Philosophie

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mardi 24 novembre 2020





Spinoza – Lettre à Schuller 

 

 

Spinoza[TN1]  répond dans sa lettre à une objection posée par Schuller : comment l’homme peut faire des choix libres s’il est déterminé ? La réponse de Spinoza s’ancre dans la modernité naissante. C’est ce moment de la rupture épistémologique où l’héliocentrisme remplace le géocentrisme, ou la connaissance passe de Dieu aux hommes par le biais des sciences, de la raison. Le déterminisme représente l’univers désormais comme une suite de causes et d’effets, la Nature est un système fermé où chaque chose se comprend au regard d’une autre. La question de la place de l’homme ne peut échapper à cette interrogation : qu’est[TN2] -ce que la liberté face au déterminisme ? 

L’idée générale[TN3]  est que l’homme se croit libre alors qu’il est mû par des causes qu’il ignore. L’homme est ainsi lui-même chose parmi les choses, non pas « un empire dans un empire » mais au contraire réduit à la transcription d’un simple rapport mécanique comme une pierre qui penserait agir par elle-même en méconnaissant la loi de la dynamique des corps. Tel est l’homme qui se croirait exception dans la nature : une simple pierre qui ignore les raisons de ses déplacements. La liberté[TN4]  n’est donc pas cette reconnaissance spontanée que décrit Descartes (qui fabrique avec elle la certitude de notre propre existence comme être conscient et libre) mais au contraire la liberté s’obtient seulement par un calcul de la raison qui suppose une distance critique et la reconnaissance de la passion comme cause de cette illusion. La liberté ne se trouvant plus alors que dans la reconnaissance de cette nécessité : c’est elle qui guide vers le chemin d’une liberté qui a pour contenu la raison. 

Pour ce faire[TN5]  l’auteur procède en deux parties. D’abord[TN6]  (« j’appelle libre…déterminée ») il inscrit que Dieu est une substance unique qui ne dépend de nulle autre qu’elle-même, aussi conséquemment il n’agit qu’à partir de sa propre volonté. Au contraire toute chose singulière existe à partir d’une autre chose : l’homme n’échappe pas à cette règle. Il faut ajouter que toute chose particulière dépend d’un tout qui le dépasse.  Dieu seul est cause de lui-même. Suivra[TN7]  une démonstration (« Concevez maintenant… fin du texte) qui rejette comme illusion une liberté qui ignore les motifs de l’action et fabrique avec son ignorance un pouvoir de la conscience[TN8] .

 

L’auteur commence[TN9]  par un rappel définitionnel, il s’agit de déterminer ce qu’est liberté et contrainte. La liberté est comprise comme ce qui dépend de soi, ce qui implique que ne peut se saisir comme libre que « celui qui agit par la seule nécessité de sa nature ». Celui qui est libre ne dépend que de lui-même. Les termes « sa nature » supposant que sa volonté est directement liée à ses propres possibles et capacités. Alors en négatif on trouve la contrainte qui suppose, pour sa part, autre qu’elle même pour exister. On peut synthétiser l’opposition en écrivant que celui qui ne dépend que de lui-même est dans une logique d’intériorité puisque son action ne dépend que de lui tandis que celui qui dépend d’autre chose que de lui-même est dans l’extériorité. Conséquemment on posera que la liberté n’est possible que pour celui qui est cause de lui-même donc qui ne dépend que de sa propre nature ou intériorité.  

 

On comprend alors différemment la proposition Spinoziste « l’homme n’est pas un empire dans un empire[TN10]  » : le terme d’empire s’inscrit comme pouvoir, avoir de l’empire sur une chose c’est avoir une emprise sur elle. L’homme ne peut pas avoir un pouvoir sur les choses alors qu’il en fait partie. Il est issu de cette extériorité qui dépend d’autre que lui. Dieu est intériorité – on comprend qu’il ne dépend que de sa nature propre « libre nécessité de sa nature » inscrit Spinoza. Attention la nécessité ici ne renvoie pas ici à une contrainte mais à la distinction intériorité – extériorité. L’homme est « par nature » englobé dans les choses de la nature, on peut ici introduire cette nuance : l’homme fait partie de la nature naturée qui a été pensée par une cause extérieure, Dieu ; au contraire Dieu est la nature naturante cad que la Nature se confond avec Dieu, sa création dépend d’un acte de sa seule volonté. La nécessité est ici seulement interne. Cela[TN11]  annonce la critique de Spinoza à la fin du texte : l’homme est dans l’illusion de la toute puissance de sa volonté qui est une illusion tout comme la liberté qu’elle revendique. Il y a trois niveaux de compréhension : le premier est de poser que l’homme dépend d’une nature extérieure et non de sa nature propre qui n’existe que comme partie d’une nature qui l’englobe, le second qu’il dépend en lui de la tyrannie de ses propres passions en ignorant le motif réel de son action, le troisième dans la reconnaissance qu’il appartient à la nature, il est nature naturée et non naturante. 
L’exemple de la pierre en cette première partie permet de valider cette lecture de l’opposition intériorité et extériorité, l’une impliquant la liberté l’autre la contrainte. Lorsque Spinoza écrit « descendons aux choses créés » l’erreur serait d’avoir une lecture pyramidale ou Dieu serait transcendant et les objets sous « son empire ». Dieu[TN12]  est toute chose, il est la Nature et ses objets mais il ne doit pas être confondu avec un législateur ou un souverain : Dieu se confond avec les choses mais il a pour particularité d’être aussi à l’origine de toute chose. L’homme appartient à la nature. Il en est un des produits, il s’inscrit dans une chaîne de déterminations qui échappent à sa raison. Ici la pierre est mû par un mouvement extérieur à sa volonté, loi de la thermodynamique que la pierre ignore, ainsi elle croit libre alors qu’elle est déterminée. Ce serait la situation même de l’homme, allégoriquement nous sommes comme cette pierre. La démonstration de Spinoza vise à ruiner la thèse du libre arbitre. Si toute chose dépend d’une autre chose alors le déterminisme est présent pour elle : elle ne peut s’en abstraire. 

