Philosophie

Mise à disposition d'un matériel permettant de travailler les cours de philosophie.

mercredi 4 décembre 2019


Commentaire de texte - 

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Spinoza – Lettre à Schuller 


Spinoza[TN1]  répond dans sa lettre à une objection posée par Schuller : comment l’homme peut faire des choix libres s’il est déterminé ? La réponse de Spinoza s’ancre dans la modernité naissante. C’est ce moment de la rupture épistémologique où l’héliocentrisme remplace le géocentrisme, ou la connaissance passe de Dieu aux hommes par le biais des sciences, de la raison. Le déterminisme représente l’univers désormais comme une suite de causes et d’effets, la Nature est un système fermé où chaque chose se comprend au regard d’une autre. La question de la place de l’homme ne peut échapper à cette interrogation : qu’est[TN2] -ce que la liberté face au déterminisme ? 
L’idée générale[TN3]  est que l’homme se croit libre alors qu’il est mû par des causes qu’il ignore. L’homme est ainsi lui-même chose parmi les choses, non pas « un empire dans un empire » mais au contraire réduit à la transcription d’un simple rapport mécanique comme une pierre qui penserait agir par elle-même en méconnaissant la loi de la dynamique des corps. Tel est l’homme qui se croirait exception dans la nature : une simple pierre qui ignore les raisons de ses déplacements. La liberté[TN4]  n’est donc pas cette reconnaissance spontanée que décrit Descartes (qui fabrique avec elle la certitude de notre propre existence comme être conscient et libre) mais au contraire la liberté s’obtient seulement par un calcul de la raison qui suppose une distance critique et la reconnaissance de la passion comme cause de cette illusion. La liberté ne se trouvant plus alors que dans la reconnaissance de cette nécessité : c’est elle qui guide vers le chemin d’une liberté qui a pour contenu la raison. 
Pour ce faire[TN5]  l’auteur procède en deux parties. D’abord[TN6]  (« j’appelle libre…déterminée ») il inscrit que Dieu est une substance unique qui ne dépend de nulle autre qu’elle-même, aussi conséquemment il n’agit qu’à partir de sa propre volonté. Au contraire toute chose singulière existe à partir d’une autre chose : l’homme n’échappe pas à cette règle. Il faut ajouter que toute chose particulière dépend d’un tout qui le dépasse.  Dieu seul est cause de lui-même. Suivra[TN7]  une démonstration (« Concevez maintenant… fin du texte) qui rejette comme illusion une liberté qui ignore les motifs de l’action et fabrique avec son ignorance un pouvoir de la conscience[TN8] .

L’auteur commence[TN9]  par un rappel définitionnel, il s’agit de déterminer ce qu’est liberté et contrainte. La liberté est comprise comme ce qui dépend de soi, ce qui implique que ne peut se saisir comme libre que « celui qui agit par la seule nécessité de sa nature ». Celui qui est libre ne dépend que de lui-même. Les termes « sa nature » supposant que sa volonté est directement liée à ses propres possibles et capacités. Alors en négatif on trouve la contrainte qui suppose, pour sa part, autre qu’elle même pour exister. On peut synthétiser l’opposition en écrivant que celui qui ne dépend que de lui-même est dans une logique d’intériorité puisque son action ne dépend que de lui tandis que celui qui dépend d’autre chose que de lui-même est dans l’extériorité. Conséquemment on posera que la liberté n’est possible que pour celui qui est cause de lui-même donc qui ne dépend que de sa propre nature ou intériorité.  

