La
vérité
Une vérité peut-elle être définitive ?
Introduction : Tout d’abord la question d’une
vérité définitive supposerait qu’il y ait une autonomie si l’on veut une
autoréalisation de la vérité par elle-même. Une vérité jaillirait et nous en
serions spectateur, or une vérité peut elle exister sans une conscience qui l’a
saisie. Lorsque je dis il y a ici une table j’affirme la vérité de la présence
de l’objet, j’affirme un être, une chose. Nous sommes alors du côté d’une
vérité qu’on peut qualifier d’ontologique (ontologie= science de l’être). Cette
vérité ontologique est la première à apparaitre dans la proposition
« il y a » mais je suis sujet à l’erreur, je peux me tromper sur la
présence d’un objet. Or cette erreur me fait réfléchir sur l’affirmation que je
pose avec la proposition ontologique je ne pense pas l’acte d’esprit par lequel
la présence de l’objet. L’erreur étant l’occasion d’un retour de la conscience
sur elle-même, le « je » ne s’efface plus devant les objets mais
devient le lieu de la fabrication de la vérité ou de l’erreur à travers un jugement.
Nous sommes en présence ici d’une démarche critique qui revient sur le jugement
comme la source réelle de la vérité. C’est un retour sur la pensée elle-même où
j’interroge l’évidence de la perception. Ici je comprends que la vérité n’est
pas immédiate mais médiate, rien ne ce donne spontanément. C’est la
construction de l’esprit d’atteindre vérité ou erreur. C’est cette perspective
critique qui permet d’aborder une théorie de la connaissance c’est-à-dire une
perspective globale sur les possibilités d’une conscience à atteindre une
vérité, à saisir même si une vérité est possible. Si elle l’est, peut être
définitive en se demandant enfin le rôle pour l’esprit de la vérité comme
moteur de la représentation à la fois du réel et de l’existence du sujet.
I-Aucune vérité n’est
définitive car le rapport de la vérité à la réalité est un rapport élastique où
la réalité prend la forme même de l’esprit
La réalité se présente comme le
lieu de l’existence de l’objet, le réel supposant la présence matérielle d’un
être ou d’une chose. Au contraire la vérité n’implique pas une présence
matérielle, un procédé intellectuel de déduction. On en revient ici à la
distinction ontologique critique, le réel affirme que cette lampe existe. Cela
n’aurait aucun sens d’affirmer d’un point de vue critique que cette lampe est
vraie, la vérité est une valeur qui concerne exclusivement un jugement. Dans ce
cadre vérité est fausseté ne vise pas l’existence de l’objet mais la valeur de
l’assertion au regard de cette existence. Si je dis la lampe est bleue alors
qu’elle rouge la fausseté provient de l’erreur de jugement et non de la valeur
de l’objet. Pourtant certains actes de langage semblent affirmer la vérité ou
la fausseté de l’existence même. Lorsque je dis que c’est un faux Vermeer
j’affirme que l’existence de ce tableau est soumise à un doute de même lorsque
je parle de fausses dents j’implique qu’elles n’existent pas réellement. Or le
faux Vermeer est un vrai Van Mergeren et les fausses dents sont des vraies
prothèses. Vérité et fausseté se rapportent ici non pas au réel mais à la
réalité que j’ai de l’objet. Ici nous nous trouvons dans une forme d’impasse
puisque nous avons dit que la vérité est l’accord avec elle et maintenant nous
affirmons la matérialité de l’objet ne correspond pas à la définition du réel
mais que celui-ci dépend de la perception que j’ai de l’idée d’existence
immédiate. Cela nous invite à interroger la notion d’évidence. L’évidence c’est
ce qui se donne immédiate sans obstacle. La scolastique (seuls sont vrais les écrits saints et les écrits
d’Aristote) affirme « adequatio
rerum intellectus » c’est-à-dire adéquation de la pensée à la chose
ce qui signifie qu’il doit y avoir une correspondance entre ce que l’esprit
perçoit et ce que la chose est. Cela est possible parce que le monde a déjà été
posé sur un modèle divin. Les choses ont été modifiées par dieu et la mission
divine de l’esprit est de les recevoir comme une vérité divine. Il faut lire
dans le grand livre de la nature à cette condition que la vérité divine est
atteignable puisque le vrai est immuable comme l’immutabilité divine. En ce
sens « verum index
sui » : la vérité est à elle-même son propre signe. Ici la
vérité a la valeur de la position de Dieu qui crée et nomme les choses et les
êtres. En ce sens nous avons plus qu’à lire dans le livre de la nature « l’esprit suit la
matière et non l’inverse ».
