Désirer est-ce nécessairement souffrir ?
Réalisation d'un plan détaillé + introduction
Le désir est la volonté dirigée vers un objet, une
tension du corps et de l’esprit vers l’obtention d’un bien et la satisfaction
qui l’accompagne. Mais cette tension peut occasionner un désagrément, être une
source de souffrance et non de plaisir. Cette dernière se trouvant du côté de
l’insatisfaction lorsque le but n’est pas atteint, mais elle peut être liée plus
structurellement au fait de désirer même. Alors la question peut se ramener à
ces termes : désirer est-ce nécessairement souffrir ? Le sens commun
retient du désir sa capacité à nous faire sentir notre existence, son pouvoir
d’accélération de nos sensations et de nos perceptions, une vie à fleur de
peau. Mais au moment de l’acuité la plus grande se donne aussi la conscience de
la douleur, de la perte déjà, prise inexorablement en toute vie. Sensation de
manque jusque dans la possession, hantise de sa mort, promesse d’un vide à la
mesure du plein. Alors peut-être que nos plus grands désirs sont une annonce faite
à la mort. Est-ce un « fatum », un destin, que de ne pouvoir espérer
que pour souffrir davantage ?
Nous poserons dans un premier temps que la nature
du désir est d’être dans une tension qui assure tout à la fois la certitude de
l’existence en même temps que sa suspension dans l’attente de l’objet ;
moment d’une existence douloureuse car privée de ce qui est son sol. Mais ici
la nécessité prend la forme du désir, elle se fait croyance en une autre
existence, celle-ci plus riche et possédant une forme plus accomplie : une
destinée. Peut-être nous faudra t’il alors envisager que si un lien existe
entre désir et souffrir, il est sans « fatum », dépourvu donc de ce
qui serait la nécessité, il serait capable de porter avec lui le plaisir et la
joie. Ce ne serait donc qu’un lien accidentel, une mauvaise appréciation de
l’objet ou une mauvaise définition du désir qui serait la source de la perturbation. Enfin la
souffrance est peut-être entièrement
dans le fait de vouloir établir des rapports absolus, mesurables, quantifiables
et vérifiables dans le cadre des désirs qui engagent non plus des relations
causales mais des chemins de traverses ou la joie comme la souffrance ne sont
plus des éléments nécessaires mais des « inventions » du cœur, c’est
la nécessité qui est souffrance non le désir : c’est encore elle qu’il
faut interroger en se demandant de quel désir elle provient. Entendu que le
désir deviendrait alors la condition de possibilité tout à la fois d’un être
sentant, souffrant, content, et capable de qualifier son rapport à son propre
désir comme nécessaire ou accidentel.
1/ Le désir est la tension entre la volonté et
l’objet, la souffrance est dans l’espace de la séparation, dans une relation
insatisfaisante car incomplète.
a)
Le désir est d’abord un regret, il incarne avant
tout la perte et une forme de solitude extrême. Qu’est-ce que désirer sinon
vouloir de toute force un objet sans lequel mon existence semble sans
intérêt ? Alors le désir se double, il est désir de l’objet et désir que
l’existence prenne sa forme complète, désir que la douleur de l’existence sans
l’objet disparaisse et désir d’être comblé, satisfait. C’est dans la relation
qu’existe un malaise, la perte est préexistante, elle devance tout plaisir.
C’est aussi le moment de la plus grande « excitation », moment de
l’énervement de toutes les facultés, moment d’un sentiment extrême d’existence.
Je crois pouvoir combler le vide de ma vie par l’addition d’une autre vie[1].
La souffrance serait donc nécessaire mais provisoire, attente d’une satisfaction.
Ainsi ce n’est pas le désir qui est en cause mais son absence de satisfaction.
b)
La souffrance n’est donc pas nécessaire dans le
désir mais elle est une étape nécessaire du désir avant sa résolution.
Autrement dit la souffrance perdure tant que la volonté ne parvient pas à
saisir l’objet. La faute serait non pas du désir mais du défaut de l’action,
l’œuvre est de liberté. La liberté qui d’ordinaire préside à l’action semble
disparaître tant la nécessité de l’accroche à tel objet semble naturelle. Il y
a ici un effacement : je dois renoncer à ma liberté pour pouvoir
m’accomplir dans cette tension vers l’objet assigné de mon désir.
c)
La croyance est ici dans la nécessité qui me relie
à l’objet. Il faut ici retrouver l’essence d’Eros. Il est d’abord séparation,
il est ce qui pousse à partir de soi à trouver le multiple, enrichissement
d’une vie qui devient grosse de ses possibles. De l’un naît le multiple, à
partir de lui le monde se construit. Le désir est alors la désignation de cette
construction. Le désir est l’indice
d’une autre vie au sein de ma propre existence, de ce vertige de soi naît la
volonté d'une réassurance : trouver une forme de désir extérieur qui
empêche ce sondage vertigineux de ses propres abîmes. La religion est
l’assurance d’une créature hébétée face à l’ampleur de sa propre liberté.