On comprend alors différemment la proposition Spinoziste « l’homme n’est pas un empire dans un empire[TN10]  » : le terme d’empire s’inscrit comme pouvoir, avoir de l’empire sur une chose c’est avoir une emprise sur elle. L’homme ne peut pas avoir un pouvoir sur les choses alors qu’il en fait partie. Il est issu de cette extériorité qui dépend d’autre que lui. Dieu est intériorité – on comprend qu’il ne dépend que de sa nature propre « libre nécessité de sa nature » inscrit Spinoza. Attention la nécessité ici ne renvoie pas ici à une contrainte mais à la distinction intériorité – extériorité. L’homme est « par nature » englobé dans les choses de la nature, on peut ici introduire cette nuance : l’homme fait partie de la nature naturée qui a été pensée par une cause extérieure, Dieu ; au contraire Dieu est la nature naturante cad que la Nature se confond avec Dieu, sa création dépend d’un acte de sa seule volonté. La nécessité est ici seulement interne. Cela[TN11]  annonce la critique de Spinoza à la fin du texte : l’homme est dans l’illusion de la toute puissance de sa volonté qui est une illusion tout comme la liberté qu’elle revendique. Il y a trois niveaux de compréhension : le premier est de poser que l’homme dépend d’une nature extérieure et non de sa nature propre qui n’existe que comme partie d’une nature qui l’englobe, le second qu’il dépend en lui de la tyrannie de ses propres passions en ignorant le motif réel de son action, le troisième dans la reconnaissance qu’il appartient à la nature, il est nature naturée et non naturante.
L’exemple de la pierre en cette première partie permet de valider cette lecture de l’opposition intériorité et extériorité, l’une impliquant la liberté l’autre la contrainte. Lorsque Spinoza écrit « descendons aux choses créés » l’erreur serait d’avoir une lecture pyramidale ou Dieu serait transcendant et les objets sous « son empire ». Dieu[TN12]  est toute chose, il est la Nature et ses objets mais il ne doit pas être confondu avec un législateur ou un souverain : Dieu se confond avec les choses mais il a pour particularité d’être aussi à l’origine de toute chose. L’homme appartient à la nature. Il en est un des produits, il s’inscrit dans une chaîne de déterminations qui échappent à sa raison. Ici la pierre est mû par un mouvement extérieur à sa volonté, loi de la thermodynamique que la pierre ignore, ainsi elle croit libre alors qu’elle est déterminée. Ce serait la situation même de l’homme, allégoriquement nous sommes comme cette pierre. La démonstration de Spinoza vise à ruiner la thèse du libre arbitre. Si toute chose dépend d’une autre chose alors le déterminisme est présent pour elle : elle ne peut s’en abstraire. 

La seconde partie[TN13]  s’inaugure par une mise en cause de l’illusion présente dans l’affirmation de la liberté chez l’homme, cette revendication est disproportionnée. Elle fait abstraction que nous ne sommes qu’une partie d’une nature qui pose des lois et des mécanismes que nous subissons sans les comprendre. Nous sommes assujettis à l’ordre de la nature. C'est donc à partir de l'infini seulement, qu'il est possible de penser cette chose singulière qu'est l'homme.  Il y a alors une nécessité des passions qui découlent de notre statut de chose de la nature parmi les autres choses naturelles. L’erreur de la pierre comme celle de l’homme peut se corriger par la connaissance des causes adéquates : savoir ce qui nous mets en mouvement c’est pour une part se libérer de l’illusion de la pierre… C’est[TN14]  l’intervention de la connaissance dans la chaîne causale qui permet de penser une liberté proprement humaine. Non pas échapper au déterminisme mais s’en servir comme outil pour modifier[TN15]  l’action. 

La liberté devient donc une nécessité bien comprise : connaître le motif de mon action afin de ne pas se retrouver dans la position de l’ivrogne qui est mis en mouvement par l’alcool, élément à sa nature. Cet alcool transforme sa nature, il y cède croyant être maître de lui-même alors qu’il en est seulement le jouet. Celui qui est en colère et qui cède à cette passion, à son penchant, est dans la même situation : il devient le jouet d’une force extérieure. Il croira agir par sa propre volonté alors qu’il est le jouet de forces extérieures. Se libérer de la force aliénante de la passion suppose la connaissance de cette extériorité. Celui qui est en colère et qui se connaît[TN16]  en colère peut résister à cette passion, la dominer en y cédant pas. La liberté se niche là : dans cette capacité à réfléchir la passion qui arrive. La seule force de la liberté repose dans cette capacité à saisir l’extériorité en soi afin d’y échapper ou d’y céder en connaissant la nature de la passion et de l’emportement. Il y a ici un renversement qui transforme l’impuissance en puissance d’agir. La liberté comme nécessité bien comprise. Accroissement de la puissance d'agir par la connaissance des passions et la recherche de l'objet qui convient à notre nature. Se libérer de la force aliénante de l’extériorité, comme l’alcool, la colère. L’enfant lui est agit par une cause extérieure, le lait qu’il croit vouloir est un cri de la nature, une contrainte extérieure que l’enfant ne maîtrise pas. 