Pourtant la vérité lorsqu’elle prend la forme
de l’évidence, elle est souvent composée de nos préjugés, de notre façon de
voir les choses. Cette façon scolastique de voir est une négation de toutes
cultures différentes. Il y a un relativisme culturel qui implique une
élasticité de la réalité, la réception du réel par la conscience suppose une
construction par la conscience de la réalité. Ici on pourrait parler de
conscience vernaculaire c’est-à-dire d’une conscience par héritage. Il n’y a
pas de table rase du réel qui est toujours déjà informée par la conscience. Les
jeunes enfants se servent aujourd’hui de tablettes comme si elles étaient
parties intégrantes du réel. Chaque génération saisie immédiatement l’héritage
technique comme la vérité du milieu extérieur. Le réel en un sens ne renvoie
plus à une quelconque vérité mais à la perception de la perception d’une
vérité. Gériko dans le derby d’Epsom nous montre des chevaux qui courent
ventre à terre, les quatre pattes ne
touchent plus le sol. Pour montrer le réel, l’artiste le transforme en posture
impossible pour un cheval qui court. En fait la réalité artistique suppose une
transformation comme Rodin qui nous montre un homme qui marche les deux pieds
au sol. Alors même pour marcher il faut être en déséquilibre.
II-La vérité n’est
plus une imitation de la réalité mais la construction d’une vérité opératoire
capable de modifier les conditions d’accès au vrai
Ici nous rentrons dans la
définition de la vérité pour les sciences. Dans les sciences toute vérité
suppose une dimension expérimentale : la vérité est le résultat d’un
accord entre l’expérience et la pensée. Nous retournons ici vers la méthode
expérimentale. La loi est alors l’accord du fait et de la théorie, s’il y a
validation de l’hypothèse au bout de l’expérimentation on considère qu’il y a
une loi générale. En ce sens la loi revient sur une pensée d’erreur puisqu’elle
modifie la compréhension que nous avons du réel. La plus part du temps nous
sommes confrontés à des objets qui portent en eux un passé scientifique. Ainsi
le thermomètre suppose la dilation du corps et la précision atmosphérique.
Bachelard dira que « tout
instrument est un théorème instrumentalisé » ce qui implique notre
regard ne peut jamais se poser sur un objet vierge, le réel est façonné par la
vérité, construit par un ordre des raisons. Je ne peux que regarder la nature
humainement puisque la nature est tournée vers l’homme humainement. La science
ne pose pas de vérité définitive, elle pose un état de la perception des
raisons chez l’homme. Un caractère est lié à la science celle que la vérité
scientifique est féconde, elle permet la modification de l’environnement sous
la forme d’un procédé technique. Ici nous pourrions rentrer la définition
particulière de la vérité qui est celle du pragmatisme. Toute vérité doit être
utile, c’est à l’utilité de la vérité qu’on vérifie sa validité. Il y aurait
différents types de vérités, la vérité scientifique permettrait une
amélioration de nos conditions matérielles, d’un point de vue politique cela
supposerait un accord du vivre ensemble et d’un point de vue subjectif la
possibilité d’atteindre le bonheur. Mais cette position pragmatique fait que
toute vérité est pensée comme positive et rentable. William James dira ainsi « l’idée de Dieu doit être
rentable et permettre la consolation ». Ici nous sommes dans une
logique libérale où les choses ont une vérité à l’unique mesure qu’elles ont un
avantage pour les hommes. Or les vérité en sciences proviennent d’un accident,
d’une révolution elle suppose un bouleversement des habitudes, des idées. Elle
est inquiétude et non repos. Si l’énergie nucléaire permet l’alimentation en
électricité en France à 70% elle est aussi responsable de l’accident de
Fukushima. Elle porte la vie en même que la mort. Il y a des vérités qui sont
porteuses de morts, nous désirons une vérité d’arrangement. Saint Exupère
écrivait dans terre des hommes qu’ « aucune vérité fait de l’homme l’homme ».
