Philosophie

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lundi 6 juin 2022

Le désir : faut-il désirer l'impossible ?

 


Le désir : « Faut-il désirer l’impossible ? »

 

Introduction générale :

Le désir s’exprime d’abord comme une tension vers un objet (sens sociologique). C’est-à-dire que j’ai la volonté d’obtenir cet objet et que durant tout le temps où je suis tendue vers lui, celui-ci me manque. Le désir suppose donc l’absence. Et cette absence est douloureuse. Désirer c’est donc vouloir mais ne pas avoir. J’ai en même temps la volonté de le posséder et la conscience douloureuse de son manque. Etymologiquement, le désir renvoie à deux termes latins. Le premier est Considèrerai qui signifie le fait de contempler un astre, une étoile et de si complaire. Le second terme est Desiderare qui signifie qu’alors que je me tourne vers les cieux, à la place de l’étoile, je ne vois rien. Dans ce cas je désir voir l’étoile absente. Je suis dans le manque de l’étoile. Il y a donc ici deux situations : une première qui est celle du plein ou le contentement est contemporain de la contemplation. La seconde situation est celle du vide. Alors que je souhaite voir l’étoile, celle-ci n’est pas visible. Cette absence est ici, souffrance. Mais il y a un autre paramètre dont nous n’avons pas tenu compte : Je peux considérer un astre, le contempler, le regarder alors même qu’il est depuis longtemps mort. La vitesse de la lumière, pour que l’image de l’astre parvienne jusqu’à moi suppose un délai de plusieurs dizaines d’années. Ainsi je ne vois que la lumière réfléchi de l’astre et non l’astre lui-même. Ici la présence est une illusion. L’astre est déjà mort alors que je crois le voir. Ici la présence est donc absence ou possiblement absence. Dans le cas, le moment du Desiderare est le redoublement de cette absence avec la conscience de l’absence. Ce qui impliquerait que nous soyons en constamment dans le désir. On pourrait dire que l’absence fait partie de la définition même de l’homme : le désir est thétique de soi. C’est-à-dire qu’il est définitionnel au même titre que le langage est le propre de l’Homme. On voit que le désir n’est pas l’épiphénomène d’une situation qui serait celle d’un plein habituelle mais qu’au contraire, le désir s’insinue jusque dans la présence de l’objet et que finalement le désir n’est pas extérieur à nous mais intérieur. Il est peut-être la façon proprement humaine d’échapper ou d’oublier la présence de la morte. 

Introduction : 

A la question Faut-il désirer l’impossible ? Nous serions tentés d’abord de répondre que c’est l’impossible qui est l’aiguillon du désir. Vouloir le possible n’étant rien d’autre que vouloir ce que je peux avoir. Ainsi la volonté s’oriente vers l’impossible c’est-à-dire vers ce que l’on sait ne pas être tenable. Mais immédiatement nous serions tentés d’objecter que le possible d’aujourd’hui était bien l’impossible d’hier : aller sur la lune, sous les eaux, dans les airs n’est-ce pas le rêve d’Icare qui s’incarne dans l’avion supersonique. Autrement dit le génie humain se donne comme désir quelque chose qui ne l’est actuellement pas et ce faisant permet des avancés et une modification du possible lui-même. Les contes nous parlent de cette autre impossible qu’est celui de l’amour éternel. N’est-ce pas suffisant pour tenter de l’atteindre ? Ce que le désir vise alors c’est l’absolue qui peut être l’autre nom de l’impossible. Dépasser  nos contraintes physiques, dépasser les contraintes spatiales, dépasser les contraintes intellectuelles et parfois morales, n’est-ce pas la finalement le but de tout désir ? 

I)              L’impossible est le but de tout désir, il se présente d’abord comme une nécessité 

 

A)   La cristallisation de désir

Stendhal dans « De l’amour »  décrit le processus de cristallisation amoureuse. Il raconte une promenade près des mines de Szalsbourg. Il plante dans une saline un morceau de bois ordinaire et poursuit sa promenade. Trois semaines plus tard il repasse par le même endroit et voyant émerger le haut de son bâton, il le tire de la saline « un sceptre brillant de mille diamants. »  Cette analogie nous permet de comprendre que le désir vient parer un objet ordinaire de qualités extraordinaire. Je viens donc projeter sur un homme ou une femme tout ce que j’imagine comme étant ces qualités afin qu’il puisse répondre à ma demande d’idéale. Mais cette opération est complexe car en même temps que je fabrique moi-même l’objet de mon désir, je dois ignorer que ces qualités ne sont pas les siennes. Autrement dit je dois fabriquer un objet et oublier que je l’ai fabriqué. C’est le concept de subreption (Kant) qui vient faire comme si l’objet m’était imposé de l’extérieur. Comme si c’était une fatalité. Comme si il s’agissait d’un coup de foudre. 

 

B)   La sublimation 

Ainsi l’individu construit un objet imaginaire et oublie dans le même mouvement qu’il en est le créateur. L’objet possède donc les qualités projeté de son créateur. Ici nous retrouvons la cristallisation dont parlait Stendhal. Un objet ordinaire (commun) est sublime. C’est-à-dire qu’il est paré de toutes les qualités et toutes les vertus. Le sublime à cette définition : « Ce à coté de quoi tout le reste est petit. » dans La faculté de juger écrit par Kant. C qui signifie qu’est sublime ce qui est toujours plus grand. Il y a donc quelque chose de l’adoration dans le sublime qui confère à l’objet désirer un statut à part. « Un seul être vous manque et tout est dépeupler. »  (Lamartine) Ce qui signifie qu’il y a dans la relation un changement dans la conception du monde. Ce que l’on appelle une conversion du regard qui ne supprime pas le monde mais qui lui donne un unique visage. Et tous ceux qui comptaient pour vous n’existent quasiment plus. Il n’y a donc pas une suppression du monde mais remplacement du monde, ce qui nous permet de comprendre que dans la relation amoureuse le suicide soit une option possible. En effet la conversion du regard est liée à un mécanisme d’illusion qui fabrique en même temps un objet idéal et un monde qui ressemble à cet objet. Aussi si l’objet vient à manquer c’est le monde lui-même qui vacille. 