Il[TN17]  s’agit d’un préjugé partagé parmi les hommes que celui de la liberté de la volonté, une illusion fondée sur un défaut de la raison. La liberté n’est pas dans le choix mais dans la connaissance, dans la reconnaissance d’un mécanisme extérieur qui permet de reconnaître en soi la nécessité extérieure. La liberté commence à la suppression d’une situation fondée sur l’illusion.









 [TN1]Annonce du texte informé, mise en perspective de la Lettre à Schuller dans son rapport au siècle et au débat des idées
 [TN2]Ici on pose la question principale qui peut s’énoncer aussi autrement : que peut valoir l’idée de liberté face au déterminisme ? Il s’agit en d’autres termes de la problématique. 
 [TN3]Ici position de l’idée générale du texte avec un développement permettant la compréhension de sa construction. L’IG est directement liée au texte et seulement à lui.
 [TN4]Puis les enjeux qui sont une extension ou un déploiement de l’IG – il s’agit d’étendre l’IG au débat général des idées. 
 [TN5]Ici annonce des parties du commentaire – 2 parties qui constitueront les 2 parties du traitement du commentaire
 [TN6]Première partie
 [TN7]Deuxième partie
 [TN8]Il y a une règle d’égalité (relative) des parties – les parties s’équivalent sauf dans le cas de l’intro et de la conclusion
 [TN9]L’analyse commence souvent par l’ouverture du texte, elle est donc d’abord linéaire pour devenir rapidement thématique – l’analyse linéaire produit une analyse de chaque phrase du texte en suivant l’ordre d’écriture. La méthode thématique travaille sur les concepts : elle ne prend pas en compte l’ordre linéaire mais des idées
 [TN10]Extrait du Traité Politique chap 1 – cette formule permet d’inscrire la lettre à Schuller dans un travail plus large ou Spinoza s’oppose à la définition admise de la liberté de la volonté. 
 [TN11]Nous sommes ici dans une exploration thématique qui permet de naviguer dans le texte. 
 [TN12]Il y a ici déploiement de l’appareil critique et conceptuel. Il faut expliquer pour rendre clair le texte en apportant des éléments de compréhension. 
Un devoir maison suppose la lecture de l’auteur et la recherche des éléments permettant sa compréhension 
 [TN13]Le passage à la seconde partie est indiquée clairement au lecteur
 [TN14]Ici nous expliquons mais aussi engageons une lecture critique : cad que nous posons un jalon vers une compréhension de ce qu’est la liberté chez Spinoza à partir de l’analyse du texte et ici spécifiquement de la pierre. 
 [TN15]Ici nous introduisons les exemples développés lors du prochain paragraphe dans un cadre conceptuel global cad informé.
 [TN16]Ici il s’agit de proposer une solution permettant de comprendre l’extrait tout en développant l’exemple sans simplement le répéter
 [TN17]Conclusion




Commentaire de texte


Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […]. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.


INTRO 

Le texte qui nous est proposé à l’étude est extrait du rire de Bergson.
 L’idée générale réside dans l’affirmation que le langage nous éloigne des choses et de nos propres sentiments, il accentue l’écart entre la réalité du monde et la représentation que nous nous en avons. L’enjeu est alors dans le fait que cet écart est lui-même la conséquence d’une préoccupation humaine exclusive pour l’utilitaire. C’est le besoin qui empêcherait la conscience et le langage d’atteindre la réalité des choses et de nous-même. 
Pour ce faire l’auteur procède en trois moments. 
Dans un premier temps (Nous ne voyons…) Bergson incrimine l’aspect négatif du langage qui vient s’additionner au mouvement de la conscience pour nous éloigner des choses et du monde. Le nom commun est l’arme de cette réduction. 
Puis (Et ce ne sont...) il étend ce problème de la simplification des choses aux sentiments. C’est notre intériorité qui se trouve mise à l’écart.
Alors (Ainsi, jusque…) l’auteur pourra dévoiler l’étendue de la confusion : le langage nous place à distance des choses et de nous-même. Il nous empêcherait d’exister pleinement. 


