Philosophie

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vendredi 9 novembre 2012

Désirer est-ce nécessairement souffrir ?




Désirer est-ce nécessairement souffrir ?  

Réalisation d'un plan détaillé  + introduction


Le désir est la volonté dirigée vers un objet, une tension du corps et de l’esprit vers l’obtention d’un bien et la satisfaction qui l’accompagne. Mais cette tension peut occasionner un désagrément, être une source de souffrance et non de plaisir. Cette dernière se trouvant du côté de l’insatisfaction lorsque le but n’est pas atteint, mais elle peut être liée plus structurellement au fait de désirer même. Alors la question peut se ramener à ces termes : désirer est-ce nécessairement souffrir ? Le sens commun retient du désir sa capacité à nous faire sentir notre existence, son pouvoir d’accélération de nos sensations et de nos perceptions, une vie à fleur de peau. Mais au moment de l’acuité la plus grande se donne aussi la conscience de la douleur, de la perte déjà, prise inexorablement en toute vie. Sensation de manque jusque dans la possession, hantise de sa mort, promesse d’un vide à la mesure du plein. Alors peut-être que nos plus grands désirs sont une annonce faite à la mort. Est-ce un « fatum », un destin, que de ne pouvoir espérer que pour souffrir davantage ?
Nous poserons dans un premier temps que la nature du désir est d’être dans une tension qui assure tout à la fois la certitude de l’existence en même temps que sa suspension dans l’attente de l’objet ; moment d’une existence douloureuse car privée de ce qui est son sol. Mais ici la nécessité prend la forme du désir, elle se fait croyance en une autre existence, celle-ci plus riche et possédant une forme plus accomplie : une destinée. Peut-être nous faudra t’il alors envisager que si un lien existe entre désir et souffrir, il est sans « fatum », dépourvu donc de ce qui serait la nécessité, il serait capable de porter avec lui le plaisir et la joie. Ce ne serait donc qu’un lien accidentel, une mauvaise appréciation de l’objet ou une mauvaise définition du désir qui serait  la source de la perturbation. Enfin la souffrance est peut-être  entièrement dans le fait de vouloir établir des rapports absolus, mesurables, quantifiables et vérifiables dans le cadre des désirs qui engagent non plus des relations causales mais des chemins de traverses ou la joie comme la souffrance ne sont plus des éléments nécessaires mais des « inventions » du cœur, c’est la nécessité qui est souffrance non le désir : c’est encore elle qu’il faut interroger en se demandant de quel désir elle provient. Entendu que le désir deviendrait alors la condition de possibilité tout à la fois d’un être sentant, souffrant, content, et capable de qualifier son rapport à son propre désir comme nécessaire ou accidentel.




1/ Le désir est la tension entre la volonté et l’objet, la souffrance est dans l’espace de la séparation, dans une relation insatisfaisante car incomplète.

a)                  Le désir est d’abord un regret, il incarne avant tout la perte et une forme de solitude extrême. Qu’est-ce que désirer sinon vouloir de toute force un objet sans lequel mon existence semble sans intérêt ? Alors le désir se double, il est désir de l’objet et désir que l’existence prenne sa forme complète, désir que la douleur de l’existence sans l’objet disparaisse et désir d’être comblé, satisfait. C’est dans la relation qu’existe un malaise, la perte est préexistante, elle devance tout plaisir. C’est aussi le moment de la plus grande « excitation », moment de l’énervement de toutes les facultés, moment d’un sentiment extrême d’existence. Je crois pouvoir combler le vide de ma vie par l’addition d’une autre vie[1]. La souffrance serait donc nécessaire mais provisoire, attente d’une satisfaction. Ainsi ce n’est pas le désir qui est en cause mais son absence de satisfaction.

b)                 La souffrance n’est donc pas nécessaire dans le désir mais elle est une étape nécessaire du désir avant sa résolution. Autrement dit la souffrance perdure tant que la volonté ne parvient pas à saisir l’objet. La faute serait non pas du désir mais du défaut de l’action, l’œuvre est de liberté. La liberté qui d’ordinaire préside à l’action semble disparaître tant la nécessité de l’accroche à tel objet semble naturelle. Il y a ici un effacement : je dois renoncer à ma liberté pour pouvoir m’accomplir dans cette tension vers l’objet assigné de mon désir.

c)                  La croyance est ici dans la nécessité qui me relie à l’objet. Il faut ici retrouver l’essence d’Eros. Il est d’abord séparation, il est ce qui pousse à partir de soi à trouver le multiple, enrichissement d’une vie qui devient grosse de ses possibles. De l’un naît le multiple, à partir de lui le monde se construit. Le désir est alors la désignation de cette construction.  Le désir est l’indice d’une autre vie au sein de ma propre existence, de ce vertige de soi naît la volonté d'une réassurance : trouver une forme de désir extérieur qui empêche ce sondage vertigineux de ses propres abîmes. La religion est l’assurance d’une créature hébétée face à l’ampleur de sa propre liberté.

