Philosophie

Mise à disposition d'un matériel permettant de travailler les cours de philosophie.

jeudi 17 janvier 2019

Correction note de synthèse : les besoins sont-ils naturels ou sociaux ?

Cinq textes nous sont proposés à l'étude, deux défendent la thèse que seuls les désirs naturels sont nécessaires et que les désirs sociaux conduisent aux excès. Trois que l'activité des hommes fabrique des désirs en même temps qu'une condition spécifiquement humaine.

Epicure fait une nomenclature des besoins en distinguant ceux qui sont naturels de ceux qui ne le sont pas. Ces derniers éloignent l'homme de lui-même en le laissant poursuivre des chimères (Rousseau).
Tandis que l'homme du besoin naturel est "en paix" (Rousseau) l'homme de la "vaine opinion" (Epicure)  encourage les désirs ni naturels ni nécessaires. Ainsi nous avons une philosophie ou l'homme de la nature se satisfait de ce qui est là, homme de l'immédiateté de la présence aux choses et en face l'homme d'une société qui invente des désirs dans une gradation sans fin (pourvoir au nécessaire puis au superflu puis aux délices puis aux immenses richesses...). Tourbillon sans fin des passions dirait Epicure, tourment de l'âme qui rend l'homme esclave (Rousseau). Tandis que l'homme du besoin naturel et nécessaire est celui qui peut maitriser ses désirs et ainsi faire place à autrui (Epicure), l'homme de la société est celui de l'égoïsme qui se croit "maître de l'univers"(Rousseau).

Toute la violence viendrait donc de l'homme en société (Rousseau), plus encore dit Marx (Idéo) c'est l'histoire elle-même qui naît avec un désir qui pousse l'homme à trouver de nouveaux besoins dans une spirale sans fin. C'est le passage de l'immédiateté à la médiation (Marx - Intro), du besoin facilement assouvi à un désir qui "englouti" les trésors (Rousseau) en même temps qu'il "nous crée et impose des besoins indéfinis" (Clavel). Ici se formule pour la première fois l'idée d'une société de consommation qui pour la première fois dans l'histoire des hommes est toute entièrement tournée vers une production qui ne vise pas la production d'un objet mais qui transforme le sujet en objet  (Marx intro). L'homme est sans cesse dans la recherche de nouveaux besoins (Marx Id) qui font en même temps sa grandeur et son malheur : l'homme devient l'esclave des richesses (Rousseau) et convoite sans cesse celles d'autrui. Grandeur pourtant car comme le dit Marx il nous fallait "sortir de la grossièreté primitive" pour accéder jusqu'à "l'objet d'art" : l'oeuvre d'art comme paradigme d'un inutile où vient pourtant se déposer toute son humanité.

S'éloigner du nécessaire et du naturel pour rencontrer une consommation qui devient un mode de vie (Marx Intro), pour ne plus être dans la simplicité béate de cet "homme sauvage" dont Rousseau rêve l'existence. Car enfin dit Clavel "ce n'est pas la société qui crée des besoins mais la culture qui crée des besoins et la société", inversion prodigieuse où l'homme sauvage devient la véritable chimère - la nature deviendrait alors un mythe, le plus puissant de tous. Car que serait l'homme sans le désir, avec seulement ce nécessaire dont parlent Epicure et Rousseau ? "Une bête" répond  Clavel.

Car pour être il faut toujours quelque chose encore, quelque chose en plus (Clavel)... La société de consommation nécessite une production qui fabrique le besoin, qui "l'excite" dit Marx et fabrique ainsi un monde complet avec un consommateur, des objets et un marché pour les écouler. Pour Marx c'est la nature même du mode de production qui fabrique la représentation que nous avons du monde et de nous-mêmes (Marx Intro). Loin de la paix que raconte Rousseau chez l'homme de la nature, l'homme de la société est celui de la lutte pour la reconnaissance dans une frénésie inachevée pour saisir un désir qui sans cesse s'échappe. Ce serait alors la production qui fabrique le besoin (Marx) et non le besoin la production (Rousseau - Clavel). Que "Jean-Jacques" retourne à ses rêveries (Clavel) et que l'homme lui, désormais "sensible à l'art" (Marx Intro), puisse accomplir sa propre histoire (Marx id) en s'inventant lui-même.


dimanche 6 janvier 2019



Texte de Lucien Febvre, Combats pour l'histoire

Intro

L'histoire est une conversation entre les hommes, l'historien a pour rôle de faire parler jusqu'aux choses muettes afin de tisser un réseau de solidarité que nous nommons l'histoire. Lucien Febvre invite ainsi a revisiter la mission de l'historien et à travers elle d'interroger la notion de scientificité. Il faut savoir quitter le sol connu de l'histoire des archives, des documents et des preuves tangibles pour celui plus incertain des preuves indirectes, des traces et des sédiments qui racontent aussi l'histoire de ces hommes et de ces civilisations qui ont façonnés la terre, priés les dieux, regardés les cieux, forgés le métal ou l'étain, dresser des palais ou des masures...