 

C)   L’imagination est maitresse du désir / L’impossible comme moteur d l’évolution 

L’imagination est donc à l’origine de la relation amoureuse. Le sujet se prend lui-même comme objet mais projette sur autrui ces propres déterminations. En un sens le désir ici est aveugle au sujet en face de lui pour ne plus y voir que l’objet de son fantasme. En ce sens le désir est d’abord une donnée psychologique. Cette donnée psychologique est erratique. Elle choisit un sujet et peut le décliner en des formes diverses. Ainsi si le sujet aime tel ou tel élément, par exemple, participé à une chasse aux sangliers il peut avec le temps passer du sanglier au lapin, puis avec l’âge s’intéresser aux livres sur la vénerie pour enfin dans son grand âge, devenir bibliophile. Ici nous avons assisté à un déplacement. L’individu qui aime la chasse va pourtant modifier sa pratique pour continuer à faire exister ici comme sujet ici le verbe chassé. Il y a ici ce que nous appellerons un déplacement du désir qui permet d’assouvir la tendance tout en modifiant son objet. Il y a donc une capacité adaptative de la tendance avec déplacement d’objet et en ajout le fait que tout est tendance, toute inclination vers un objet implique le désir avec des variations qui ne sont que du moins vers le plus. Ainsi la lionne esquisse son bon avant de fondre sur sa proie. Ribaut (psychologue du 19eme) que tout est tendance, qu’elle est mouvement avec cette précision, qu’elle suppose une intention et un objectif. Ici la tendance est un intervalle entre l’intention et l’objectif. 

 

II)             La nature du désir / Le possible 

 

A)   Le désir comme tension / la pulsion 

Le désir suppose donc une tension vers un objet mais toute tension est douloureuse. Elle implique une excitation qui ne peut se résoudre que par l’obtention de l’objet visé. En fait la pulsion entretient un rapport économique avec l’excitation, plus elle est différé plus elle s’intensifie. Si l’on prend comme modèle la relation sexuelle, son moment le plus haut correspond à la jouissance qui n’est rien d’autre que la suppression massive de l’excitation et donc du déplaisir qui l’accompagne. Ce qui est enregistré comme jouissance, c’est-à-dire comme satisfaction n’étant rien d’autre que la suppression d’une excitation douloureuse. C’est une chute massive de l’excitation. La pulsion a donc un rôle régulateur. Elle engage la poursuite de son action jusqu’à satisfaction. Et elle obtiendra satisfaction qu’elle que soit les circonstances. Autrement dit la pulsion se transforme si elle ne peut s’assouvir. 

 

B)   La double nature du désir 

Hésiode dans « Les travaux et les jours »  fait le récit des Dieux avec cette idée présente pour nous que pour les grecs se sont les poètes (Homère, Hésiode …) sont ceux qui raconte les Dieux. Les mythes fondateurs grecs mettent en scène trois puissances. Il y a Gaïa (terre), Kaos (désordre) et Eros (désir). Au début de toute chose il y a Gaïa qui est une partie matérielle entouré de néant. On ne peut rien advenir de Kaos car c’est le chaos, le désordre absolu. Eros, lui, est une puissance de révélation. Il ne peut exercer son pouvoir sur Kaos. Il va l’utiliser sur Gaïa et l’a poussé à faire advenir d’elle le multiple. Désormais Ouranos (ciel) est dans un acte de copulation permanant. Sans espace entre eux, Gaïa voit ses enfants naitre et vivre en son sein. Gaïa demande à l’un de ses enfants Chronos (temps) de la libérer. Pour cela elle force une harpé (serpe) avec laquelle Chronos va trancher le sexe d’Ouranos. Celui-ci est alors violement éjecté de Gaïa pour rejoindre la place qu’il occupe aujourd’hui. Le sexe tranché avant d’atterrir dans l’eau laisse tomber des gouttes de sangs sur Gaïa. Ses gouttes de sang donneront naissance à la puissance de la vengeance famille. On ne peut pas toucher aux membres de sa famille. Chronos est maudit. Le sexe tranché atterri dans l’eau, le sperme qu’il contient encore se mélange avec les eaux, l’écume. Donnant naissance à la déesse de l’amour Aphrodite qui plus tard aura une descendance avec la pitié, la misère. Cet enfant se nommera Eros. Il y a donc dans la mythologie grecque, deux Eros. L’Eros premier le fondamentale. L’Eros second. Le premier est une puissance de séparation et en même temps de révélation. A partir de l’un il crée le multiple. Il est force de multiplication comme puissance. Il est tellurique c’est-à-dire qu’il ; est une puissance de violence, de force, de contrainte. Eros second, fils d’Aphrodite est au contraire une puissance d’une union de retour vers l’un avec le multiple il crée de l’unité. Il est aussi cette amour courtois qui donne la passion amoureuse symboliser par Cupidon, de deux cœurs, faire un. Les grecs parviennent donc à maintenir en tension deux pôles opposés : La séparation et l’union, la division et l’addition. Ce que cela nous apprend c’est qu’il n’existe pas pour les grecs de désir sans violence, sans séparation d’avec une partie de soi-même, sans rupture. Et que dans le même moment le désir peut être aussi amour, volonté de fusion, réunion. C’est ce que l’Occident a oublié. Le christianisme rejetant violemment ou oubliant l’Eros premier au seul profit de l’Eros second. 

