la crudité de son désir d’affrontements et de victoires. Le sport doit donc être une activité asexuée. Le sport délaisse le sexe, il ne retient de la nature que l’agressivité – qu’un défoulement sans sexe – en taxinomie clinique on dirait que le sport est le support idéal de l’hystérie – le refoulement du sexe y est tellement poussé qu’on peut parler ici d’une névrose sportive – le fantasme de faire oublier par le mouvement sportif cet autre mouvement, celui-là lascif, de l’acte sexuel. Conserver une partie biologique en renonçant à la part maudite du corps, au sexe. Faire en sorte que le l’exercice du corps aille à l’encontre de l’exercice subversif du plaisir par le sexe : on se souvient qu’en Grèce ancienne la participation déjà aux activités du gymnase sert à renforcer l’appartenance à une Cité qui chasse la sexualité du côté de la biologie, de la maison, de la femme. La fréquentation des gymnases est la garantie d’obtenir « la poitrine robuste, le teint magnifique, les épaules larges, la langue courte, la fesse grosse, la verge petite » s’inscrivant ainsi en contre champ de ceux qui se livrant à la parole facile et aux banquets auront « le teint pâle, les épaules étroites, la poitrine resserrée, la langue longue, la fesse grêle, la verge grande.[xviii] ». Deux mondes se font face, deux esthétiques aussi, l’entraînement produit le corps, la langue et la verge longues sont le signe d’une parole et d’une sexualité abondantes car mal réglées, sans ordre, l’avachissement du corps n’étant plus alors que le signe de cet abandon. Au contraire la vigueur du corps dur est signe de cet effort pour sculpter le défenseur de la Cité. La civilisation est comme une ville[xix], elle n’en finit pas d’intégrer et de modifier des bâtiments, on construit sur les ruines anciennes, mais pour la conscience, au contraire du simple habitant, rien ne se perd, tout est conservé, les anciens sites sont présents en même temps et aux mêmes lieux que les nouveaux. Ainsi la rudesse des instincts côtoie le raffinement de la culture, plus : la culture est bâtit sur le même lieu que l’horreur et la destruction de l’autre.  Il n’y a pas de mystère de la barbarie chez le peuple le plus raffiné, la culture n’est pas un rempart, juste l’intégration des valeurs de groupe qui peuvent devenir dans l’exagération attribuée à la valeur de ce groupe le dénie de toute présence humaine hors du groupe d’appartenance ou de référence : le système nazi.


 Le sport au risque de l’histoire :

Durant la période hellénique l’activité physique était à disposition de la guerre, l’exercice physique devait fortifier le corps et l’esprit. L’objectif était la fabrication d’un type d’homme alliant à la fois les qualités de l’esprit et celles du corps. Mais nous sommes là dans un monde où la coupure dont nous parlions dans notre introduction n’a pas encore eu lieu, les grecs anciens ne distinguent pas entre âme et corps, comme la religion qui nécessairement est civile au sens où elle s’accomplit dans le cadre de la vie pratique de tous les jours, les dieux sont présents avec les hommes, en eux-mêmes souvent. Importer la figure de l’athlète de la Grèce ancienne et le plaquer au monde du début du XXè siècle est une erreur qui témoigne soit d’un esprit borné soit d’une intention maligne. La combinaison de l’esprit borné et de l’intention maligne donnera le IIIe Reich. Rendre plus fort, rendre insensible à la douleur, rendre sourd à la pitié : nous avons là les trois axes de la préparation sportive dans le système totalitaire nazie. Le bronze Prêt au combat montre un corps musclé, énergique, la main sur le pommeau du glaive. La ressemblance avec les statues grecques et romaines est présente, sinon un décalage. Alors que chez les grecs il y a une ambiguïté du marbre, une grâce qui s’exprime jusque dans la musculature, jusque dans le jeu souple des membres. Ici nul ambivalence, nul flottement dans l’identité. La statue est massive, lourde, la musculature veut évoquer déjà l’impitoyable. Et puis ce visage censé sortir de la nuit des temps, des origines de l’homme qui a force de contractures de la mâchoire semble formé d’angles droits, la bouche n’est qu’un trait. L’esthétique du IIIe Reich ouvre le livre de la Nature pour y puiser des représentations, puis le referme en prétendant avoir trouvé la source des Dieux : la race aryenne.

