Philosophie

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samedi 19 décembre 2020


Dissertation rédigée par une élève : "Les hommes pourraitent-ils aimer le travail?"

Excellent devoir : des ref maitrisées, une progression cohérente et riche. C’est dans le genre presque parfait 

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On tendrait à répondre, si la question « Les hommes pourraient-ils aimer le travail ? » venait à se poser, que celui-ci n’a d’abord pas pour vocation d’être apprécié ; il est avant tout le moyen de subsistance de l’homme, qui depuis toujours transforme de ses mains la nature pour assurer sa survie[TN1]  ; telle est d’ailleurs la définition première du travail. On lui associe aussi, depuis longtemps, une connotation négative : le mot français « travail » prend son origine dans le terme latin tripalium, un instrument antique de torture. Son synonyme est labeur, du latin labor, peine, effort. Le travail apparaît donc comme générateur de souffrance : il est fastidieux, rebutant, épuise, et bien que nécessaire nous lui préférons souvent le repos et les loisirs. Le travail semble alors difficilement aimable. On ne peut pourtant nier l’importance de la place qu’il occupe dans nos existences. En effet dans nos sociétés contemporaines, l’homme ne peut être totalement homme s’il n’exerce pas une activité professionnelle qui lui correspond ; il faut absolument se réaliser dans son métier, car sinon on gâche sa vie. Crucial donc, d’aimer son travail. Nous nous trouvons ainsi tiraillés entre cette nature apparemment pénible et désagréable du travail, et cette nécessité qui nous ordonne de l’apprécier malgré tout, tant la place qu’il prend dans nos vies est grande. Mais[TN2]  le travail, n’est-ce pas aussi le plaisir d’être en activité, faire œuvre, et mettre ses forces à l’ouvrage pour surmonter les obstacles ? A ce moment le travail prend sens, et devient indissociable de la vie humaine. Mais si parfois le travail semble nous contrarier dans nos aspirations instinctives, alors que dans d’autres cas il apparaît comme la meilleure activité  de l’existence, c’est en fait un problème ontologique à propos de l’homme qui se pose : La nature humaine nous incline-t-elle en vérité à fuir le travail, ou plutôt à y trouver plaisir?  

Nous tenterons donc de répondre à cette question, en développant notre argumentation en trois temps. Nous commencerons par une réflexion sur cette conception commune, qui veut le travail contraignant et ennuyeux pour l’homme, celui-ci semblant naturellement tendre au repos et à la contemplation.  Mais nous verrons dans un second temps que le prix de la réalisation de notre nature humaine est peut-être cette confrontation à la difficulté que demande le travail, et que par conséquent nous pouvons le rechercher et y trouver plaisir. Nous verrons enfin qu’au-delà des inclinations naturelles, ce sont peut-être les conditions matérielles d’existence du travailleur qui peuvent modaliser son goût, ou son aversion du travail[TN3] .  

 

On a tous déjà connu cette envie de remettre le travail au lendemain, de rêver, s’amuser plutôt que de s’atteler à une tâche difficile ou ennuyeuse. Mais cette vérité du quotidien peut-elle être érigée en loi universelle, valable en chaque instant ? On sait que par nécessité l’homme a toujours été obligé au travail, mais peut-être a-t-il toujours fuit cette activité, lui préférant plutôt les loisirs et le repos. C’est ce qu’affirme Rousseau. Pour lui le travail est contre-nature, parce que l’homme tend par nature vers la paresse et l’inaction. Pourtant l’homme connaît l’utilité du travail, mais cela n’est pas une raison suffisante pour le motiver. On comprend que la passion de l’inaction pour Rousseau[TN4]  fait partie des plus grandes existant chez l’homme. Et même lorsque l’homme commence, en société, à apprécier l’activité, ce n’est pas parce qu’il a pris l’habitude de l’effort, de la difficulté et de la discipline ; c’est qu’il a développé une passion de l’action, qui lui facilite le travail, le porte comme une pente fait rouler une pierre. De la même manière Rousseau affirme que ce n’est pas par la raison et la maîtrise de soi qu’on lutte contre les mauvaises passions, mais plutôt par la passion elle-même : en devenant un homme de feu  on fait lutter sa pitié ou passion du bien, contre ses mauvaises tentations[TN5] . On peut ainsi trouver des stratégies, des moyens habiles qui mènent vers la vertu, mais seulement si l’on a pris conscience de la faiblesse qui est selon Rousseau inhérente à notre nature humaine : cette haine de l’effort, et donc du travail véritable. Dans tous les cas, l’on ne travaille que pour se reposer plus vite, car rien n’est plus fort que la passion de l’inaction. Ici l’amour du travail, semblent carrément incompatibles avec la nature humaine, même si l’on notera qu’il ne considère pas comme impossible une activité humaine constructive. 