 

C)   Mythes des Androgynes 

Platon dans « Le banquet » raconte le mythe des Androgynes qui est un mythe de l’origine des hommes. Au début nous étions des sphères avec 4 bras, 4 jambes et 2 faces. Nous nous déplacions très rapidement avec nos 8 membres. Ces sphères prenant conscience de leurs forces ont défiés le pouvoir de Zeus. (Ces sphères sont Androgynes c’est-à-dire qu’elles peuvent être mâle-mâle, mâle-femelle, femelle-femelle) Zeus est en colère et décide de punir les Hommes. Avec sa foudre il les tranchent en deux. Les deux faces se séparent et tombe sanguinolente par terre. Mais ainsi tranchés, les hommes vont disparaitre, alors il charge Héphaïstos de réparer les hommes. Celui-ci se saisit de la peau de chaque côté de la couture et referme la blessure en cousant la peau. La trace en est le nombril. Et pour que les hommes ne songes plus à défié Zeus, il prend la tête et la tourne du côté de la cicatrice. Afin que les hommes n’oublient pas le châtiment infligé par Zeus et leur faute. Mais ces êtres divisés qui désormais rampent au sol n’ont qu’une idée en tête. Retrouver leur moitié perdue. Alors quand ils trouvent une moitié, ils s’agrippent mutuellement et ne se lâchent plus. Zeus est embêté. Il charge donc Héphaïstos d’une mission. Il lui demande de retourner aussi les organes de la génération (sexes). Désormais les deux moitiés, quand elles se saisissent, ont leurs organes sexuels qui rentrent en contact. La sexualité advint. La jouissance arrive. L’apaisement de la tension conduit les corps à se séparer avant qu’ils se retrouvent à nouveau pour toujours se séparer encore. La sexualité prônée par le Christianisme comme figure de l’union est enfaite une séparation des corps et une séparation des esprits. Elle n’est inventée que pour que la division advienne. 

 

III)           Le désir comme marque de l’humaine condition 

 

A)   Opposition de raison / passion

On oppose la raison aux passions. On peut immédiatement noter que la raison est pensée du côté de l’unité, qui donc n’est pas divisée face à une multitude de passions. Ce qui suppose immédiatement un statut dévalorisé des passions par rapport à la raison. L’étymologie nous renseigne immédiatement sur les raisons de cette dévalorisation : raison vient de ratio qui signifie penser, mesure qui conduit à poser que la raison est active. Elle est action. Tandis que les passions viennent de patior qui signifie subir, pâtir. Autrement dit, les passions sont du côté de la passivité. La raison est interne, elle engage la volonté tandis que la passion est externe, qu’elle est contrainte. Cette activité de la volonté conduit à définir des mesures c’est-à-dire la réflexion. Cette réflexion conduit à penser la raison du côté de l’esprit. Au contraire la passion st du côté de la démesure (Hubris). Elle est une propriété du corps. L’âme sera donc pensée, ce qui impliquera qu’elle possède la vertu. Tandis que les passions seront considérées des côtés des pêchers. Ce qui conduit à divisé le corps et l’âme. Ce qui d’un point de vu philosophique est entrepris et réalisé par Platon. Platon distingue trois états de l’Homme. Cette tripartition de l’âme distingue, le souffle comme puissance, le nombril et son bas ventre comme siège des désirs et enfin la pensée qui elle-même possède un nombril mais celui-ci céleste. Pour les grecs le souffle s’additionne soit à l’esprit, soit au bas ventre mais jamais l’un ou l’autre ne sera totalement supprimé. Platon dira «  il faut mettre la raison au gouvernail du monde. » Sous entendant ainsi que nous sommes balloté sur un vaisseau qui navigue dans la tempête des désirs et des passions et que seul la raison peut être notre boussole. On retrouvera cela dans « l’apologie » de Socrate ou Platon raconte la mort de Socrate. Socrate a été condamné à mort pour impiété et pour corruption de la jeunesse. On permet à Socrate d’échapper à la mort mais il refuse en disant « je préfère mourir sous de mauvaises lois que sans lois. » La mort est donnée par absorption d’un poison la cigüe. Socrate  absorbe le poison. Il faut savoir que Socrate est celui qui sait détacher de son vivant des passions. Il est mort au monde pour renaitre aux idées. Il qualifie le corps de bourbier le l’âme. Mais en même temps il goute aux plaisirs des corps et aux plaisirs des banquets sans jamais être atteint par l’Hubris, la démesure, ni l’alcool. Mais au moment ou Socrate boit la poison, il à un tressaillement. Celui-ci peut être du par l’amertume du poison ou par une incertitude au moment de la mort elle-même.

 

B)   Différence besoins / passions = « Malheur à qui n’a plus rien à désirer. » Rousseau 

Le Moyen Age, vient consacrer cette division de l’âme et du corps. On qualifie le Moyen Age comme le crépuscule des émotions. Cette formule signifie que le Moyen Age est ce moment où l’on passe d’une émotion à l’autre. De la violence à la bonté dans le même intervalle de temps. Crépuscule parce que c’est le moment flamboyant des passions et n même temps de leur automne. L’époque moderne vient penser autrement le rapport aux passions. C’est déjà l’amorce du romantisme et l’athéisme révolutionnaire vient briser le rapport à une raison qui serait commandé par Dieu lui-même. Rousseau est le penseur de la passion. D’un retour au corps qui est aussi retour à une nature qui est en train d’être perdue par l’industrialisation naissante. Il reprend ce que l’on nomme au 18 ième la carte du tambre (cf. Google). Cette carte montre que nous nous dirigeons entre des passions qui sont bénéfiques ou non. Tout dépend de l’intention qu’est la nôtre. Ici on voit naitre le début de l’âge de la responsabilité individuelle, de la volonté. Avec une réhabilitation massive des passions. Epicure écrivait déjà qu’il faut distinguer entre besoins et passions. Les besoins sont naturels tandis que les passions sont artificielles. A partir des besoins élémentaires : manger, boire, dormir, se reproduire. Les désirs viennent s’emparer de ces besoins pour construire avec eux une sophistication qui conduit à injecté du désir dans tous les pans de la société (La publicité : travail sur du désir. Pub de voiture s’accompagne d’éléments désirable en terme de statut sociale …) Rousseau reprend la formule de Platon en changeant son sens. Il indique qu’il faut mettre la vertu au gouvernail du monde. Mais la vertu pour Rousseau est une passion. Rousseau inscrit en effet que la raison ne peut jamais vaincre une passion. Car la raison est froide tandis que la passion est chaude. Ainsi une allumette fait fondre un glaçon. On ne peut éteindre un gigantesque incendie que par le souffle d’une explosion. Pour Rousseau seul une passion peut maitriser une autre passion. La raison à toujours déjà perdue. Plus encore la raison est un épiphénomène de la passion. 