Hitler dans ses Entretiens avec Hermann Rauschning dira qu’il faut « opposer à l’histoire la destruction de l’histoire ; destruction de l’histoire qui va rendre au sang noble la place qui lui revient »[xx] ; et il peut poursuivre en mettant le « combat pour la race » au premier plan de ses priorités. Cette race qui ne peut être à la fois pour Hitler sémite et aryenne : « le juif… est beaucoup plus éloigné de l’animal que nous Aryens. C’est un être étranger à l’ordre naturel, un être hors nature »[xxi] en un sens toute la civilisation et avec elle la conscience serait une invention juive. Ne voyant pas le paradoxe d’attribuer tout à ceux qui pour lui ne sont rien, Hitler peut engager un combat contre les juifs au nom d’une lutte naturelle ou plutôt d’une lutte pour réhabiliter la nature, on se souvient de ces images de savants allemands regardant fascinés la lutte à mort de deux insectes[xxii], telle serait le destin des espèces, une lutte à mort où il s’agit d’appliquer l’aphorisme de Nietzsche énoncé dans la IIIe partie de Zarathoustra « Devenez durs ! »[xxiii]. Mais on comprend aussi pourquoi les clubs sportifs sont interdits aux juifs dès 1933 (130 000 juifs sont chassés des clubs sportifs allemand cette année là), les aryens sont les hommes de la nature, du contact physique direct avec l’animal, donc avec le corps. Et le sport est le révélateur physique, il est le « transparent » naturel, capable de laisser voir cette nature même derrière le filtre de la civilisation. Il faut interdire aux non-aryens une présence sur ce sol naturel qui serait légitimement leur seule propriété. Détruire l’histoire et d’abord par le sport, par cette instrument qui permet d’endurcir les corps et les esprits, le sport est ici penser pour rendre sourd et aveugle, pour couper d’avec les « sens moraux », d’avec les sentiments. Il est conçu par Hitler comme le prélude à l’extermination.



Le trouble sportif :

Le sport serait pour Todorov le prolongement de l’héroïsme perdue des temps de l’affrontement. La société ne peut se construire sans renoncer aux valeurs guerrières qui animaient autrefois les hommes, en même temps elle fait réapparaître ces valeurs autrement, d’une façon non plus utile à la conservation de la vie, mais cette fois inutilement à travers des manifestations gratuites permettant l’exacerbation de ce qui doit être ordinairement refoulé. Si « la sauvagerie du corps à corps est civilisée dans la rivalité sportive »[xxiv], en apparence donc le sport reprend des valeurs de civilités, il serait combinable avec la démocratie. Todorov oppose alors les « vertus quotidiennes aux vertus héroïques »[xxv], les premières comprennent « la dignité, le souci, l’activité de l’esprit », les secondes « la puissance, le courage, la loyauté ». Elles sont appropriées aux temps de paix et indispensables en temps de guerre « pour rester humains, en témoignent tous les exemples concernant la vie dans les camps »[xxvi], les secondes exaltent un parfum de mort, elles sont sans souci autre que de soi, « le beau geste » remplace les valeurs de solidarité et de reconnaissance d’autrui. Bien sûr ces valeurs peuvent êtres parfois « indispensables en cas de crise grave, de combat à la vie à la mort, de révolte ou de guerre », toutes ces situations sortants du cadre normal de l’expression politique plurielle et démocratique. Or si la guerre est une solution, elle est coûteuse, le sport est plus avantageux, il permet tout à la fois la manifestation de violence et sa neutralisation apparente par un spectacle qui se veut à la fois pacifique et ludique, il célèbre les vertus héroïques mais cette fois sans un  but réel – disponible donc pour toutes les célébrations et interprétations, on s’interroge encore aujourd’hui sur l’opportunité de la participation des nations aux JO de 1936, comme à la coupe du monde de football en Argentine sous la junte de Pinochet, et qui peut dire si les jeux de Pékin ne témoigne pas de l’ouverture prochaine de la Chine ?