Et si le travail est malgré tout inhérent à la condition humaine, il continue d’être considéré comme une désagréable fatalité dans les mythologies du monde Occidental. On sait qu’en effet, le travail y est traditionnellement associé à la pénibilité et, mythologiquement parlant, au châtiment divin. Par exemple dans la Genèse biblique, Adam et sa compagne Eve sont condamnés à quitter le jardin d’Eden et doivent alors travailler, dans tous les sens du terme : Adam et ses descendants devront labourer la terre pour nourrir leur famille, et Eve et ses descendantes devront entrer en travail, en accouchement, pour enfanter. La nature de l’homme était originellement de prospérer dans l’Eden, sans se confronter à aucun effort, et c’est pour cela que notre âme tend toujours à ce repos originel. La punition de Dieu semble alors terrible, puisqu’il nous condamne à une activité que nous détestons tous au long de notre existence. Dans tous les cas, les fruits de la Providence divine ne s’obtiendront plus sans effort. Dans la mythologie grecque, le travail est aussi un châtiment divin, cette fois-ci infligé par Zeus. En effet Prométhée, qui avait pris pitié des hommes, démunis des avantages physiques dont les autres animaux avaient été dotés, dérobe le feu à Zeus pour en faire don aux hommes. Blessé par cette tromperie, celui-ci décide de punir l’humanité en l’obligeant à travailler pour vivre[TN6] .

Dans les cités grecques par la suite, c’est paradoxalement ce labeur, celui qui doit répondre aux besoins de la condition humaine, que le citoyen libre doit absolument fuir s’il veut conserver son humanité. C’est ce qu’explique Hanna Arendt dans son ouvrage Condition de l’homme moderne[TN7] .La nécessité du travail justifiait alors l’existence de l’esclavage, d’individus qui devaient devenir des sous-hommes pour que les quelques citoyens puissent conserver leur dignité, sans s’abaisser aux affaires du monde trivial. La nature humaine ne peut incliner au travail ici, puisque le travail n’est pas l’affaire des vrais hommes. Il n’est pas fait pour trouver son humanité, mais plutôt synonyme de sa disparition. Mais pour les esclaves eux même difficile de croire que la nature puisse les incliner vers un travail si injuste, et la question du goût ou de la fuite ne se pose même pas. Dans la Grèce antique Aristote placera même la vie de contemplation, de réflexion immobile d’un philosophe absorbé, comme supérieure à celle du citoyen actif même s’il n’est pas un esclave qui accomplit les travails les plus concrets. Les commerçants, les artisans mènent « ce genre de vie ignoble et contraire à la vertu » affirme-t-il dans Le politique[TN8] . On retrouve aussi cette hiérarchie absolue entre la vita contemplativa et la vita activa (termes de Hanna Arendt) dans cette histoire de l’évangile de Luc, celle de Marthe et Marie, deux sœurs qui reçoivent Jésus chez elles. Alors que Marthe s’affaire dans la maison, prépare un repas, Marie est assise devant Jésus et ne se lève pas pour aider sa sœur. Marthe s’étonne et lui fait remarquer ; mais Jésus lui fait comprendre que c’est Marie qui est dans la bonne voie, celle de l’écoute et de la contemplation. Elle en revanche s’est située malgré ses bonnes intentions dans la voie inférieure, celle de l’action. On pourrait penser cet extrait de l’Evangile comme un conseil à propos de l’attitude que le croyant se doit d’entretenir avec le Divin. Mais au cours du temps, on en fit l’argument parfait pour dévaloriser les serfs qui vivraient trop bas pour être des individus accomplis, pataugeant dans la réalité matérielle, et se situeraient si loin du Divin car trop occuper à travailler. Le noble lui, peut se réaliser dans sa nature humaine de contemplation car il a relégué le travail aux autres. Comment aimer le travail, et s’aimer en tant que travailleur dans cette vie-là ? Mais cette position est facilement critiquable : on pourrait aussi dire que le noble se complait dans l’oisiveté et la paresse et manque ainsi de se réaliser. 