 

C)   L’impossible est projection vers le future et construction d’un sens 

Le désir est toujours lié à une projection, au fait d’une tension. En ce sens la présence du désir est toujours une forme d’absence à l’évènement et au circonstance du présent. Le désir s’appuie sur la passé et se projette vers le future en oubliant la réalité du moment. On pourrait le comparer à un coureur qui s’élance dans une descente. Il court de plus en plus vite jusqu’à ce que ses jambes courent plus vite que lui. C’est le moment juste avant la chute, mais c’est aussi le moment grisant du dépassement de ses possibles. On trouve cette assimilation radicale à la passion dans « L’avare » de Molière. Celui-ci accumule l’Or sans s’en servir jamais. Il est mal habillé, mal nourri. Il n’est donc pas dans la jouissance cet or qu’il accumule. Il ne l’est pas car il est entièrement dans le désir. En effet il est non pas dans la jouissance mais dans une capacité de jouissance. Ce qu’il vise c’est une jouissance absolue qui ne peut être satisfaite par un objet particulier. Lorsqu’il s’aperçoit que sa cassette est dérobée il s’exclame « Au voleur, A l’assassin. » La passion vient finalement se confondre avec un autre être lui-même. Elle n’est pas distinguée de nous, elle est ce que nous sommes. Ce qui signifie que la réalité elle-même est le produit de notre propre conception du désir. 

samedi 19 décembre 2020


Dissertation rédigée par une élève : "Les hommes pourraitent-ils aimer le travail?"

Excellent devoir : des ref maitrisées, une progression cohérente et riche. C’est dans le genre presque parfait 

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On tendrait à répondre, si la question « Les hommes pourraient-ils aimer le travail ? » venait à se poser, que celui-ci n’a d’abord pas pour vocation d’être apprécié ; il est avant tout le moyen de subsistance de l’homme, qui depuis toujours transforme de ses mains la nature pour assurer sa survie[TN1]  ; telle est d’ailleurs la définition première du travail. On lui associe aussi, depuis longtemps, une connotation négative : le mot français « travail » prend son origine dans le terme latin tripalium, un instrument antique de torture. Son synonyme est labeur, du latin labor, peine, effort. Le travail apparaît donc comme générateur de souffrance : il est fastidieux, rebutant, épuise, et bien que nécessaire nous lui préférons souvent le repos et les loisirs. Le travail semble alors difficilement aimable. On ne peut pourtant nier l’importance de la place qu’il occupe dans nos existences. En effet dans nos sociétés contemporaines, l’homme ne peut être totalement homme s’il n’exerce pas une activité professionnelle qui lui correspond ; il faut absolument se réaliser dans son métier, car sinon on gâche sa vie. Crucial donc, d’aimer son travail. Nous nous trouvons ainsi tiraillés entre cette nature apparemment pénible et désagréable du travail, et cette nécessité qui nous ordonne de l’apprécier malgré tout, tant la place qu’il prend dans nos vies est grande. Mais[TN2]  le travail, n’est-ce pas aussi le plaisir d’être en activité, faire œuvre, et mettre ses forces à l’ouvrage pour surmonter les obstacles ? A ce moment le travail prend sens, et devient indissociable de la vie humaine. Mais si parfois le travail semble nous contrarier dans nos aspirations instinctives, alors que dans d’autres cas il apparaît comme la meilleure activité  de l’existence, c’est en fait un problème ontologique à propos de l’homme qui se pose : La nature humaine nous incline-t-elle en vérité à fuir le travail, ou plutôt à y trouver plaisir?  

Nous tenterons donc de répondre à cette question, en développant notre argumentation en trois temps. Nous commencerons par une réflexion sur cette conception commune, qui veut le travail contraignant et ennuyeux pour l’homme, celui-ci semblant naturellement tendre au repos et à la contemplation.  Mais nous verrons dans un second temps que le prix de la réalisation de notre nature humaine est peut-être cette confrontation à la difficulté que demande le travail, et que par conséquent nous pouvons le rechercher et y trouver plaisir. Nous verrons enfin qu’au-delà des inclinations naturelles, ce sont peut-être les conditions matérielles d’existence du travailleur qui peuvent modaliser son goût, ou son aversion du travail[TN3] .  

 