 Quel lien entre « l’école de mécanique », où l’on torture, et ce stade à un jet de pierre d’elle où l’Argentine affronte la France ? C’est précisément ce lien qui jamais ne va de soi avec le sport, qui conduit au doute jusque dans l’évidence. Le sport profite toujours d’un « flottement causal », il serait tout entièrement de liens sans possibilité d’établir clairement un rapport entre l’activité sportive et les phénomènes sociaux qui se déroulent à côté de lui, sans lui. Si un chanteur venait dans le même stade et au même moment se produire on ne pourrait que poser un jugement moral sur sa participation ou sa collaboration à la répression de la junte militaire, de même pour un politicien ou pour n’importe qui – or le sport échappe aux condamnations, partout, et dans les pires conditions souvent, il s’accomplit sans que beaucoup s’insurgent d’une telle proximité entre son spectacle et la dictature qui l’accueille. Plus, il devient le  lieu d’une promesse de jours meilleurs, étendard d’une liberté en marche qui s’illustre déjà par la rencontre entre une dictature et le pays des droits de l’homme . Le boycott est vilipendé comme non responsable et non acceptable. Le sport n’est jamais dénoncé comme le moteur d’une aliénation qui ne peut se perpétrer que par sa présence, plus qui se fonde avec lui. La Chine devient plus acceptable avec les Jeux Olympiques, le sport parviendra à réunir les peuples : le sport porte la mort avec un habit d’Arlequin[xxvii].

Lors d’une émission radiophonique diffusée sur France Culture avec un spécialiste canadien de la discrimination positive, deux exemples furent pris : le premier lors des Jeux Olympiques de Mexico de 1968 où deux athlètes noirs américains, Tommie « Jet » Smith et John Carlos, sur le podium du 2OO mètres baissèrent la tête et levèrent le poing ganté (emblème du Black Panther) en signe d’opposition à la politique ségrégationniste des Etats-Unis, le deuxième exemple est celui des Jeux Olympiques d’Atlanta où  des jeunes athlètes noires américaines levèrent fièrement la tête lors de l’hymne américain, signe pour lui d’une intégration réussie de la communauté noire américaine, et des progrès démocratique pour l’égalité des chances aux Etats-Unis. Ces deux événements ne sont pourtant pas équivalents : dans un cas les athlètes noirs sortent du sport pour délivrer un message politique,  ils quittent « la neutralité sportive » pour faire entrer les revendications dans tous les champs de la société civile, les Jeux Olympiques deviennent alors une tribune mondiale pour la cause de la « minorité noire » américaine. Dans le cas d’Atlanta la fierté d’appartenance est strictement individuelle et ne prend pas une figure générale ou universelle – la joie de ces athlètes n’est pas liée à l’amélioration des conditions de vie des noirs aux Etats-Unis, mais à leur sentiment personnel de réussite et d’intégration – autrement dit on fait parler les athlètes comme des figures générales alors qu’ils affichent une position de consensus avec une institution sportive étendard d’un « esprit national » qui ne supporte plus aucune critique. Peut-être que ces deux poings tendus vers un avenir meilleur ont sonnés le glas de l’innocence des athlètes, désormais ils sont contrôlés idéologiquement, ils deviennent l’objet de toutes les attentions et de tous les soins – les athlètes doivent s’engager uniquement pour eux-mêmes et pour le sport, toute position politique est dictée par un plan de carrière qui supporte le « politiquement correct » du combat caritatif mais qui exclut l’engagement partisan ou militant. Pour un sur le podium combien sont éliminés, déscolarisés, brisés dans des centres d’entraînements pour les meilleurs, dans les clubs locaux pour les autres ? Dans Le Monde on trouve un article sur le film de Thomas Carter Coach Carter ou le sport est dépeint comme un puissant moteur d’intégration quand il est inculqué par un entraîneur de talent. Celui-ci fait signer un contrat aux joueurs qui devront poursuivre leurs études pour pouvoir être dans son équipe. Le sport est ici pensé comme la dernière voie possible pour une population noire en perdition. Le sport rattrape les inégalités politiques et sociales, il faut encore associer ce sport bienfaiteur à l’éducation pour obtenir une société plus juste. Alors le film s’engage dans un autre propos,  il « dénonce le consensus qui a cours jusqu’au sein de la communauté noire, qui fait du sport un lot de consolation accordé par le système scolaire, aux lycéen de couleurs qu’il rejette par ailleurs »[xxviii], il parviendrait presque à ce constat que seule une éducation bien faite est à même de conduire les hommes et les femmes vers l’égalité et la prise de conscience. Le film pourrait donc conclure sur l’impossibilité de parvenir par le sport à un quelconque progrès collectif.