Corps du commentaire :


Le constat inaugural de Bergson réside dans l’affirmation que nous ne voyons pas les choses mêmes : autrement dit nous demeurons extérieurs aux choses, plus fondamentalement nous sommes dans un écart par rapport au réel qui empêche sa saisie. La question qui se pose alors est celle de notre attitude par rapport aux choses : nous simplifions le réel autour de nous de façon à ce qu’il nous corresponde. Se borner signifie ici que la limite que nous portons sur les choses est celle même d’une réduction de la réalité aux besoins. C’est donc les fonctions élémentaires, boire, manger, dormir qui conditionnent notre rapport aux choses. Cette simplification du réel est donc commandée d’abord par la survie. Cela s’explique par une logique d’identification rapide des dangers : il faut d’abord viser l’efficacité et non la subtilité. La nuance est un danger dans le cas d’une survie qui commande une action immédiate et non une réflexion. C’est la vision d’ensemble qui est privilégiée et non le singulier ou le détail. Nous plaçons sur les choses des termes génériques qui permettent cette adaptation souhaitée au réel. Ces « étiquettes » sont donc des noms communs. Le nom commun permet de fabriquer du tout là où n’existe que du propre et du singulier. Dire « un chien » équivaut à nommer un genre et non une individualité ce qui est suffisant pour avoir la perception commune d’un chien. Le maître saura reconnaître son chien entre 100 de la même race. C’est l’expérience individuelle et le sentiment qui font rentrer dans le singulier et la différence. Le nom commun permet de ne voir que l’ensemble, par lui nous pouvons gommer le détail qui est perceptible seulement pour celui qui le souhaite. Ainsi l’attachement du maître pour son chien fait glisser le général vers le particulier : son sentiment d’amour pour son chien produit du singulier, du nom propre en même temps qu’une histoire des sentiments. Le langage a un effet catalyseur, il augmente cette disposition naturelle en organisant le réel selon son aspect le plus commun ou banal. C’est ici que nous retrouvons l’utilitaire : tandis que la conscience produit du commun en supprimant les marques puissantes de l’individualité, le langage produit une communication d’autant plus efficace qu’elle prend la forme de cette conscience dont il est lui-même le résultat évolutionniste et historique. Alors le langage prend la place d’un intermédiaire entre nous et la chose. Le mot s’insinue jusque dans les replis du monde, il vient redoubler notre séparation d’avec l’intimité des choses en ne permettant que la vision d’ensemble. 
Le mot est d’emblée déjà un rapport : celui pour la linguistique d’une division entre signifié et signifiant. Entre le nom commun et l’objet particulier désigné il y a le mot, comme si la correspondance ne pouvait jamais s’effectuer, comme si la coïncidence était impossible et que nous soyons toujours obligés de chercher cette nuance qui toujours s’échappe. Mais cette position linguistique ne peut pas être celle de Bergson. La linguistique de Saussure et Benveniste n’étant pas encore en place au moment de la rédaction du Rire.

Alors il ne faut pas s’étonner si le langage traite nos sentiments de la même façon que les choses, le langage vient s’additionner à la conscience afin de réaliser une réduction identique avec des sentiments qui autrement envahiraient toute notre conscience et déborderaient. Mais ici alors que notre être se conforme à la nature du besoin pour les choses, il répugne à accepter le même sort pour ses propres sentiments. Il souhaite retrouver en lui « ces milles nuances » qui fabriquent sa singularité et le distingue des autres. Ici nous trouvons une sorte de révolution : la conscience refuse ce qu’elle a produit par ailleurs pour désigner les choses, le commun ne convient pas au propre. Dire « je t’aime » n’est-ce pas utiliser une facilité de langage, ce mot si employé peut-il traduire ce que j’éprouve lorsque je suis amoureux ? Peut-il dire le frisson de l’émoi, de la peur de perdre l’autre, de la chaleur d’une main dans une main ? Comment la haine peut-elle traduire cette volonté de tuer et de détruire qui bouillonne en moi ? 
L’imprécision est ici l’ennemie de l’identité du sujet, de son besoin d’exister en tant que lui-même et non comme un autre. Pour réussir cette métamorphose nous devrions devenir poètes ou peintres : ceux qui ont compris que pour trouver le mot il fallait d’abord le perdre, accepter les entrelacs de la nomination, le détour. Comment pour pouvoir dire ne plus pouvoir nommer les choses. Apprendre à ne plus connaître mais réapprendre à voir et comprendre autrement soi-même et le monde. Les poètes sont ceux qui voient le monde sans filtre, sans la barrière du nom commun pour ne plus rencontrer que du singulier et de n’ineffable. Donner le pouvoir à l’imagination ce n’est pas ajouter au langage mais ôter son caractère profondément général.  Le peintre ne voit pas plus mais débarrasse la conscience du fardeau du général. Cela suppose aussi que nous ne soyons pas dans un schéma linguistique mais pré-linguistique ou classique ou le pouvoir des mots est inférieur au possible de la pensée. Où la correspondance entre l’image acoustique et l’esprit est définitivement produite.  C’est la conscience qui d’abord dépouille le sentiment en le pensant du côté de l’aspect extérieur et finalement de sa finalité sociale qui est de permettre sa communication, ce qui ne peut se faire sans simplification. Chaque sentiment est pourtant toujours lié à des circonstances qui le rend indentifiable et unique, chacun est irréductible. Rentrer dans l’aspect personnel du sentiment revient à distinguer toutes les palettes des sentiments, cette palette dont laquelle seul le peintre s’est joué. Le langage révèle sa nature insuffisante devant une réalité toujours plus complexe et foisonnante, bien loin de la réduction auquel le langage la contraint. 