On a tous déjà connu cette envie de remettre le travail au lendemain, de rêver, s’amuser plutôt que de s’atteler à une tâche difficile ou ennuyeuse. Mais cette vérité du quotidien peut-elle être érigée en loi universelle, valable en chaque instant ? On sait que par nécessité l’homme a toujours été obligé au travail, mais peut-être a-t-il toujours fuit cette activité, lui préférant plutôt les loisirs et le repos. C’est ce qu’affirme Rousseau. Pour lui le travail est contre-nature, parce que l’homme tend par nature vers la paresse et l’inaction. Pourtant l’homme connaît l’utilité du travail, mais cela n’est pas une raison suffisante pour le motiver. On comprend que la passion de l’inaction pour Rousseau[TN4]  fait partie des plus grandes existant chez l’homme. Et même lorsque l’homme commence, en société, à apprécier l’activité, ce n’est pas parce qu’il a pris l’habitude de l’effort, de la difficulté et de la discipline ; c’est qu’il a développé une passion de l’action, qui lui facilite le travail, le porte comme une pente fait rouler une pierre. De la même manière Rousseau affirme que ce n’est pas par la raison et la maîtrise de soi qu’on lutte contre les mauvaises passions, mais plutôt par la passion elle-même : en devenant un homme de feu  on fait lutter sa pitié ou passion du bien, contre ses mauvaises tentations[TN5] . On peut ainsi trouver des stratégies, des moyens habiles qui mènent vers la vertu, mais seulement si l’on a pris conscience de la faiblesse qui est selon Rousseau inhérente à notre nature humaine : cette haine de l’effort, et donc du travail véritable. Dans tous les cas, l’on ne travaille que pour se reposer plus vite, car rien n’est plus fort que la passion de l’inaction. Ici l’amour du travail, semblent carrément incompatibles avec la nature humaine, même si l’on notera qu’il ne considère pas comme impossible une activité humaine constructive. 

Et si le travail est malgré tout inhérent à la condition humaine, il continue d’être considéré comme une désagréable fatalité dans les mythologies du monde Occidental. On sait qu’en effet, le travail y est traditionnellement associé à la pénibilité et, mythologiquement parlant, au châtiment divin. Par exemple dans la Genèse biblique, Adam et sa compagne Eve sont condamnés à quitter le jardin d’Eden et doivent alors travailler, dans tous les sens du terme : Adam et ses descendants devront labourer la terre pour nourrir leur famille, et Eve et ses descendantes devront entrer en travail, en accouchement, pour enfanter. La nature de l’homme était originellement de prospérer dans l’Eden, sans se confronter à aucun effort, et c’est pour cela que notre âme tend toujours à ce repos originel. La punition de Dieu semble alors terrible, puisqu’il nous condamne à une activité que nous détestons tous au long de notre existence. Dans tous les cas, les fruits de la Providence divine ne s’obtiendront plus sans effort. Dans la mythologie grecque, le travail est aussi un châtiment divin, cette fois-ci infligé par Zeus. En effet Prométhée, qui avait pris pitié des hommes, démunis des avantages physiques dont les autres animaux avaient été dotés, dérobe le feu à Zeus pour en faire don aux hommes. Blessé par cette tromperie, celui-ci décide de punir l’humanité en l’obligeant à travailler pour vivre[TN6] .

Dans les cités grecques par la suite, c’est paradoxalement ce labeur, celui qui doit répondre aux besoins de la condition humaine, que le citoyen libre doit absolument fuir s’il veut conserver son humanité. C’est ce qu’explique Hanna Arendt dans son ouvrage Condition de l’homme moderne[TN7] .La nécessité du travail justifiait alors l’existence de l’esclavage, d’individus qui devaient devenir des sous-hommes pour que les quelques citoyens puissent conserver leur dignité, sans s’abaisser aux affaires du monde trivial. La nature humaine ne peut incliner au travail ici, puisque le travail n’est pas l’affaire des vrais hommes. Il n’est pas fait pour trouver son humanité, mais plutôt synonyme de sa disparition. Mais pour les esclaves eux même difficile de croire que la nature puisse les incliner vers un travail si injuste, et la question du goût ou de la fuite ne se pose même pas. Dans la Grèce antique Aristote placera même la vie de contemplation, de réflexion immobile d’un philosophe absorbé, comme supérieure à celle du citoyen actif même s’il n’est pas un esclave qui accomplit les travails les plus concrets. Les commerçants, les artisans mènent « ce genre de vie ignoble et contraire à la vertu » affirme-t-il dans Le politique[TN8] . On retrouve aussi cette hiérarchie absolue entre la vita contemplativa et la vita activa (termes de Hanna Arendt) dans cette histoire de l’évangile de Luc, celle de Marthe et Marie, deux sœurs qui reçoivent Jésus chez elles. Alors que Marthe s’affaire dans la maison, prépare un repas, Marie est assise devant Jésus et ne se lève pas pour aider sa sœur. Marthe s’étonne et lui fait remarquer ; mais Jésus lui fait comprendre que c’est Marie qui est dans la bonne voie, celle de l’écoute et de la contemplation. Elle en revanche s’est située malgré ses bonnes intentions dans la voie inférieure, celle de l’action. On pourrait penser cet extrait de l’Evangile comme un conseil à propos de l’attitude que le croyant se doit d’entretenir avec le Divin. Mais au cours du temps, on en fit l’argument parfait pour dévaloriser les serfs qui vivraient trop bas pour être des individus accomplis, pataugeant dans la réalité matérielle, et se situeraient si loin du Divin car trop occuper à travailler. Le noble lui, peut se réaliser dans sa nature humaine de contemplation car il a relégué le travail aux autres. Comment aimer le travail, et s’aimer en tant que travailleur dans cette vie-là ? Mais cette position est facilement critiquable : on pourrait aussi dire que le noble se complait dans l’oisiveté et la paresse et manque ainsi de se réaliser. 

Car le travail n’est-il pas l’activité qui a le plus élevé l’homme ? Comment penser les civilisations, la culture, les sociétés humaines sans ses travailleurs, ses bâtisseurs ? Car si l’homo faber[TN9]  n’avait ni griffes ni fourrure pour se défendre d’une nature originelle si hostile, c’est bien par l’acquisition de la technique, du feu et des arts dans le mythe de Prométhée, qu’il est parvenu à faire sa place dans le monde. Si tous les hommes sont de nature paresseuse comme l’affirme Rousseau, ils ont en tout cas bien su lutter contre cette passion car le travail semble omniprésent dans la culture humaine. A l’échelle de l’individu, c’est seulement par le travail, qu’on peut surmonter les obstacles intérieurs et extérieurs qui se dressent contre notre idéal de vie. C’est seulement en travaillant dur, en faisant face aux difficultés, qu’on peut se réaliser à plein potentiel. Comment ne pas avoir le goût de cet effort-là, celui qui nous permet en vérité d’accéder à notre véritable humanité ?