De l’usage idéologique d’un terme

Nous pouvons observer que la nature joue plusieurs rôles dans le champ sportif, elle est d’abord ce qui permet de renvoyer le sport à une origine aussi lointaine que celle du langage, confondant toutes formes d’activités sous la même appellation, elle deviendrait bientôt la première forme d’expression humaine et pourquoi pas ce par quoi l’homme est pleinement lui-même, une forme déjà nommée homo-sportivus qui remplacerait l’homo-sapiens ou l’homo-faber à bon compte. Elle est aussi un puissant moteur dans l’identification d’une façon strictement humaine « d’avoir un corps » - car si la proximité avec la nature est importante il ne faut pas que toute distance soit abolit – l’animal en effet est son corps alors que l’homme est dans un rapport transcendantal à celui-ci, l’homme se connaît comme possédant un corps. La pensée tournée vers le corps est encore une manifestation de cette matière qu’est l’esprit. C’est encore dans le corps qu’il faut séparer - l’espace du sport devient un espace visible de séparation entre le corps et le bas-ventre, entre cette partie qui doit être enseignée et renseignée et cette autre part qui est celle des entrailles, de la sexualité et des excréments – nôtre part excrémentielle, notre part semencielle. Et puis la peur de l’inaction, le risque de voir les enfants corrompus par la conjugaison d’une imagination qui s’enflamme et d’un corps laissé en friche. Le sport doit servir  tout à la fois de ceinture de chasteté et de camisole de force : empêché la masturbation d’abord, empêché les troubles sociaux ensuite. L’éducation sportive ressemble étonnement à une recette pour calmer l’amour et les troubles – une exténuation du sexe par une dépense énergétique salvatrice. Le sport est l’entreprise de mutilation du corps la plus grande dans l’histoire des hommes avec cette autre qu’est la religion. Si autant de voix se lèvent contre les actions mutilatrices  ne devrions nous pas aussi condamner une pratique sportive qui commande l’oubli de toute une part de notre identité ? Ne devrions nous pas entendre derrière cette recommandation du sport un appel à la fin de la sexualité, un rappel de l’ordre moral et de la sécurité ?

Comme ces entreprises de pacification sociale, contre le bruit, les pétards, les jeunes, que sont les « gendargyms » ou autres variantes de la Police Nationale et demain municipale. Encadrer les jeunes autour d’activités physiques, faire de la paix sociale non plus un enjeu politique mais sportif. Dans l’arrangement des conditions de vie des quartiers, dans la mise en avant d’une pensée sur ce qu’est l’ordre et aussi le désordre, dans le la place de l’éducation dans la société et pour le recul de la criminalité nous trouvons des enjeux de vie, lieu même de l’expression d’un renouveau du « contrat social » ; montrer aux jeunes que les moniteurs sportifs de la Police Nationale peuvent montrer la voie non délinquante de la force physique.  L’encadrement sportif permettant le contrôle dans le temps, la diminution de la pulsion sexuelle traduite désormais en énergie sportive avec pour avenir la suppression des conduites délinquantes. Pourtant le spectacle offert par le sport de compétition semble bien éloigner de l’objectif : jamais le sport n’a engagé autant de conduites asociales et inamicales . Quitter la célébration sportive pour entrer dans le vif du sujet : le sujet est un tout, comprenant un corps sexué et pensant. Faire l’économie du sexe et de la pensée afin d’éviter la formulation du problème : l’institution sportive est un ralentisseur démocratique. Le sport nous dirige vers un collectif non démocratique. Vers un monde sans égalité. Là est peut-être le pommeau de la discorde : le sport clame la liberté, le politique réclame la liberté et l’égalité. La liberté est toute d’entreprendre, elle suppose volonté et engagement, elle est conquérante. Elle est nécessaire au politique mais dans un monde bien fait elle ne serait que sa conclusion : une société démocratique suppose que tous ses membres soient déjà égaux afin qu’il y ait une assurance sur la possibilité et la pertinence de chacun à s’exprimer.