Ainsi une troisième malédiction apparaît : le langage éloigne des choses, de nos sentiments, enfin de nous-mêmes.  C’est notre être intérieur qui s’échappe et disparaît, alors que le langage avait pour vocation de nous permettre de saisir les choses il devient l’instrument de notre propre aliénation. Tout cela débute par la volonté d’agir et d’être plus efficace, l’homme d’action est celui qui doit mettre à distance sa réflexion, simplifier pour exister. Mais le monde moderne n’est plus celui de la rivalité des consciences et des personnes. Nous voulons réintégrer cette part que nous perdons chaque jour. Telle est la position de Bergson. L’efficacité du langage rejoint celle de la lutte pour devenir des hommes, pour combattre la nature. C’est le réalisme qui vient tuer le réel, qui s’affirme contre le poète et le peintre. Ce que Bergson souhaite c’est un retour sur et vers soi, un dialogue qui doit retrouver le chemin de la complexité pour que chacun existe contre la foule, pour ses sentiments.  Il y a chez Bergson la nostalgie d’une autre grammaire que celle de la communication, celle d’un monde perdu ou pas encore trouvé où chacun serait reconnu comme unique. Ici Bergson est lui-même ce peintre des sentiments et des âmes que Bergson annonce. Nous sommes sinon dans une zone grise entre la chose et nous, toujours dans une distance qui permet la réflexion mais aussi toujours privé de la saveur du monde et de la compréhension de notre intériorité. 


Le texte de Bergson finalement annonce deux révolutions qui modifieront profondément la perception du langage. Celle de la linguistique qui viendra balayer ce fond dont parle Bergson qui se séparerait du mot, cette pensée en dehors de la nomination. Tandis que la volonté de se retrouver, de reprendre un dialogue intérieur interrompu, sera bientôt le champ de la psychanalyse. L’analyse étant se moment de libération d’une parole capable de guérir et de se comprendre soi-même. 




jeudi 17 janvier 2019

Correction note de synthèse : les besoins sont-ils naturels ou sociaux ?

Cinq textes nous sont proposés à l'étude, deux défendent la thèse que seuls les désirs naturels sont nécessaires et que les désirs sociaux conduisent aux excès. Trois que l'activité des hommes fabrique des désirs en même temps qu'une condition spécifiquement humaine.

Epicure fait une nomenclature des besoins en distinguant ceux qui sont naturels de ceux qui ne le sont pas. Ces derniers éloignent l'homme de lui-même en le laissant poursuivre des chimères (Rousseau).
Tandis que l'homme du besoin naturel est "en paix" (Rousseau) l'homme de la "vaine opinion" (Epicure)  encourage les désirs ni naturels ni nécessaires. Ainsi nous avons une philosophie ou l'homme de la nature se satisfait de ce qui est là, homme de l'immédiateté de la présence aux choses et en face l'homme d'une société qui invente des désirs dans une gradation sans fin (pourvoir au nécessaire puis au superflu puis aux délices puis aux immenses richesses...). Tourbillon sans fin des passions dirait Epicure, tourment de l'âme qui rend l'homme esclave (Rousseau). Tandis que l'homme du besoin naturel et nécessaire est celui qui peut maitriser ses désirs et ainsi faire place à autrui (Epicure), l'homme de la société est celui de l'égoïsme qui se croit "maître de l'univers"(Rousseau).