Car le travail n’est-il pas l’activité qui a le plus élevé l’homme ? Comment penser les civilisations, la culture, les sociétés humaines sans ses travailleurs, ses bâtisseurs ? Car si l’homo faber[TN9]  n’avait ni griffes ni fourrure pour se défendre d’une nature originelle si hostile, c’est bien par l’acquisition de la technique, du feu et des arts dans le mythe de Prométhée, qu’il est parvenu à faire sa place dans le monde. Si tous les hommes sont de nature paresseuse comme l’affirme Rousseau, ils ont en tout cas bien su lutter contre cette passion car le travail semble omniprésent dans la culture humaine. A l’échelle de l’individu, c’est seulement par le travail, qu’on peut surmonter les obstacles intérieurs et extérieurs qui se dressent contre notre idéal de vie. C’est seulement en travaillant dur, en faisant face aux difficultés, qu’on peut se réaliser à plein potentiel. Comment ne pas avoir le goût de cet effort-là, celui qui nous permet en vérité d’accéder à notre véritable humanité ?

 

On peut de cette manière redonner ses lettres de noblesses au travail, et le réassocier à la nature humaine. L’effort qu’il demande est très certainement contraignant pour l’homme, mais cette difficulté donne toute sa saveur à la récompense de cet effort[TN10]  : l’accomplissement de notre humanité. Ici, elle n’est plus une inclination à la paresse contre laquelle il faudrait lutter pour aimer le travail. Kant[TN11]  dans cette idée vient réinterpréter la Genèse. Le devoir du travail n’est plus une punition d’un Dieu de colère, mais acte de miséricorde infinie. En effet qui peut croire qu’Adam et Eve auraient aimé, en temps qu’êtres humains, une vie absolument passive, d’oisiveté ? Ils sont semblables à chacun d’entre nous qui aimons être occupés. Même les paresseux viendraient à s’ennuyer sans le travail ici. Même les Grecs qui reléguaient le travail fastidieux aux esclaves aiment en vérité la vie active : l’activité politique, l’activité sociale, l’activité de l’esprit. Mais la meilleure occupation qui existe dit Kant, c’est le travail, celui qui demande un véritable effort.  C’est par le travail que l’homme s’oublie et devient humble, c’est par le travail que l’homme s’élève en vérité. Ici, la nature profonde de l’homme est réorientée vers l’effort, l’activité. C’est aussi cette idée très forte dans le Protestantisme dont Kant est issu, celle qui veut que le croyant doit faire œuvre comme acte d’adoration pour Dieu. Comment témoigner de sa foi sinon ? « Une foi sans œuvre est une foi morte » (Jacques 2 :17). Dans cette même idée le travail est revalorisé dans le conte philosophique de Voltaire[TN12] Candide. Candide, le personnage principal vit depuis toujours dans un château isolé de l’extérieur avec son maître à penser Pangloss, de philosophie optimiste. Un jour, il décide de partir à la découverte du monde. Guerres, viol, esclavage... tout ce qu’il observe vient fortement malmener ses convictions optimistes. Désabusé, presque nihiliste, il rencontre à la fin de son périple un mystique turc, derviche soufi qui lui fait comprendre l’inutilité de son questionnement philosophique incessant; lui-même, en tant que sage, mène une vie simple, il cultive un jardin. Ainsi le travail devient ici la valeur fondamentale, celle d’une vie humble, sans prétentions métaphysiques.  ‘‘Le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin.’’ Candide suit donc l’exemple du soufi, cultive à son tour son jardin, et Voltaire dans la dernière ligne de l’ouvrage nous invite à faire de même. 

Mais nous devons également en tant qu’individus qui souhaitent se réaliser dans tout leur potentiel, toutes leurs qualités, travailler sur nous-même. C’est ce que permettent les méthodes actuelles de développement personnel, mais ce qu’évoque aussi l’Islam avec le Jihad, le combat perpétuel contre nous- même et les mauvais penchants de notre égo (nafs[TN13] ) ; cet effort de tous les jours, qui prend aussi le goût d’une victoire de tous les jours si on mène à bien ce combat intérieur. On peut tout à fait avoir le goût de cet effort-là, de ce travail moral, pour la fierté de se sentir vainqueur sur les pièges de notre propre égo. Bien que notre humanité soit ici une aspiration, on peut tout de même affirmer qu’elle nous incline vraiment à avoir le goût du travail. On prend plaisir au travail quand celui-ci nous permet de nous renforcer ou d’acquérir de nouvelles capacités, de vaincre les croyances qui nous limitaient jusqu’à lors. Ce qui semblait impossible devient possible, on se surpasse dans ses compétences. C’est souvent les sportifs qui évoquent ce goût de l’effort, de la difficulté : c’est parce que c’est difficile qu’ils savent qu’ils s’améliorent, sinon ils restent dans leur zone de confort[TN14] . Qu’auraient été un artiste-peintre comme Picasso, un compositeur comme Mozart sans le travail ? Des potentiels gâchés, ruinés, mort-nés. Toute disposition, tout talent, toute facilité va au néant si on ne l’accompagne pas d’un travail qui vient le développer, l’épanouir. Dans ces cas-là on prend plaisir à travailler, on prend goût à l’effort, parce qu’on sait qu’on permet à une fleur d’éclore. 