2 /        La souffrance n’est pas un lien nécessaire mais accidentel. Le désir est premier, il est la marque même de l’humain.

a)                  Désirer n’est pas nécessairement souffrir, il y a de la joie dans la découverte du philosophe : il a un désir proprement philosophique, un Eros, qui est par lui-même bon et qu’il faut tenter de rejoindre. Ainsi le mouvement vers la connaissance, vers le savoir, vers le logos est un mouvement de joie. La faute n’est donc plus du côté du désir mais du côté de la volonté qui assigne un but à la pulsion. Le meurtrier se trompe de désir, comme le jaloux qui fige sa puissance d’agir en une liberté qui n’est pas sienne.

b)                 Il faut donc produire un travail de définition des passions, une forme d’économie des passions afin de comprendre ce qui doit être recherché ou fuit. Les méandres des passions épousent les imperfections de l’homme. Le désir n’est ni bon ni mauvais, il est ce que la volonté en fait. La seule nécessité repose alors dans le fait de désirer et non pas dans le lien entre désir et souffrance.

C)                Le rapport entre désir est souffrance est donc accidentel : le désir peut engager le calcul et le contrôle de soi, il peut permettre une compréhension plus grande des choses, la science met en place des « vérités » qui s’obtiennent aussi bien par le courage que la lâcheté, par une raison sans désir ou par un désir ardent. La souffrance est l’effet de l’absence, la cause n’est pas ici le désir mais la volonté de vouloir combler un manque essentiel.

3/         La souffrance est peut-être  entièrement dans le fait de vouloir établir des rapports absolus, mesurables, quantifiables et vérifiables dans le cadre des désirs qui engagent non pas des relations causales mais des chemins de traverses ou la joie comme la souffrance ne sont plus des éléments nécessaires mais des « inventions » du cœur, c’est la nécessité qui est souffrance non le désir : c’est encore elle qu’il faut interroger en se demandant de quel désir elle provient. Entendu que le désir deviendrait alors la condition de possibilité tout à la fois d’un être sentant, souffrant, content, et capable de qualifier son rapport à son propre désir comme nécessaire ou accidentel. L’art est la création la plus haute du désir en tant qu’il nous fait côtoyer notre propre identité.

a)                  La souffrance n’est pas dans le désir mais dans la nécessité, la nécessité est la recherche d’un rapport constant, d’une mécanique des fluides qui permette une connaissance objective. C’est cette vérité qui est souffrance, cette « relativité » des rapports qui faisait tant souffrir Pascal est la cause de cette volonté de faire sens. Mais l’inquiétude de Pascal devant un monde infini, devant l’univers de la science positive naissante, provient de la perte d’un monde centré par Dieu. Ainsi le « repos » est-il tout de foi, de croyance, de superstition peut-être. La figure de la vérité vacille, avec elle un monde complet. Dieu était objet de tous les désirs, plutôt il incarnait contre tous les désirs imparfaits la présence d’une Passion heureuse : celle-ci s’établissant par une inversion des rapports : les désirs du corps comme ceux du monde sensible sont illusoires. L’objet du pari est celui même de l’éternité, du paradis en Dieu ou de l’enfer par les désirs.

b)                 La volonté de dépasser l’éphémère de l’existence peut l’être par la volonté farouche de supprimer le corps, par la présence d’un être transcendant qui apaise toute soif humaine. Mais on peut aussi penser le désir comme un instrument de libération permettant l’accès à soi. Il y a dans la fulgurance du désir l’éclair d’une existence qui se comprend « ici et maintenant ». Si notre seule patrie est la terre et une vie, alors la passion est la marque dans le désir de la « joie ». Du bonheur d’exister et de vouloir parce que l’on existe. La compréhension n’est plus extérieure, objet d’un savoir sur les choses mais intérieur : connais toi toi-même était déjà gravé au fronton du temple de Delphes. Accéder a soi est le chemin le plus difficile qu’il faut emprunter par le biais de cet « outil existentiel » qu’est le désir.

c)                  Ainsi l’art serait la réalisation du désir en tant qu’il est son moment proprement humain. La religion éloigne l’homme de ses désirs comme de sa liberté, l’art est le lieu proprement humain de la transcendance. La « jeune fille à la perle » de Vermer  illustre la fixation de l’éternité dans l’instant, son regard, son expression, la pliure à la commissure des lèvres : tout cela n’est présent que par la peinture, autrement cette beauté échappe à l’observation car elle est trop fugace, trop insaisissable. Le peintre rend la grâce de l’instant, elle est portée par chacun de nous. La grâce n’est plus propriété des Dieux mais des hommes : elle est son œuvre et sa Joie.




[1] Ici nous prenons la direction de la passion amoureuse comme paradigme d’un désir intense, probablement capable de porter avec lui la souffrance jusque dans sa manifestation suicidaire.

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