Alors se pose l'affirmation d'une histoire non plus générale mais "solidaire" ou dites  des "annales" qui s'oppose à une histoire objective qui oublie d'entendre la voix des hommes à travers chaque objet abandonné. Le "génie" de l'historien se révélant dans sa capacité à produire du sens, à déployer de l'objectivité au milieu des traces éparses du passé. Pour que l'histoire est un sens l'historien doit aller au-delà du connu, vers ces zones d'ombres qui ne bénéficient pas de documents écrits et d'une mémoire encore présente à travers eux.

Pour ce faire l'auteur procède en deux moments précédés par une brève introduction où l'auteur expose sa thèse : l'histoire peut se faire avec mais aussi sans documents écrits. Puis (Avec...façons d'être des hommes) il compare l'historien à une abeille qui doit faire miel de toutes fleurs. Il doit recomposer l'histoire passé avec des fragments s'il ne dispose pas de preuves écrites. Enfin (Toute une part... écrit) il inscrit l'histoire comme une enquête ou les choses muettes prennent une voix grâce au travail de l'historien.

Analyse rapide du texte 

Le texte débute par une concession : l'histoire se fait avec des documents écrits, avec des archives donc, avec des bibliothèques et des recherches qui ne se confrontent pas nécessairement au terrain et aux autres traces d'un temps passé. Mais Lucien Febvre affirme immédiatement que cela ne se peut que si les documents écrits existent, ailleurs il faut faire sans. Il y a donc affirmation qu'une autre histoire existe, ou plutôt qu'existe une autre façon de faire l'histoire et avec elle d'autres historiens. L'auteur s'attaque directement ici à l'école dites des archives, l'historien semble contenir tout le savoir mais "moutonnier en réalité" il n'a aucune initiative ni ingéniosité. L'historien dont parle Lucien Febvre est au contraire celui qui est capable de créer à partir de presque rien. L'image de l'abeille est en ce sens poétique mais convient assez peu. L'abeille collecte sans réfléchir son action tandis que l'historien doit sans cesse s'interroger sur le sens de ce qu'il voit : "décrire ce que l'on voit, rien de plus facile,  mais voir ce qu'il faut décrire..." écrivait ainsi l'auteur. C'est cela que l'historien doit faire, et pour cela l'ingéniosité ou le "génie" sont nécessaires car il faut apprendre à lire autrement que sur le papier : dans tous les signes que contiennent les pierres des murs, le métal des épées, dans la vaisselle comme dans le sillon des boeufs, dans les étoiles et les éclipses. L'historien fabrique avec ces matériaux du sens : il ressemble à l'architecte, bâtisseur d'une maison. L'édifice est dressé, on peut en faire le tour, admiré ses contours, puis le grenier où sont remisés les vieilles choses et celles auxquels nous tenons. Enfin la cave et dessous encore les fondations. Il y a une grande parenté entre l'architecte et l'historien, tous les deux voient le dessous des choses : on se promène dans les rues dans les villes sans apercevoir ses fondations grecques ou romaines, sans voir que les pierres de telle époque s'additionne à l'architecture d'aujourd'hui. Tel est le travail de l'historien, redonner une visibilité à ce qui autrement resterait recouvert et inconnu. Le "miel usuel" de l'historien est l'archive, le témoignage mais il faut aussi s'occuper des vestiges, des lambeaux ou des fragments de l'histoire qui demeurent dans l'obscurité si un historien ne fait pas ce travail de défrichage : élaguer où il y a trop, compléter où il manque. Cela ne peut se faire sans une coopération, pour trouver une solidarité des faits il faut que les scientifiques oeuvrent ensemble. Le géologue, le paléontologue, le généticien, le sociologue... chacun apporte sa pierre pour construire l'édifice de l'histoire. Si l'histoire doit prendre la forme de la subjectivité et de l'interprétation cela tient à la nature même de la preuve qui fait sa spécificité. Il s'agit de traces profondément humaines : l'homme modifie la nature, son environnement, sa condition - c'est la raison pour laquelle ces traces ne peuvent parler qu'aux hommes. Et il en va de l'histoire comme des autres sciences. La prétention du positivisme était de faire la lumière à partir d'une science débarrassée de la subjectivité, de l'imagination pensées comme des tares dont il faudrait se défaire. Mais aucune science ne peut se comprendre sans l'acceptation de cette étincelle, de cette imagination, de cette part profondément subjective qu'elle comprend. C'est parce-que l'historien s'adresse humainement aux objets et vestiges que ceux-là lui répondent humainement. C'est pourquoi l'histoire redonne du sens aux choses, un lien de solidarité qui permet de fabriquer une cohérence qui autrement ferait défaut. L'histoire n'est pas "qu'un vagabondage parmi des tombes" (Hegel) mais une conversation entre des hommes qui se retrouvent sur le fil ténu de la mémoire et de la parenté - rien d'humain ne m'est étranger pourrait dire l'historien qui plus que tout autre raconte à sa façon ce que nous avons ou aurons tous vécus.