Mais nous avons ici évoqué un travail qui deviendrait source de plaisir dans la récompense de ce travail, et pas véritablement en lui-même. Mais n’y a-t-il pas quelque chose d’agréable à sentir la force elle-même, celle que l’on met à l’ouvrage ? C’est ce que Freud expliquera dans son ouvrage Avenir d’une illusion[TN15] .

Il faut avant toutes choses rappeler le système de pulsions dans lequel s’inscrit systématiquement la pensée de Freud. Il y a d’abord la libido, l’énergie sexuelle disponible, qui doit se comprendre  comme une sorte de souffle vital [TN16] et pas uniquement sous le prisme de l’activité sexuelle. Cette libido prend forme dans des pulsions qui cherchent toujours satisfaction. Beaucoup de ces pulsions inconscientes sont à l’origine des pulsions agressives, destructrices : de violence physique, de toute-puissance. Mais la vie en société vient établir des règles, un cadre : interdiction du meurtre, des violences sexuelles... On ne fait pas n’importe quoi simplement par recherche du plaisir. L’individu sain d’esprit aura intégré dès son plus jeune âge ces règles qui deviendront sa propre loi, loi qui lui sera rappelée par ce que Freud appelle le Sur-Moi ou Moi gendarme : il sera devenu naturel pour lui de ne pas tuer, de ne pas exercer sa violence sur les autres. Mais les pulsions, même si elles sont désormais refoulées dans l’inconscient, demeurent, et cherchent satisfaction. Où trouver du plaisir alors ? C’est là que le travail intervient. Pour Freud le travail est ce formidable outil[TN17] , celui qui permet de convertir les pulsions, parfois chaotiques et violentes, vers une action civilisatrice, positive. Ce procédé est appelé la sublimation. Ainsi toute l’énergie, la force de la libido est conservée ; elle change simplement d’objet et permet la création plutôt que la destruction. De plus, les pulsions peuvent trouver satisfaction à plusieurs niveaux pendant qu’un individu travaille. Il y a d’abord un plaisir d’ordre narcissique quand on arrive aux résultats qu’on espère, aux objectifs qu’on se fixe. Le travail est ici la plus valorisante des activités : on se trouve fort.e, courageux.se, persévérant.e, quand on se met à travailler. Mais ce sont aussi les pulsions agressives qu’on peut espérer satisfaire en travaillant. Le milieu professionnel a en effet pour particularité de très bien tolérer, voire encourager une certaine forme d’agressivité entre les travailleurs : la compétitivité, cette volonté de faire toujours mieux que son voisin, car on sait comme elle peut être motrice de l’effort.  Mais c’est aussi cet effort lui-même qui vient répondre aux pulsions agressives : l’‘ennemi à vaincre’ n’est pas ici le voisin qu’on veut surpasser mais la tâche elle-même, et on prend plaisir à déployer toutes ses forces pour résoudre les problèmes qu’elle pose. Le travail défoule, on se tue, on s’acharne au travail. C’est en cela que même le travail qui apparaît comme le moins rattaché au corps, le moins matérialisé, celui qu’on survalorise depuis toujours en Occident convoque en vérité pour Freud des forces instinctives, animales, au même titre que le travail qui[TN18]  engage physiquement le corps. On peut dire que la nature de l’homme selon Freud, celle des pulsions, nous engage tout à fait à avoir le goût de l’effort et du travail : puisque l’homme recherche avant le plaisir et l’évitement de la souffrance, il n’y aura aucun problème particulier comme aurait affirmé Rousseau à ce que ce plaisir se trouve dans une activité civilisatrice. Mieux, l’homme recherchera le travail car il s’y trouve doublement gratifié : à la fois par la satisfaction de ses pulsions agressives originelles mais aussi par la satisfaction narcissique de faire une activité moralement encouragée par la société. 