 

On peut de cette manière redonner ses lettres de noblesses au travail, et le réassocier à la nature humaine. L’effort qu’il demande est très certainement contraignant pour l’homme, mais cette difficulté donne toute sa saveur à la récompense de cet effort[TN10]  : l’accomplissement de notre humanité. Ici, elle n’est plus une inclination à la paresse contre laquelle il faudrait lutter pour aimer le travail. Kant[TN11]  dans cette idée vient réinterpréter la Genèse. Le devoir du travail n’est plus une punition d’un Dieu de colère, mais acte de miséricorde infinie. En effet qui peut croire qu’Adam et Eve auraient aimé, en temps qu’êtres humains, une vie absolument passive, d’oisiveté ? Ils sont semblables à chacun d’entre nous qui aimons être occupés. Même les paresseux viendraient à s’ennuyer sans le travail ici. Même les Grecs qui reléguaient le travail fastidieux aux esclaves aiment en vérité la vie active : l’activité politique, l’activité sociale, l’activité de l’esprit. Mais la meilleure occupation qui existe dit Kant, c’est le travail, celui qui demande un véritable effort.  C’est par le travail que l’homme s’oublie et devient humble, c’est par le travail que l’homme s’élève en vérité. Ici, la nature profonde de l’homme est réorientée vers l’effort, l’activité. C’est aussi cette idée très forte dans le Protestantisme dont Kant est issu, celle qui veut que le croyant doit faire œuvre comme acte d’adoration pour Dieu. Comment témoigner de sa foi sinon ? « Une foi sans œuvre est une foi morte » (Jacques 2 :17). Dans cette même idée le travail est revalorisé dans le conte philosophique de Voltaire[TN12] Candide. Candide, le personnage principal vit depuis toujours dans un château isolé de l’extérieur avec son maître à penser Pangloss, de philosophie optimiste. Un jour, il décide de partir à la découverte du monde. Guerres, viol, esclavage... tout ce qu’il observe vient fortement malmener ses convictions optimistes. Désabusé, presque nihiliste, il rencontre à la fin de son périple un mystique turc, derviche soufi qui lui fait comprendre l’inutilité de son questionnement philosophique incessant; lui-même, en tant que sage, mène une vie simple, il cultive un jardin. Ainsi le travail devient ici la valeur fondamentale, celle d’une vie humble, sans prétentions métaphysiques.  ‘‘Le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin.’’ Candide suit donc l’exemple du soufi, cultive à son tour son jardin, et Voltaire dans la dernière ligne de l’ouvrage nous invite à faire de même. 

Mais nous devons également en tant qu’individus qui souhaitent se réaliser dans tout leur potentiel, toutes leurs qualités, travailler sur nous-même. C’est ce que permettent les méthodes actuelles de développement personnel, mais ce qu’évoque aussi l’Islam avec le Jihad, le combat perpétuel contre nous- même et les mauvais penchants de notre égo (nafs[TN13] ) ; cet effort de tous les jours, qui prend aussi le goût d’une victoire de tous les jours si on mène à bien ce combat intérieur. On peut tout à fait avoir le goût de cet effort-là, de ce travail moral, pour la fierté de se sentir vainqueur sur les pièges de notre propre égo. Bien que notre humanité soit ici une aspiration, on peut tout de même affirmer qu’elle nous incline vraiment à avoir le goût du travail. On prend plaisir au travail quand celui-ci nous permet de nous renforcer ou d’acquérir de nouvelles capacités, de vaincre les croyances qui nous limitaient jusqu’à lors. Ce qui semblait impossible devient possible, on se surpasse dans ses compétences. C’est souvent les sportifs qui évoquent ce goût de l’effort, de la difficulté : c’est parce que c’est difficile qu’ils savent qu’ils s’améliorent, sinon ils restent dans leur zone de confort[TN14] . Qu’auraient été un artiste-peintre comme Picasso, un compositeur comme Mozart sans le travail ? Des potentiels gâchés, ruinés, mort-nés. Toute disposition, tout talent, toute facilité va au néant si on ne l’accompagne pas d’un travail qui vient le développer, l’épanouir. Dans ces cas-là on prend plaisir à travailler, on prend goût à l’effort, parce qu’on sait qu’on permet à une fleur d’éclore. 

Mais nous avons ici évoqué un travail qui deviendrait source de plaisir dans la récompense de ce travail, et pas véritablement en lui-même. Mais n’y a-t-il pas quelque chose d’agréable à sentir la force elle-même, celle que l’on met à l’ouvrage ? C’est ce que Freud expliquera dans son ouvrage Avenir d’une illusion[TN15] .