Toute la violence viendrait donc de l'homme en société (Rousseau), plus encore dit Marx (Idéo) c'est l'histoire elle-même qui naît avec un désir qui pousse l'homme à trouver de nouveaux besoins dans une spirale sans fin. C'est le passage de l'immédiateté à la médiation (Marx - Intro), du besoin facilement assouvi à un désir qui "englouti" les trésors (Rousseau) en même temps qu'il "nous crée et impose des besoins indéfinis" (Clavel). Ici se formule pour la première fois l'idée d'une société de consommation qui pour la première fois dans l'histoire des hommes est toute entièrement tournée vers une production qui ne vise pas la production d'un objet mais qui transforme le sujet en objet  (Marx intro). L'homme est sans cesse dans la recherche de nouveaux besoins (Marx Id) qui font en même temps sa grandeur et son malheur : l'homme devient l'esclave des richesses (Rousseau) et convoite sans cesse celles d'autrui. Grandeur pourtant car comme le dit Marx il nous fallait "sortir de la grossièreté primitive" pour accéder jusqu'à "l'objet d'art" : l'oeuvre d'art comme paradigme d'un inutile où vient pourtant se déposer toute son humanité.

S'éloigner du nécessaire et du naturel pour rencontrer une consommation qui devient un mode de vie (Marx Intro), pour ne plus être dans la simplicité béate de cet "homme sauvage" dont Rousseau rêve l'existence. Car enfin dit Clavel "ce n'est pas la société qui crée des besoins mais la culture qui crée des besoins et la société", inversion prodigieuse où l'homme sauvage devient la véritable chimère - la nature deviendrait alors un mythe, le plus puissant de tous. Car que serait l'homme sans le désir, avec seulement ce nécessaire dont parlent Epicure et Rousseau ? "Une bête" répond  Clavel.

Car pour être il faut toujours quelque chose encore, quelque chose en plus (Clavel)... La société de consommation nécessite une production qui fabrique le besoin, qui "l'excite" dit Marx et fabrique ainsi un monde complet avec un consommateur, des objets et un marché pour les écouler. Pour Marx c'est la nature même du mode de production qui fabrique la représentation que nous avons du monde et de nous-mêmes (Marx Intro). Loin de la paix que raconte Rousseau chez l'homme de la nature, l'homme de la société est celui de la lutte pour la reconnaissance dans une frénésie inachevée pour saisir un désir qui sans cesse s'échappe. Ce serait alors la production qui fabrique le besoin (Marx) et non le besoin la production (Rousseau - Clavel). Que "Jean-Jacques" retourne à ses rêveries (Clavel) et que l'homme lui, désormais "sensible à l'art" (Marx Intro), puisse accomplir sa propre histoire (Marx id) en s'inventant lui-même.


dimanche 6 janvier 2019



Texte de Lucien Febvre, Combats pour l'histoire

Intro

L'histoire est une conversation entre les hommes, l'historien a pour rôle de faire parler jusqu'aux choses muettes afin de tisser un réseau de solidarité que nous nommons l'histoire. Lucien Febvre invite ainsi a revisiter la mission de l'historien et à travers elle d'interroger la notion de scientificité. Il faut savoir quitter le sol connu de l'histoire des archives, des documents et des preuves tangibles pour celui plus incertain des preuves indirectes, des traces et des sédiments qui racontent aussi l'histoire de ces hommes et de ces civilisations qui ont façonnés la terre, priés les dieux, regardés les cieux, forgés le métal ou l'étain, dresser des palais ou des masures...

Alors se pose l'affirmation d'une histoire non plus générale mais "solidaire" ou dites  des "annales" qui s'oppose à une histoire objective qui oublie d'entendre la voix des hommes à travers chaque objet abandonné. Le "génie" de l'historien se révélant dans sa capacité à produire du sens, à déployer de l'objectivité au milieu des traces éparses du passé. Pour que l'histoire est un sens l'historien doit aller au-delà du connu, vers ces zones d'ombres qui ne bénéficient pas de documents écrits et d'une mémoire encore présente à travers eux.