Mais nous voilà face à un problème. Le travail semble un moment être l’activité la plus avilissante qui soit, rendant l’homme aveugle, sourd et muet, faisant de lui un être plus proche de l’animal que de lui-même et de ce fait il serait détestable et fastidieux. Mais l’instant d’après, voilà qu’on affirme que l’homme est ontologiquement destiné au travail et qu’il s’agit d’une des plus grandes sources de plaisir parmi celles de l’existence humaine. Et pourtant cela tient de l’évidence : comment l’esclave pourrait-il aimer le labeur insoutenable qu’on lui impose, et se réaliser par ce labeur ? Mais comment à l’inverse l’homme libre qui exerce une activité qui lui plaît et le valorise dans son essence, pourrait ne pas aimer cette activité et se donner dans toute sa force à elle ?  

 

         Les inclinations de notre nature humaine seules ne semblent alors plus suffire, pour expliquer le fait qu’on puisse fuir le travail ou y prendre plaisir. Car Freud dans l’ouvrage que nous avons évoqué précédemment pose une condition au fait que le travail puisse satisfaire les passions naturelles: il doit être librement choisi.  Cette affirmation ajoute un facteur à l’équation: celui des modalités de ce travail. Il s’agit de penser le contremaître et l’établi, et pas seulement le travailleur. Même l’homme le moins paresseux, le plus naturellement laborieux, ne pourrait aimer travailler comme travaillait un serf ou un esclave grec. Et dans l’époque moderne ? On pourra par exemple regarder les conditions de travail de l’ouvrier d’industriel. Leslie Kaplan, une écrivaine française, en fait une description dans son ouvrage datant de 1982, l’Excès-Usine[TN19] . ‘‘La grande usine univers, celle qui respire pour vous’’. L’usine est devenue le seul monde des ouvriers. On y est déshumanisé, déréalisé. Les frontières des corps et des espaces y sont abolies, c’est la fin de l’individu. Toute l’existence y est précisément planifiée, coordonnée entre les travailleurs jusqu’à l’hyperbole de cette respiration dans l’ouvrage. L’action n’y a cependant ni début ni fin. Mais cette écriture du monde ouvrier n’a rien d’une fantaisie, d’une exagération de la part de l’autrice. On sait que la vie des ouvriers était extrêmement difficile aux 19ème et 20ème siècles, et même aujourd’hui encore ; elle n’est donc pas plus enviables que celles des serfs et des esclaves des temps anciens.

C’est d’ailleurs à partir de l’observation des conditions de labeur des ouvriers industriels que Marx propose une théorie de la double potentialité du travail.  Celui-ci peut ainsi être aliénant, ou réalisant[TN20] . Le travail aliénant, c’est le lot des ouvriers, des serfs et des esclaves avant eux. C’est un travail très dur et détestable car il est forcé. Pour le serf et l’esclave c’est une évidence : les sociétés esclavagistes, coloniales, féodales, tuaient quiconque ne se soumettait pas à leur système injuste. Mais pourquoi faire de l’ouvrier leur héritier ? L’ouvrier n’est pas un esclave, il dispose de droits et peut décider de quitter son emploi s’il le souhaite. Mais la nécessité vient d’ailleurs : quand on travaille de cette manière c’est seulement par ce qu’il faut survivre, parce qu’on ne possède que sa force de travail pour assurer sa subsistance. Il n'y a pas d’autre prospection, d’autre aspiration possible pour celui qui travaille de cette manière. C’est un travail qu’on n’apprécie pas, parce qu’il rend malheureux, parce qu’on ne le pense pas ; on pense toujours à après le travail. On le fuit en quelque sorte. Pas question de paresse ici comme chez Rousseau. C’est que dans l’exemple de l’ouvrier, la courte plage-horaire des loisirs est le seul moment où celui-ci peut espérer trouver sa dignité, se retrouver en tant qu’être humain et enfin arrêter d’être l’outil, l’homme machine du patron qui tient l’usine. C’est dans ce court moment qu’il peut un peu lire, un peu rêver peut-être, s’il n’est pas occupé au jardin d’ouvrier, ce moyen très efficace mis en place par le capitaliste pour que le travailleur conserve le sens du travail même quand il se repose. Terrible vie que celle de l’ouvrier : il passe la plus grande partie de son existence à une activité qu’il n’aime pas, qui le vide tout entier de sa substance et qui le rend extérieur à lui-même ; et cela dans le seul espoir d’un temps de loisir qui sera toujours trop court pour qu’il se retrouve réellement. Dans le film de Charlie Chaplin Les temps modernes[TN21] , la seule échappatoire à ce travail détestable pour Charlot l’ouvrier, c’est l’abandon de poste. Mais ce mode de travail inique, contre nature puisque il aliène, est une perversion du véritable travail, orchestrée ici par les puissants qui veulent, depuis toujours, tirer profit des asservis. L’histoire pour Marx est une histoire de la lutte des classes. Les princes contre les serfs, les aristocrates contre le Tiers-Etat, les bourgeois contre les ouvriers[TN22] . Le seul moyen pour ces classes dominantes de conserver leurs privilèges, c’est de maintenir face contre terre les dominés, en les exploitant sans se soucier de la morale. Pour maintenir cette hiérarchie, les puissants détiennent le pouvoir de l’idéologie. Esclaves des cités grecques, ne vous révoltez pas, car il est de l’ordre du droit naturel que certains naissent libres et d’autres asservis ; que certains travaillent pour que d’autres vivent leur citoyenneté. Quant à vous, serfs du Moyen-Âge, travaillez dur, car le labeur est le seul moyen de racheter le péché originel de l’humanité. Paysans du siècle des Lumières enfin, obéissez au roi et aux aristocrates qui vous confisquent tous vos biens durement obtenus car leur place dans leur monde leur a été attribuée par Dieu, et tout pouvoir vient de Lui. Cette division du travail ne peut donc jamais mener qu’au plaisir des quelques-uns, et surtout pas celui de ceux qui travaillent. 