La Nature est le couvert des riches, elle permet de légitimer ce qui autrement ne serait qu’un abus et une spoliation. Au nom des origines on maltraite, on tue. Autrefois les monarques, il y a peu le système nazi, et demain ? Le sport pourrait se prêter à une nouvelle forme d’exploitation, en s’associant à la nature il deviendrait un puissant moteur idéologique, mais d’une idéologie invisible, un fantôme de la pensée – un spectre d’autant plus puissant qu’il est partout, trans-national, et cependant en même temps  dans l’espace temps traditionnel, capable donc de devenir le représentant de tous les nationalismes.

Conclusion :

Derrière les mots se cachent des mondes, le travail de l’idéologie est de tenter de nous faire croire que le mot est le calque du réel et non le réel une fabrication du langage.  Notre attention doit donc être fixée sur les actes de langage, sur notre façon de poser avec lui un monde. Et de dénoncer certaines utilisations qui visent à recouvrir le réel d’ombres.

Le XXIe s’annonce comme celui des « corpologies ». Le terme de corpologie désigne le processus qui fait mettre en avant le corps pour le corps, un pouvoir du corps qui suppose une forme de « métaphysique vide ». Ce concept plébiscite le corps et affirme l’inutilité du recours à la pensée ou a l’idée ; dans le même temps la corpologie implique tous les systèmes qui se servent du corps pour susciter adhésion : le corps est alors un modèle, un paradigme presque, il permettrait sans recourir au discours d’accéder à une plénitude de sens. Il faut alors faire apparaître la genèse de cette transformation, ce passage de l’idéalisme à la corpologie, par l’inventaire et l’analyse des champs constitutifs de ce phénomène. Montrer que le support idéologique désormais n’est plus du côté de « l’idée » mais du côté du corps – le sport en est une des manifestations les plus patentes, mais cette monstration du corps prend aussi des formes multiples dans l’échange marchand comme dans la sexualité; de même il s’installe en politique sous la forme du dénie de la nécessité de la réflexion et de la pensée. L’un des aspects de l’idéologie réside dans sa prétention démesurée a être capable d’expliquer tout le réel, il y a alors une forme de cristallisation des idées qui se figent en dogmes. Peut-être que le destin de l’idéologie se trouve nécessairement dans la négation de la pensée comme phénomène. Elle ne supporte plus ni l’objection ni la contradiction. La corpologie tente de faire l’économie de toute forme de réflexion – le corps sentant est autosuffisant dans le déploiement de ses expériences, le recours à un être pensant n’est alors plus nécessaire ni légitime. 