Il faut avant toutes choses rappeler le système de pulsions dans lequel s’inscrit systématiquement la pensée de Freud. Il y a d’abord la libido, l’énergie sexuelle disponible, qui doit se comprendre  comme une sorte de souffle vital [TN16] et pas uniquement sous le prisme de l’activité sexuelle. Cette libido prend forme dans des pulsions qui cherchent toujours satisfaction. Beaucoup de ces pulsions inconscientes sont à l’origine des pulsions agressives, destructrices : de violence physique, de toute-puissance. Mais la vie en société vient établir des règles, un cadre : interdiction du meurtre, des violences sexuelles... On ne fait pas n’importe quoi simplement par recherche du plaisir. L’individu sain d’esprit aura intégré dès son plus jeune âge ces règles qui deviendront sa propre loi, loi qui lui sera rappelée par ce que Freud appelle le Sur-Moi ou Moi gendarme : il sera devenu naturel pour lui de ne pas tuer, de ne pas exercer sa violence sur les autres. Mais les pulsions, même si elles sont désormais refoulées dans l’inconscient, demeurent, et cherchent satisfaction. Où trouver du plaisir alors ? C’est là que le travail intervient. Pour Freud le travail est ce formidable outil[TN17] , celui qui permet de convertir les pulsions, parfois chaotiques et violentes, vers une action civilisatrice, positive. Ce procédé est appelé la sublimation. Ainsi toute l’énergie, la force de la libido est conservée ; elle change simplement d’objet et permet la création plutôt que la destruction. De plus, les pulsions peuvent trouver satisfaction à plusieurs niveaux pendant qu’un individu travaille. Il y a d’abord un plaisir d’ordre narcissique quand on arrive aux résultats qu’on espère, aux objectifs qu’on se fixe. Le travail est ici la plus valorisante des activités : on se trouve fort.e, courageux.se, persévérant.e, quand on se met à travailler. Mais ce sont aussi les pulsions agressives qu’on peut espérer satisfaire en travaillant. Le milieu professionnel a en effet pour particularité de très bien tolérer, voire encourager une certaine forme d’agressivité entre les travailleurs : la compétitivité, cette volonté de faire toujours mieux que son voisin, car on sait comme elle peut être motrice de l’effort.  Mais c’est aussi cet effort lui-même qui vient répondre aux pulsions agressives : l’‘ennemi à vaincre’ n’est pas ici le voisin qu’on veut surpasser mais la tâche elle-même, et on prend plaisir à déployer toutes ses forces pour résoudre les problèmes qu’elle pose. Le travail défoule, on se tue, on s’acharne au travail. C’est en cela que même le travail qui apparaît comme le moins rattaché au corps, le moins matérialisé, celui qu’on survalorise depuis toujours en Occident convoque en vérité pour Freud des forces instinctives, animales, au même titre que le travail qui[TN18]  engage physiquement le corps. On peut dire que la nature de l’homme selon Freud, celle des pulsions, nous engage tout à fait à avoir le goût de l’effort et du travail : puisque l’homme recherche avant le plaisir et l’évitement de la souffrance, il n’y aura aucun problème particulier comme aurait affirmé Rousseau à ce que ce plaisir se trouve dans une activité civilisatrice. Mieux, l’homme recherchera le travail car il s’y trouve doublement gratifié : à la fois par la satisfaction de ses pulsions agressives originelles mais aussi par la satisfaction narcissique de faire une activité moralement encouragée par la société. 

Mais nous voilà face à un problème. Le travail semble un moment être l’activité la plus avilissante qui soit, rendant l’homme aveugle, sourd et muet, faisant de lui un être plus proche de l’animal que de lui-même et de ce fait il serait détestable et fastidieux. Mais l’instant d’après, voilà qu’on affirme que l’homme est ontologiquement destiné au travail et qu’il s’agit d’une des plus grandes sources de plaisir parmi celles de l’existence humaine. Et pourtant cela tient de l’évidence : comment l’esclave pourrait-il aimer le labeur insoutenable qu’on lui impose, et se réaliser par ce labeur ? Mais comment à l’inverse l’homme libre qui exerce une activité qui lui plaît et le valorise dans son essence, pourrait ne pas aimer cette activité et se donner dans toute sa force à elle ?  

 

         Les inclinations de notre nature humaine seules ne semblent alors plus suffire, pour expliquer le fait qu’on puisse fuir le travail ou y prendre plaisir. Car Freud dans l’ouvrage que nous avons évoqué précédemment pose une condition au fait que le travail puisse satisfaire les passions naturelles: il doit être librement choisi.  Cette affirmation ajoute un facteur à l’équation: celui des modalités de ce travail. Il s’agit de penser le contremaître et l’établi, et pas seulement le travailleur. Même l’homme le moins paresseux, le plus naturellement laborieux, ne pourrait aimer travailler comme travaillait un serf ou un esclave grec. Et dans l’époque moderne ? On pourra par exemple regarder les conditions de travail de l’ouvrier d’industriel. Leslie Kaplan, une écrivaine française, en fait une description dans son ouvrage datant de 1982, l’Excès-Usine[TN19] . ‘‘La grande usine univers, celle qui respire pour vous’’. L’usine est devenue le seul monde des ouvriers. On y est déshumanisé, déréalisé. Les frontières des corps et des espaces y sont abolies, c’est la fin de l’individu. Toute l’existence y est précisément planifiée, coordonnée entre les travailleurs jusqu’à l’hyperbole de cette respiration dans l’ouvrage. L’action n’y a cependant ni début ni fin. Mais cette écriture du monde ouvrier n’a rien d’une fantaisie, d’une exagération de la part de l’autrice. On sait que la vie des ouvriers était extrêmement difficile aux 19ème et 20ème siècles, et même aujourd’hui encore ; elle n’est donc pas plus enviables que celles des serfs et des esclaves des temps anciens.