Mais comment alors se diriger vers un politique plus égalitaire, qui puisse permettre à chacun de trouver plaisir dans son activité ?

Le manifeste du parti communiste[TN23] , synthèse de la pensée de Marx, propose un modèle de société ou les classes sociales seraient abolies. Plus de bourgeois ni d’ouvriers dans ce monde-là, seulement des travailleurs qui peuvent œuvrer ensemble, encadrés par un droit respectueux des capacités naturelles de chacun. Chacun, comme dans le conte de Voltaire, y cultive humblement son jardin, et contribue à l’enrichissement de tous. Le travail peut ici redevenir synonyme de plaisir et de réalisation, car il y est plaisir et réalisation pour tous les individus. Ici, les réflexions d’auteurs comme Freud et Kant peuvent enfin rendre universel leur propos. Mais si l’on devait repenser la nature humaine dans ce cadre nouveau, débarrassé des formes de travail corrompues des sociétés de classe, alors il semblerait qu’elle y oriente plutôt l’homme vers un goût pour le travail, vu que Marx l’établit comme valeur fondamentale de sa société communiste, comme nouveau besoin vital. Ainsi, bien que très antireligieux, Marx paraît ici comme le digne héritier de la tradition allemande, protestante du travail[TN24] 

 

Ainsi, la nature humaine ne semble pas, dans la finalité de notre raisonnement, avoir fait de nous des éternels ennemis de l’effort et du travail. En effet, le besoin de se réaliser dans notre humanité la plus complète paraît bien souvent surpasser certaines de nos tendances à la paresse et à l’inaction ; et le labeur est nécessairement le prix de cette humanité. C’est en cela que nous pouvons trouver un grand plaisir au travail, et le célébrer comme un trésor de l’existence humaine. Mais nos interrogations doivent cependant continuer de se porter sur ces temps où le travail devient malgré tout détestable, car devenu le moyen de domination des plus puissants sur les plus affaiblis. Il faut donc veiller à ce que toujours le travail réalise l’homme, sinon il l’alienera à lui-même.

 

 

 


 [TN1]Bonne intro qui place la fonction immédiate du travail

 [TN2]TB

 [TN3]Excellente intro - bravo

 [TN4]Ref1 rousseau 

 [TN5]Oui double utilisation du texte et du cours  TB

 [TN6]Bonne utilisation à la fois précise et concise

 [TN7]Ref hors texte  Arendt

 [TN8]Ref hors texte aristote 

 [TN9]Mais ici la ref explicite à Bergson supposerait sa nomination  car il s’agit d’un concept – à moins que plus ce soit posé

 [TN10]TB

 [TN11]REF 2 KANT

 [TN12]REF VOLTAIRE HORS TEXTE 

 [TN13]Il faut préciser qu’il s’agit du « grand jihad » qui est celui de la connaissance qu’il ne faut pas confondre avec le petit jihad qui est celui de l’action terroriste / or votre propos doit faire cette distinction en ces temps troublés. 