 

La seconde partie[TN13]  s’inaugure par une mise en cause de l’illusion présente dans l’affirmation de la liberté chez l’homme, cette revendication est disproportionnée. Elle fait abstraction que nous ne sommes qu’une partie d’une nature qui pose des lois et des mécanismes que nous subissons sans les comprendre. Nous sommes assujettis à l’ordre de la nature. C'est donc à partir de l'infini seulement, qu'il est possible de penser cette chose singulière qu'est l'homme.  Il y a alors une nécessité des passions qui découlent de notre statut de chose de la nature parmi les autres choses naturelles. L’erreur de la pierre comme celle de l’homme peut se corriger par la connaissance des causes adéquates : savoir ce qui nous mets en mouvement c’est pour une part se libérer de l’illusion de la pierre… C’est[TN14]  l’intervention de la connaissance dans la chaîne causale qui permet de penser une liberté proprement humaine. Non pas échapper au déterminisme mais s’en servir comme outil pour modifier[TN15]  l’action. 

 

La liberté devient donc une nécessité bien comprise : connaître le motif de mon action afin de ne pas se retrouver dans la position de l’ivrogne qui est mis en mouvement par l’alcool, élément à sa nature. Cet alcool transforme sa nature, il y cède croyant être maître de lui-même alors qu’il en est seulement le jouet. Celui qui est en colère et qui cède à cette passion, à son penchant, est dans la même situation : il devient le jouet d’une force extérieure. Il croira agir par sa propre volonté alors qu’il est le jouet de forces extérieures. Se libérer de la force aliénante de la passion suppose la connaissance de cette extériorité. Celui qui est en colère et qui se connaît[TN16]  en colère peut résister à cette passion, la dominer en y cédant pas. La liberté se niche là : dans cette capacité à réfléchir la passion qui arrive. La seule force de la liberté repose dans cette capacité à saisir l’extériorité en soi afin d’y échapper ou d’y céder en connaissant la nature de la passion et de l’emportement. Il y a ici un renversement qui transforme l’impuissance en puissance d’agir. La liberté comme nécessité bien comprise. Accroissement de la puissance d'agir par la connaissance des passions et la recherche de l'objet qui convient à notre nature. Se libérer de la force aliénante de l’extériorité, comme l’alcool, la colère. L’enfant lui est agit par une cause extérieure, le lait qu’il croit vouloir est un cri de la nature, une contrainte extérieure que l’enfant ne maîtrise pas. 

 

Il[TN17]  s’agit d’un préjugé partagé parmi les hommes que celui de la liberté de la volonté, une illusion fondée sur un défaut de la raison. La liberté n’est pas dans le choix mais dans la connaissance, dans la reconnaissance d’un mécanisme extérieur qui permet de reconnaître en soi la nécessité extérieure. La liberté commence à la suppression d’une situation fondée sur l’illusion.

 

 

 

 

 

 

 

 


 [TN1]Annonce du texte informé, mise en perspective de la Lettre à Schuller dans son rapport au siècle et au débat des idées

 [TN2]Ici on pose la question principale qui peut s’énoncer aussi autrement : que peut valoir l’idée de liberté face au déterminisme ? Il s’agit en d’autres termes de la problématique. 

 [TN3]Ici position de l’idée générale du texte avec un développement permettant la compréhension de sa construction. L’IG est directement liée au texte et seulement à lui.

 [TN4]Puis les enjeux qui sont une extension ou un déploiement de l’IG – il s’agit d’étendre l’IG au débat général des idées. 

 [TN5]Ici annonce des parties du commentaire – 2 parties qui constitueront les 2 parties du traitement du commentaire

 [TN6]Première partie

 [TN7]Deuxième partie

 [TN8]Il y a une règle d’égalité (relative) des parties – les parties s’équivalent sauf dans le cas de l’intro et de la conclusion

 [TN9]L’analyse commence souvent par l’ouverture du texte, elle est donc d’abord linéaire pour devenir rapidement thématique – l’analyse linéaire produit une analyse de chaque phrase du texte en suivant l’ordre d’écriture. La méthode thématique travaille sur les concepts : elle ne prend pas en compte l’ordre linéaire mais des idées

 [TN10]Extrait du Traité Politique chap 1 – cette formule permet d’inscrire la lettre à Schuller dans un travail plus large ou Spinoza s’oppose à la définition admise de la liberté de la volonté. 

 [TN11]Nous sommes ici dans une exploration thématique qui permet de naviguer dans le texte. 

 [TN12]Il y a ici déploiement de l’appareil critique et conceptuel. Il faut expliquer pour rendre clair le texte en apportant des éléments de compréhension. 

Un devoir maison suppose la lecture de l’auteur et la recherche des éléments permettant sa compréhension 

 [TN13]Le passage à la seconde partie est indiquée clairement au lecteur

 [TN14]Ici nous expliquons mais aussi engageons une lecture critique : cad que nous posons un jalon vers une compréhension de ce qu’est la liberté chez Spinoza à partir de l’analyse du texte et ici spécifiquement de la pierre. 

 [TN15]Ici nous introduisons les exemples développés lors du prochain paragraphe dans un cadre conceptuel global cad informé.

 [TN16]Ici il s’agit de proposer une solution permettant de comprendre l’extrait tout en développant l’exemple sans simplement le répéter

 [TN17]Conclusion