Philosophie

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samedi 18 janvier 2014

Être libre est-ce s'engager ? Corrigé complet de la dissertation




A la question "être libre est-ce s'engager" nous pouvons répondre que la la liberté est justement le fait de décider du chemin que l'on emprunte, la liberté comme décision, comme pouvoir d'entreprendre et de choisir. La liberté est ce pas vers un engagement total : s'engager pour exister, définir ce que nous désirons être, faire et advenir par les choix posés... Mais en même temps l'engagement suppose une forme de fermeture à ce qui n'est pas lui; quelle frontière entre l'engagement et le fanatisme ? Celui qui s'engage dans un projet terroriste est bien du côté d'un engagement total et pourtant il est par là même dans l'oubli de la position de l'autre et il s'enferme plutôt qu'il ne se libère. L'engagement doit donc être modulé selon sa matière et sa forme : on parle de l'engagement des jeunes mariés mais que pèse t'il face à la force du désir qui surviendra demain ? On parle de l'engagement dans le cadre militaire qui suppose la signature d'un contrat de travail sur des valeurs partagés. Ou encore de l'engagement contre le terrorisme qui suppose que nous mettions tous les moyens disponibles à la défense de la démocratie sans porter atteinte par cette action aux valeurs que nous défendons. Et puis il y a l'engagement de cet adolescent qui part faire la guerre pour une cause qu'il ne comprend pas entièrement mais qu'il croit faire sienne. Devant tous ces "engagements" nous ne pouvons que comprendre que la véritable question n'est plus celle de l'engagement mais de notre capacité de distinction et de compréhension des natures différentes de l'engagement. N'est-ce pas la question de la liberté qui redevient ici centrale ? Ce n'est pas l'engagement qui rend libre mais le fait que par lui peut-être et pour un temps je ne me pose plus la question de la liberté parce qu'elle serait réglée par la présence même de cet engagement. L'engagement serait alors le gage d'une liberté que je n'aurai plus besoin de prouver ni aux autres ni à moi-même. L'engagement prendrait alors la forme d'un leurre, d'une volonté qui tente d'oublier sa propre liberté, qui "s'abrutirait" du sentiment de sa propre liberté et de sa propre force dans le fait d'avoir choisie. S'engager équivaut plus à se prouver qu'à se trouver, et c'est la nature de l'engagement qui vient, et seulement dans un second temps, renseignée la nature de ma liberté.

Plan détaillé -

1 / La liberté est par elle-même un engagement.

A - Être libre suppose que nous fassions des choix, que nous assumions ce que Sartre nomme être notre condamnation : celle de ne pouvoir échapper à cette liberté qui est "si évidente" que je ne peux pas ne pas la voir en moi et la supposer en toute personne. La liberté suppose ce que nous pouvons nommer l'engagement : le fait de comprendre une situation, d'en mesurer parfois les risques, et de s'y engager. C'est la Phronésis grecque, cette action risquée qui conduit - comme hommes et femmes - a prendre des décisions - imparfaitement mais nécessairement. Il ne faut donc pas entendre immédiatement l'engagement comme une fermeture qui supposerait un cadre rigide et intransigeant amis plutôt comme la reconnaissance de ce qui me meut : l'action libre suppose une intention et une direction
B - en ce sens la liberté déterminée vient informer le sujet et lui permettre de choisir son action selon son but. Car enfin la liberté n'est pas seulement la capacité à vouloir mais aussi à vouloir comme il faut. Être libre s'entendant alors comme le calcul causal de l'efficacité de l'action : non pas penser la liberté comme une multitude de choix et ainsi réfléchir la liberté comme une multiplication de regards mais éliminer ce qui se présente comme un choix sans en être un. Sartre disait ainsi reconnaître la seconde guerre mondiale comme le moment d'une liberté réelle car confrontée seulement à des choix cruciaux et vitaux, lorsque tous les choix se réduisent au fait de résister ou collaborer nous nous trouvons devant une réduction des possibles qui est paradoxalement un moment d'intense prise de choix.
C - Mais ici l'engagement semble bien plus le fait d'une histoire que d'un individu. Comment concilier l'engagement individuel avec ce puissant moteur qu'est l'histoire ? Comment poser des choix libres dans un cadre dominé idéologiquement ? Comment un enfant peut-il résister à cet appel des adultes ? Comment ne pas devenir membre des jeunesses hitlériennes lorsqu'à 12 ans seul les chants nazis ont bercé son enfance ? S'engager ici n'est plus le signe d'une  quelconque liberté mais de l'inexorable servitude du totalitarisme qui fabrique avec des enfants des soldats et des bourreaux.