Autrement dit derrière chaque vérité nous trouvons la définition que nous
donnons nous-mêmes à notre propre humanité. Bien sur il existe des éléments qui
sont importants pour déterminer une vérité. Premièrement, c’est le principe de
non-contradiction. Une expérience ne peut être vraie et fausse à la fois, le
positionnement d’un système de jugement implique la reproduction possible de
l’expérience. C’est le principe de non falsifiabilité de Popper. Dans des
conditions expérimentales données le résultat de l’expérience est toujours
identique. Ici on réfléchit les conditions de résultat de l’expérience et non
ses prémices. Par exemple, dans une formation syllogistique du type les hommes
sont bruns, Socrate est brun. Ici il y a un accord logique des propositions
mais il y a un désaveu expérimental, il
faut s’assurer du postulat de base pour s’assurer des conclusions aberrantes.
La vérité expérimentale peut être logistique mais dans ce cas elle doit
s’assurer du principe initial de l’expérience. On peut donc distinguer deux
types de démarches scientifiques au regard de ce principe de non-contradiction.
Les sciences objectives permettent de reproduire l’expérience d’une manière
infinie, la reproductibilité de l’expérience et sa reproduction désigne un état
de vérité. Du côté des sciences subjectives la reproduction de l’événement est
impossible, on dira alors que celui-ci est infalsifiable. C’est donc les
jugements autour de l’événement qui font l’objet d’un énoncé vrai ou faux. Cela
n’implique pas qu’il n’y a pas de vérités scientifiques mais que toute vérité
est subjective, se connaissant comme contestable ou d’autre je peux en modifier
la perception du jugement. Cependant les sciences dites dures ont connu à
partir du milieu du 20ème siècle une remise en cause : la
vérité dans les sciences est contestable puisque celle-ci utilise des éléments
de rationalisation qui proviennent de l’expérience lui-même. Les mathématiques s’appelle
aujourd’hui science hypothético-déductive, les sciences renoncent à une vérité
générale et objective. Les valeurs morales elles aussi subissent les variations
des sociétés et des existences. Platon posait que « ce sont les vérités invisibles qui nous guide, que
tous nous vivons dans l’obscurité tant que nous ne connaissons pas nous-mêmes ».
Telle est la devise inscrite au plotons de Delphes mais il faut entendre que la
vérité n’est jamais droite mais oblique, elle suit les pentes de nos passions.
Œdipe en est l’illustration. Œdipe a un nom qui étymologiquement signifie
« oe dipous » jambe tordue, pied beau, son nom est directement lié à
son histoire. Les parents d’Œdipe vont voir l’oracle de Delphes et il leur dit
que leur enfant tuera son père et couchera avec sa mère. A sa naissance il est
confié à un chasseur de petits gibiers, il va faire à Œdipe ce qu’il va faire
aux gibiers. Il lui perce la cheville, passe une corde mais Œdipe gazouille.
Devant un spectacle si touchant, le chasseur ne peut accomplir sa mission, il
le confit donc à un roi et une reine qui ne pouvait avoir d’enfants. Mais Œdipe
grandit en entendant parler d’une prophétie. Il se déplace jusqu’à Delphes et
entend la prophétie de la Pythie. Ainsi pour échapper à son destin il décide de
quitter ses parents. Il chevauche et s’arrête devant un pont de cordes, face à
lui un homme qui lui dit de lui laisser le passage et il tue celui qui
traverse. Et il arrive à Thèbes et là la ville est doublement en émoie.
Premièrement le roi à disparu et deuxièmement la sphinge mange tous les jeunes
gens de la ville. Il l’affronte, la question est qui a deux pied une voix,
trois pieds une voies et quatre pieds une voix. Il répond l’homme alors qu’en
fait c’est lui-même la réponse, le seul parce qu’il embrouillé au point de vue
des générations et il est capable de décoder l’énigme. Il revient en vainqueur
et épouse la reine. Les dieux rejettent l’union et la peste s’abat à Thèbes. Il
va apprendre la vérité et se crever les yeux, le regard sensible ne lui permet
pas de voir la vérité. Pourtant Œdipe aurait pu échapper à son destin, il ne
lui suffisait de ne pas tuer un homme en âge d’être son père et de ne pas
coucher avec une femme en âge d’être sa mère. La vérité dans cette tragédie est
oblique, il ne faut pas prendre un énoncé pour une vérité, elle doit être
interprétée. La vérité est une herméneutique, elle doit être reconstruite et
réinterprétée.