C’est d’ailleurs à partir de l’observation des conditions de labeur des ouvriers industriels que Marx propose une théorie de la double potentialité du travail.  Celui-ci peut ainsi être aliénant, ou réalisant[TN20] . Le travail aliénant, c’est le lot des ouvriers, des serfs et des esclaves avant eux. C’est un travail très dur et détestable car il est forcé. Pour le serf et l’esclave c’est une évidence : les sociétés esclavagistes, coloniales, féodales, tuaient quiconque ne se soumettait pas à leur système injuste. Mais pourquoi faire de l’ouvrier leur héritier ? L’ouvrier n’est pas un esclave, il dispose de droits et peut décider de quitter son emploi s’il le souhaite. Mais la nécessité vient d’ailleurs : quand on travaille de cette manière c’est seulement par ce qu’il faut survivre, parce qu’on ne possède que sa force de travail pour assurer sa subsistance. Il n'y a pas d’autre prospection, d’autre aspiration possible pour celui qui travaille de cette manière. C’est un travail qu’on n’apprécie pas, parce qu’il rend malheureux, parce qu’on ne le pense pas ; on pense toujours à après le travail. On le fuit en quelque sorte. Pas question de paresse ici comme chez Rousseau. C’est que dans l’exemple de l’ouvrier, la courte plage-horaire des loisirs est le seul moment où celui-ci peut espérer trouver sa dignité, se retrouver en tant qu’être humain et enfin arrêter d’être l’outil, l’homme machine du patron qui tient l’usine. C’est dans ce court moment qu’il peut un peu lire, un peu rêver peut-être, s’il n’est pas occupé au jardin d’ouvrier, ce moyen très efficace mis en place par le capitaliste pour que le travailleur conserve le sens du travail même quand il se repose. Terrible vie que celle de l’ouvrier : il passe la plus grande partie de son existence à une activité qu’il n’aime pas, qui le vide tout entier de sa substance et qui le rend extérieur à lui-même ; et cela dans le seul espoir d’un temps de loisir qui sera toujours trop court pour qu’il se retrouve réellement. Dans le film de Charlie Chaplin Les temps modernes[TN21] , la seule échappatoire à ce travail détestable pour Charlot l’ouvrier, c’est l’abandon de poste. Mais ce mode de travail inique, contre nature puisque il aliène, est une perversion du véritable travail, orchestrée ici par les puissants qui veulent, depuis toujours, tirer profit des asservis. L’histoire pour Marx est une histoire de la lutte des classes. Les princes contre les serfs, les aristocrates contre le Tiers-Etat, les bourgeois contre les ouvriers[TN22] . Le seul moyen pour ces classes dominantes de conserver leurs privilèges, c’est de maintenir face contre terre les dominés, en les exploitant sans se soucier de la morale. Pour maintenir cette hiérarchie, les puissants détiennent le pouvoir de l’idéologie. Esclaves des cités grecques, ne vous révoltez pas, car il est de l’ordre du droit naturel que certains naissent libres et d’autres asservis ; que certains travaillent pour que d’autres vivent leur citoyenneté. Quant à vous, serfs du Moyen-Âge, travaillez dur, car le labeur est le seul moyen de racheter le péché originel de l’humanité. Paysans du siècle des Lumières enfin, obéissez au roi et aux aristocrates qui vous confisquent tous vos biens durement obtenus car leur place dans leur monde leur a été attribuée par Dieu, et tout pouvoir vient de Lui. Cette division du travail ne peut donc jamais mener qu’au plaisir des quelques-uns, et surtout pas celui de ceux qui travaillent. 

Mais comment alors se diriger vers un politique plus égalitaire, qui puisse permettre à chacun de trouver plaisir dans son activité ?

Le manifeste du parti communiste[TN23] , synthèse de la pensée de Marx, propose un modèle de société ou les classes sociales seraient abolies. Plus de bourgeois ni d’ouvriers dans ce monde-là, seulement des travailleurs qui peuvent œuvrer ensemble, encadrés par un droit respectueux des capacités naturelles de chacun. Chacun, comme dans le conte de Voltaire, y cultive humblement son jardin, et contribue à l’enrichissement de tous. Le travail peut ici redevenir synonyme de plaisir et de réalisation, car il y est plaisir et réalisation pour tous les individus. Ici, les réflexions d’auteurs comme Freud et Kant peuvent enfin rendre universel leur propos. Mais si l’on devait repenser la nature humaine dans ce cadre nouveau, débarrassé des formes de travail corrompues des sociétés de classe, alors il semblerait qu’elle y oriente plutôt l’homme vers un goût pour le travail, vu que Marx l’établit comme valeur fondamentale de sa société communiste, comme nouveau besoin vital. Ainsi, bien que très antireligieux, Marx paraît ici comme le digne héritier de la tradition allemande, protestante du travail[TN24] 

 

Ainsi, la nature humaine ne semble pas, dans la finalité de notre raisonnement, avoir fait de nous des éternels ennemis de l’effort et du travail. En effet, le besoin de se réaliser dans notre humanité la plus complète paraît bien souvent surpasser certaines de nos tendances à la paresse et à l’inaction ; et le labeur est nécessairement le prix de cette humanité. C’est en cela que nous pouvons trouver un grand plaisir au travail, et le célébrer comme un trésor de l’existence humaine. Mais nos interrogations doivent cependant continuer de se porter sur ces temps où le travail devient malgré tout détestable, car devenu le moyen de domination des plus puissants sur les plus affaiblis. Il faut donc veiller à ce que toujours le travail réalise l’homme, sinon il l’alienera à lui-même.

 

 

 


 [TN1]Bonne intro qui place la fonction immédiate du travail

 [TN2]TB

 [TN3]Excellente intro - bravo

 [TN4]Ref1 rousseau 

 [TN5]Oui double utilisation du texte et du cours  TB

 [TN6]Bonne utilisation à la fois précise et concise

 [TN7]Ref hors texte  Arendt

 [TN8]Ref hors texte aristote 

 [TN9]Mais ici la ref explicite à Bergson supposerait sa nomination  car il s’agit d’un concept – à moins que plus ce soit posé

 [TN10]TB

 [TN11]REF 2 KANT

 [TN12]REF VOLTAIRE HORS TEXTE 

 [TN13]Il faut préciser qu’il s’agit du « grand jihad » qui est celui de la connaissance qu’il ne faut pas confondre avec le petit jihad qui est celui de l’action terroriste / or votre propos doit faire cette distinction en ces temps troublés. 

 [TN14]md

 [TN15]ref freud mais autre texte

 [TN16]délicat terme un peu trop « mystique » que l’on ne retrouve pas chez Freud

 [TN17]oui  ref  3  mais il faut indiquer le texte 

 [TN18]excellent

 [TN19]ref 4  Kaplan 

 [TN20]ref marx 

 [TN21]ref chaplin

 [TN22]tb   utilisation du cours

 [TN23]ref marx   manifeste du PC 

 [TN24]intéressant mais nécessiterait une explication plus dense