2 - la liberté consisterait alors dans le refus de tout engagement.

A - Le seul engagement qui vaille serait celui alors de ne pas en prendre : accepter autrui dans toutes ses dimensions et sa complexité, reconnaître en lui la même liberté en qu'en moi-même. Lévinas parle du regard comme le signe de cette humanité, d'une liberté qui prend alors une autre forme que celle de l'engagement : c'est la conscience qui fonde notre humanité et ainsi notre liberté. Notre capacité à nous émouvoir, à réfléchir en dehors des clivages qui bordent l'intolérance et le refus de l'autre.
B - Très souvent nous tentons de masquer le vertige de la liberté derrière une vitrine sociale qui permet de ne plus réfléchir au sens de l'action individuelle. Se reposer dans une fonction qui devient le tout de notre être : devenir garçon de café comme l'encrier est un encrier - faire de sa vie un Etre cad endosser une unique identité. Transformer une incertitude en habitude : produire avec de la liberté une identité sociale qui n'implique jamais une décision strictement individuelle.
C - Mais alors l'engagement devient la trace d'une peur de la responsabilité face à toute action nouvelle. Il faut au contraire s'engager afin d'exister pleinement. Cet engagement prend des formes diverses : s'engager prend d'abord la forme de la promesse, faite à autrui, parfois à soi - c'est aussi l'engagement comme prise de parti, la décision d'entrer dans une lutte et de faire sien ses objectifs, lors de la seconde guerre mondiale Charles de Gaulle décida de rallier l'Angleterre d'où il lança son appel du 18 juin 1940 qui marque l'engagement de la France libre contre l'occupant allemand et le gouvernement de Vichy - l'engagement est aussi la forme dernière de la fusion avec une pensée ou une idéologie, on parle d'une entrée dans les ordres comme d'une entrée en politique, il s'agit tout en même temps d'épouser une cause plus grande (ou qui le semble) que soi et de renoncer à ce qui fait ma spécificité comme individu.

La liberté n'est pas une affaire d'engagement mais d'emballement, être libre serait alors ce pouvoir de décider tout en restant disponible pour l'inconnu.

A / Etre libre est ce mélange entre liberté déterminée et liberté absolue, de calcul et de surgissement. Notre condition humaine est celle d'un être qui doit sans cesse décider et agir alors même qu'il est confronté à la liberté d'autrui - la prudence chez les grecs étant dans cette malédiction de devoir agir d'une manière risquée car nul ne peut rester en dehors de l'action et ne peut connaître la totalité des causes et des effets. Être libre serait alors l'acceptation de cette particularité humaine : une responsabilité totale qui va même au-delà de ma propre action pour atteindre celle d'autrui.
B / Je suis responsable d'autrui (Lévinas) signifiant que je dois maintenir autrui comme possédant la même responsabilité que moi - je suis responsable de mon bourreau ne signifiant pas que je suis coupable mais que je dois le considérer encore comme un homme afin de pouvoir le juger et le condamner. La force du regard est celui de l'humanité entière - comme Vercors qui voit dans la souffrance celle faite à tous les hommes - notre responsabilité est de saisir autrui comme un autre moi-même, possédant ses fins propres et digne de respect.
C / La question de l'engagement est aussi  celle du temps, je puis m'engager pour ce que je suis et connais de moi et des autres aujourd'hui mais comment parier sur un futur incertain ? N'est-ce pas en creux la question du désir qui apparaît, de ce pari fait de croire demain en ce que je crois aujourd'hui? Il faut réfléchir la question de l'engagement comme celle des relations humaines qui nécessitent à la fois se déplacement vers l'autre et l'acceptation des normes sociétales. S'engager pour exister et faire exister la justice autour de soi - à l'image de ceux qui ont combattu et résisté pendant la seconde guerre mondiale - comme Mandella pendant l'apartheid - et combien d'autres figures encore - Mais tout le monde n'a pas le courage et la force de Guy Môquet - nous devons comprendre pourtant que chacun de nos actes tisse notre identité, que chacun d'eux fait de nous un salaud ou un héros, c'est ce fardeau que nous devons assumer - nous devons vivre comme si l'action faite était celle qui donne son sens à notre existence, la liberté n'étant plus rien d'autre alors que notre propre capacité à prendre acte de cette responsabilité qui est le "fatum" de la condition humaine.