[i] Faye Jean-Pierre, le siècle des idéologies, éd. Armand Colin, coll. Agora, Paris, 1996.
[ii] Furet François, Le passé d’une illusion, Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Robert Laffont/Calmann-Lévy, Paris, 1995, p370 cité in Faye, ibidem,  p.49.
[iii] Bloch Marc, La société féodale, éd.Vrin, Paris, 1986, p.11. 
[iv] Le sport comme solution politique, le capitalisme va se trouver en mal d’idéal et inventer de toutes pièces l’olympisme. C’est l’analyse développée par Philippe Simonnot Simonnot Philippe, Homo sportivus, éd. Gallimard, Paris, 1988, p.24, « l’une des clés de cette réussite formidable, qui a redonné vie à un rituel olympique abandonné depuis quinze siècles est la transformation du capitalisme lui-même dans les pays touchés par la Révolution Industrielle. Le capitalisme avait besoin du sport, non seulement parce qu’il était à la recherche d’une morale qui viendrait se substituer à l’idéologie défaillante de l’intérêt économique, mais aussi parce que les patrons de la grande industrie accumulaient de tels pouvoirs qu’ils étaient à la recherche d’une sorte de légitimité… (grâce au) sponsoring sportif. » Cette analyse si elle est pertinente historiquement souffre d’avoir presque vingt ans, le profit aujourd’hui est La légitimité, nul doute que la réussite sociale soit devenue le signe général d’une supériorité, bref une aristocratie du MEDEF a vue le jour, seul changement les titres de noblesse ne sont plus donnés par le Roi mais par le peuple lui-même qui ne laisse pas de saluer sa propre aliénation.
[v] Aristote, Le politique, éd. Vrin, Paris, 1989.
[vi] Extrait de Pierre de Coubertin, « L’Education Anglaise », in La Réforme sociale, livraison du 1er juin 1887 (BN 8° R 4042), p.646, cité par Jean-Marie Brohm dans  le mythe olympique, éd. Christian Bourgeois, Paris,  1981, p.343.
[vii] Fondée sur le modèle de l’anthropométrie judiciaire elle vise à dégager des types. Une anthropométrie sportive se dessine dans le modèle corporel qu’impose le sport, quel sport pour faire quel corps ? On peut déterminer la pratique sportive par un simple regard, tout fait signe : la musculature, la taille mais aussi les vêtements, les chaussures. Il y a une codification du corps qui accompagne une fonction sociale du corps.
[viii] Emission radiophonique, le 06 juillet 2005 sur France Culture, La fabrique de l’histoire.
[ix] on trouve ce commentaire paru dans le journal L’ Illustration en septembre 1936.
[x] André Obey,  L’Orgue du stade, «  Huit Cent mètres », éd. Gallimard, Paris, 1924.
[xi] Ferry Luc, Le nouvel ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme, éd. Grasset & Fasquelle, Paris, 1992, p.147.
[xii] cette pêche répond à des déterminations qui doivent être étudiées éthnologiquement et dont nous ne débattrons pas ici car ils s’éloignent par trop de notre sujet.
[xiii] Publié dans l’Editorial des Chroniques en 1979 ce est repris par Luc Ferry dans son ouvrage Le nouvel ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme, op. cit.
[xiv] voir à ce sujet Klemperer Victor, LTI, carnet d’un philologue, éd. Albin Michel, coll. Agora, Paris, 1996.
[xv] et pour ma part, art. 2
[xvi] Hache Françoise, Jeux Olympiques, la flamme de l’exploit, éd. Gallimard coll. Découvertes, Paris, 1992, p.12. Cette reprise ne doit pas faire oublier que Françoise Hache conserve tout au long de ses explications une distance critique et l’esprit qui l’accompagne.
[xvii] Qu’il nous suffises ici de renvoyer une fois de plus à Jean-Marie Brohm qui traite en détail de la question dans Le mythe Olympique, éd. Christian Bourgeois, Paris, 1981, p.52 et suiv.            
[xviii] Aristophane, Les Nuées, v.1010-1018, trad. Debidour, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1952. Cette citation est extraite, tout comme l’analyse qui la suit,  de l’article « La religion olympique »  Thierry Novarese)  paru dans le n°1 de la revue Illusio, L’olympisme, sous la direction de Patrick Vassort, Caen,  mai 2004.
[xix] Nous reprenons cette métaphore à Freud qui la développe dans Malaise dans la civilisation et la transposons à l’univers sportif.
[xx] Nous trouvons ce passage à la page 24 du livre de Faye Jean-Pierre, Le siècle des idéologies, éd. Arman Colin, Paris, 1996.
[xxi] Faye, ibidem, p.26.
[xxii] dans Le regard du docteur Pannwitz, documentaire de la cinémathèque de Fribourg,  Allemagne, 1991, et aussi dans l’ouvrage de Konrad Lorentz L’agression, Une histoire naturelle du Mal, éd. Flammarion, Paris, 1963, qui laisse supposer dès le titre une naturalité de l’agression et son assimilation à un jugement moral, au moins dans sa traduction française.
[xxiii] Jean Pierre Faye, opus cit., p.28.
[xxiv] Brohm Jean-Marie, Le mythe olympique, éd. Christian Bourgeois, Paris,  1981, p.146.
[xxv] Todorov Léon,  Face à l’extrême, éd. du Seuil, Paris,  1994, p.116. 
[xxvi] Todorov, ibidem, p.116.
[xxvii] Tout ce passage est en large part inspiré par la pensée et le travail de Patrick Vassort, on trouvera dans un de ses  ouvrage Football et politique, sociologie historique d’une domination, Les Editions de la Passion, Paris, 1999, le développement et l’analyse de ce qui est seulement rapporté ici.
[xxviii] Le Monde du mercredi 17 août 2005, p.21.