 [TN14]md

 [TN15]ref freud mais autre texte

 [TN16]délicat terme un peu trop « mystique » que l’on ne retrouve pas chez Freud

 [TN17]oui  ref  3  mais il faut indiquer le texte 

 [TN18]excellent

 [TN19]ref 4  Kaplan 

 [TN20]ref marx 

 [TN21]ref chaplin

 [TN22]tb   utilisation du cours

 [TN23]ref marx   manifeste du PC 

 [TN24]intéressant mais nécessiterait une explication plus dense 

mardi 24 novembre 2020





Spinoza – Lettre à Schuller 

 

 

Spinoza[TN1]  répond dans sa lettre à une objection posée par Schuller : comment l’homme peut faire des choix libres s’il est déterminé ? La réponse de Spinoza s’ancre dans la modernité naissante. C’est ce moment de la rupture épistémologique où l’héliocentrisme remplace le géocentrisme, ou la connaissance passe de Dieu aux hommes par le biais des sciences, de la raison. Le déterminisme représente l’univers désormais comme une suite de causes et d’effets, la Nature est un système fermé où chaque chose se comprend au regard d’une autre. La question de la place de l’homme ne peut échapper à cette interrogation : qu’est[TN2] -ce que la liberté face au déterminisme ? 

L’idée générale[TN3]  est que l’homme se croit libre alors qu’il est mû par des causes qu’il ignore. L’homme est ainsi lui-même chose parmi les choses, non pas « un empire dans un empire » mais au contraire réduit à la transcription d’un simple rapport mécanique comme une pierre qui penserait agir par elle-même en méconnaissant la loi de la dynamique des corps. Tel est l’homme qui se croirait exception dans la nature : une simple pierre qui ignore les raisons de ses déplacements. La liberté[TN4]  n’est donc pas cette reconnaissance spontanée que décrit Descartes (qui fabrique avec elle la certitude de notre propre existence comme être conscient et libre) mais au contraire la liberté s’obtient seulement par un calcul de la raison qui suppose une distance critique et la reconnaissance de la passion comme cause de cette illusion. La liberté ne se trouvant plus alors que dans la reconnaissance de cette nécessité : c’est elle qui guide vers le chemin d’une liberté qui a pour contenu la raison. 

Pour ce faire[TN5]  l’auteur procède en deux parties. D’abord[TN6]  (« j’appelle libre…déterminée ») il inscrit que Dieu est une substance unique qui ne dépend de nulle autre qu’elle-même, aussi conséquemment il n’agit qu’à partir de sa propre volonté. Au contraire toute chose singulière existe à partir d’une autre chose : l’homme n’échappe pas à cette règle. Il faut ajouter que toute chose particulière dépend d’un tout qui le dépasse.  Dieu seul est cause de lui-même. Suivra[TN7]  une démonstration (« Concevez maintenant… fin du texte) qui rejette comme illusion une liberté qui ignore les motifs de l’action et fabrique avec son ignorance un pouvoir de la conscience[TN8] .

 

L’auteur commence[TN9]  par un rappel définitionnel, il s’agit de déterminer ce qu’est liberté et contrainte. La liberté est comprise comme ce qui dépend de soi, ce qui implique que ne peut se saisir comme libre que « celui qui agit par la seule nécessité de sa nature ». Celui qui est libre ne dépend que de lui-même. Les termes « sa nature » supposant que sa volonté est directement liée à ses propres possibles et capacités. Alors en négatif on trouve la contrainte qui suppose, pour sa part, autre qu’elle même pour exister. On peut synthétiser l’opposition en écrivant que celui qui ne dépend que de lui-même est dans une logique d’intériorité puisque son action ne dépend que de lui tandis que celui qui dépend d’autre chose que de lui-même est dans l’extériorité. Conséquemment on posera que la liberté n’est possible que pour celui qui est cause de lui-même donc qui ne dépend que de sa propre nature ou intériorité.  