2 / La
souffrance n’est pas un lien nécessaire mais accidentel. Le désir est premier,
il est la marque même de l’humain.
a)
Désirer n’est pas nécessairement souffrir, il y a
de la joie dans la découverte du philosophe : il a un désir proprement
philosophique, un Eros, qui est par lui-même bon et qu’il faut tenter de
rejoindre. Ainsi le mouvement vers la connaissance, vers le savoir, vers le
logos est un mouvement de joie. La faute n’est donc plus du côté du désir mais
du côté de la volonté qui assigne un but à la pulsion. Le meurtrier se trompe
de désir, comme le jaloux qui fige sa puissance d’agir en une liberté qui n’est
pas sienne.
b)
Il faut donc produire un travail de définition des
passions, une forme d’économie des passions afin de comprendre ce qui doit être
recherché ou fuit. Les méandres des passions épousent les imperfections de
l’homme. Le désir n’est ni bon ni mauvais, il est ce que la volonté en fait. La
seule nécessité repose alors dans le fait de désirer et non pas dans le lien
entre désir et souffrance.
C)
Le rapport entre désir est souffrance est donc
accidentel : le désir peut engager le calcul et le contrôle de soi, il
peut permettre une compréhension plus grande des choses, la science met en
place des « vérités » qui s’obtiennent aussi bien par le courage que
la lâcheté, par une raison sans désir ou par un désir ardent. La souffrance est
l’effet de l’absence, la cause n’est pas ici le désir mais la volonté de
vouloir combler un manque essentiel.
3/ La
souffrance est peut-être entièrement
dans le fait de vouloir établir des rapports absolus, mesurables, quantifiables
et vérifiables dans le cadre des désirs qui engagent non pas des relations
causales mais des chemins de traverses ou la joie comme la souffrance ne sont
plus des éléments nécessaires mais des « inventions » du cœur, c’est
la nécessité qui est souffrance non le désir : c’est encore elle qu’il
faut interroger en se demandant de quel désir elle provient. Entendu que le
désir deviendrait alors la condition de possibilité tout à la fois d’un être
sentant, souffrant, content, et capable de qualifier son rapport à son propre
désir comme nécessaire ou accidentel. L’art est la création la plus haute du
désir en tant qu’il nous fait côtoyer notre propre identité.
a)
La souffrance n’est pas dans le désir mais dans la
nécessité, la nécessité est la recherche d’un rapport constant, d’une mécanique
des fluides qui permette une connaissance objective. C’est cette vérité qui est
souffrance, cette « relativité » des rapports qui faisait tant
souffrir Pascal est la cause de cette volonté de faire sens. Mais l’inquiétude
de Pascal devant un monde infini, devant l’univers de la science positive
naissante, provient de la perte d’un monde centré par Dieu. Ainsi le
« repos » est-il tout de foi, de croyance, de superstition peut-être.
La figure de la vérité vacille, avec elle un monde complet. Dieu était objet de
tous les désirs, plutôt il incarnait contre tous les désirs imparfaits la
présence d’une Passion heureuse : celle-ci s’établissant par une inversion
des rapports : les désirs du corps comme ceux du monde sensible sont
illusoires. L’objet du pari est celui même de l’éternité, du paradis en Dieu ou
de l’enfer par les désirs.
b)
La volonté de dépasser l’éphémère de l’existence
peut l’être par la volonté farouche de supprimer le corps, par la présence d’un
être transcendant qui apaise toute soif humaine. Mais on peut aussi penser le
désir comme un instrument de libération permettant l’accès à soi. Il y a dans
la fulgurance du désir l’éclair d’une existence qui se comprend « ici et
maintenant ». Si notre seule patrie est la terre et une vie, alors la
passion est la marque dans le désir de la « joie ». Du bonheur
d’exister et de vouloir parce que l’on existe. La compréhension n’est plus
extérieure, objet d’un savoir sur les choses mais intérieur : connais toi
toi-même était déjà gravé au fronton du temple de Delphes. Accéder a soi est le
chemin le plus difficile qu’il faut emprunter par le biais de cet « outil existentiel »
qu’est le désir.
c)
Ainsi l’art serait la réalisation du désir en tant
qu’il est son moment proprement humain. La religion éloigne l’homme de ses
désirs comme de sa liberté, l’art est le lieu proprement humain de la
transcendance. La « jeune fille à la perle » de Vermer illustre la fixation de l’éternité dans
l’instant, son regard, son expression, la pliure à la commissure des
lèvres : tout cela n’est présent que par la peinture, autrement cette
beauté échappe à l’observation car elle est trop fugace, trop insaisissable. Le
peintre rend la grâce de l’instant, elle est portée par chacun de nous. La
grâce n’est plus propriété des Dieux mais des hommes : elle est son œuvre
et sa Joie.
[1] Ici nous prenons la
direction de la passion amoureuse comme paradigme d’un désir intense,
probablement capable de porter avec lui la souffrance jusque dans sa
manifestation suicidaire.
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