Pour ce faire l'auteur procède en deux moments précédés par une brève introduction où l'auteur expose sa thèse : l'histoire peut se faire avec mais aussi sans documents écrits. Puis (Avec...façons d'être des hommes) il compare l'historien à une abeille qui doit faire miel de toutes fleurs. Il doit recomposer l'histoire passé avec des fragments s'il ne dispose pas de preuves écrites. Enfin (Toute une part... écrit) il inscrit l'histoire comme une enquête ou les choses muettes prennent une voix grâce au travail de l'historien.

Analyse rapide du texte 

Le texte débute par une concession : l'histoire se fait avec des documents écrits, avec des archives donc, avec des bibliothèques et des recherches qui ne se confrontent pas nécessairement au terrain et aux autres traces d'un temps passé. Mais Lucien Febvre affirme immédiatement que cela ne se peut que si les documents écrits existent, ailleurs il faut faire sans. Il y a donc affirmation qu'une autre histoire existe, ou plutôt qu'existe une autre façon de faire l'histoire et avec elle d'autres historiens. L'auteur s'attaque directement ici à l'école dites des archives, l'historien semble contenir tout le savoir mais "moutonnier en réalité" il n'a aucune initiative ni ingéniosité. L'historien dont parle Lucien Febvre est au contraire celui qui est capable de créer à partir de presque rien. L'image de l'abeille est en ce sens poétique mais convient assez peu. L'abeille collecte sans réfléchir son action tandis que l'historien doit sans cesse s'interroger sur le sens de ce qu'il voit : "décrire ce que l'on voit, rien de plus facile,  mais voir ce qu'il faut décrire..." écrivait ainsi l'auteur. C'est cela que l'historien doit faire, et pour cela l'ingéniosité ou le "génie" sont nécessaires car il faut apprendre à lire autrement que sur le papier : dans tous les signes que contiennent les pierres des murs, le métal des épées, dans la vaisselle comme dans le sillon des boeufs, dans les étoiles et les éclipses. L'historien fabrique avec ces matériaux du sens : il ressemble à l'architecte, bâtisseur d'une maison. L'édifice est dressé, on peut en faire le tour, admiré ses contours, puis le grenier où sont remisés les vieilles choses et celles auxquels nous tenons. Enfin la cave et dessous encore les fondations. Il y a une grande parenté entre l'architecte et l'historien, tous les deux voient le dessous des choses : on se promène dans les rues dans les villes sans apercevoir ses fondations grecques ou romaines, sans voir que les pierres de telle époque s'additionne à l'architecture d'aujourd'hui. Tel est le travail de l'historien, redonner une visibilité à ce qui autrement resterait recouvert et inconnu. Le "miel usuel" de l'historien est l'archive, le témoignage mais il faut aussi s'occuper des vestiges, des lambeaux ou des fragments de l'histoire qui demeurent dans l'obscurité si un historien ne fait pas ce travail de défrichage : élaguer où il y a trop, compléter où il manque. Cela ne peut se faire sans une coopération, pour trouver une solidarité des faits il faut que les scientifiques oeuvrent ensemble. Le géologue, le paléontologue, le généticien, le sociologue... chacun apporte sa pierre pour construire l'édifice de l'histoire. Si l'histoire doit prendre la forme de la subjectivité et de l'interprétation cela tient à la nature même de la preuve qui fait sa spécificité. Il s'agit de traces profondément humaines : l'homme modifie la nature, son environnement, sa condition - c'est la raison pour laquelle ces traces ne peuvent parler qu'aux hommes. Et il en va de l'histoire comme des autres sciences. La prétention du positivisme était de faire la lumière à partir d'une science débarrassée de la subjectivité, de l'imagination pensées comme des tares dont il faudrait se défaire. Mais aucune science ne peut se comprendre sans l'acceptation de cette étincelle, de cette imagination, de cette part profondément subjective qu'elle comprend. C'est parce-que l'historien s'adresse humainement aux objets et vestiges que ceux-là lui répondent humainement. C'est pourquoi l'histoire redonne du sens aux choses, un lien de solidarité qui permet de fabriquer une cohérence qui autrement ferait défaut. L'histoire n'est pas "qu'un vagabondage parmi des tombes" (Hegel) mais une conversation entre des hommes qui se retrouvent sur le fil ténu de la mémoire et de la parenté - rien d'humain ne m'est étranger pourrait dire l'historien qui plus que tout autre raconte à sa façon ce que nous avons ou aurons tous vécus.