 

On comprend alors différemment la proposition Spinoziste « l’homme n’est pas un empire dans un empire[TN10]  » : le terme d’empire s’inscrit comme pouvoir, avoir de l’empire sur une chose c’est avoir une emprise sur elle. L’homme ne peut pas avoir un pouvoir sur les choses alors qu’il en fait partie. Il est issu de cette extériorité qui dépend d’autre que lui. Dieu est intériorité – on comprend qu’il ne dépend que de sa nature propre « libre nécessité de sa nature » inscrit Spinoza. Attention la nécessité ici ne renvoie pas ici à une contrainte mais à la distinction intériorité – extériorité. L’homme est « par nature » englobé dans les choses de la nature, on peut ici introduire cette nuance : l’homme fait partie de la nature naturée qui a été pensée par une cause extérieure, Dieu ; au contraire Dieu est la nature naturante cad que la Nature se confond avec Dieu, sa création dépend d’un acte de sa seule volonté. La nécessité est ici seulement interne. Cela[TN11]  annonce la critique de Spinoza à la fin du texte : l’homme est dans l’illusion de la toute puissance de sa volonté qui est une illusion tout comme la liberté qu’elle revendique. Il y a trois niveaux de compréhension : le premier est de poser que l’homme dépend d’une nature extérieure et non de sa nature propre qui n’existe que comme partie d’une nature qui l’englobe, le second qu’il dépend en lui de la tyrannie de ses propres passions en ignorant le motif réel de son action, le troisième dans la reconnaissance qu’il appartient à la nature, il est nature naturée et non naturante. 
L’exemple de la pierre en cette première partie permet de valider cette lecture de l’opposition intériorité et extériorité, l’une impliquant la liberté l’autre la contrainte. Lorsque Spinoza écrit « descendons aux choses créés » l’erreur serait d’avoir une lecture pyramidale ou Dieu serait transcendant et les objets sous « son empire ». Dieu[TN12]  est toute chose, il est la Nature et ses objets mais il ne doit pas être confondu avec un législateur ou un souverain : Dieu se confond avec les choses mais il a pour particularité d’être aussi à l’origine de toute chose. L’homme appartient à la nature. Il en est un des produits, il s’inscrit dans une chaîne de déterminations qui échappent à sa raison. Ici la pierre est mû par un mouvement extérieur à sa volonté, loi de la thermodynamique que la pierre ignore, ainsi elle croit libre alors qu’elle est déterminée. Ce serait la situation même de l’homme, allégoriquement nous sommes comme cette pierre. La démonstration de Spinoza vise à ruiner la thèse du libre arbitre. Si toute chose dépend d’une autre chose alors le déterminisme est présent pour elle : elle ne peut s’en abstraire. 

 

La seconde partie[TN13]  s’inaugure par une mise en cause de l’illusion présente dans l’affirmation de la liberté chez l’homme, cette revendication est disproportionnée. Elle fait abstraction que nous ne sommes qu’une partie d’une nature qui pose des lois et des mécanismes que nous subissons sans les comprendre. Nous sommes assujettis à l’ordre de la nature. C'est donc à partir de l'infini seulement, qu'il est possible de penser cette chose singulière qu'est l'homme.  Il y a alors une nécessité des passions qui découlent de notre statut de chose de la nature parmi les autres choses naturelles. L’erreur de la pierre comme celle de l’homme peut se corriger par la connaissance des causes adéquates : savoir ce qui nous mets en mouvement c’est pour une part se libérer de l’illusion de la pierre… C’est[TN14]  l’intervention de la connaissance dans la chaîne causale qui permet de penser une liberté proprement humaine. Non pas échapper au déterminisme mais s’en servir comme outil pour modifier[TN15]  l’action. 

 

La liberté devient donc une nécessité bien comprise : connaître le motif de mon action afin de ne pas se retrouver dans la position de l’ivrogne qui est mis en mouvement par l’alcool, élément à sa nature. Cet alcool transforme sa nature, il y cède croyant être maître de lui-même alors qu’il en est seulement le jouet. Celui qui est en colère et qui cède à cette passion, à son penchant, est dans la même situation : il devient le jouet d’une force extérieure. Il croira agir par sa propre volonté alors qu’il est le jouet de forces extérieures. Se libérer de la force aliénante de la passion suppose la connaissance de cette extériorité. Celui qui est en colère et qui se connaît[TN16]  en colère peut résister à cette passion, la dominer en y cédant pas. La liberté se niche là : dans cette capacité à réfléchir la passion qui arrive. La seule force de la liberté repose dans cette capacité à saisir l’extériorité en soi afin d’y échapper ou d’y céder en connaissant la nature de la passion et de l’emportement. Il y a ici un renversement qui transforme l’impuissance en puissance d’agir. La liberté comme nécessité bien comprise. Accroissement de la puissance d'agir par la connaissance des passions et la recherche de l'objet qui convient à notre nature. Se libérer de la force aliénante de l’extériorité, comme l’alcool, la colère. L’enfant lui est agit par une cause extérieure, le lait qu’il croit vouloir est un cri de la nature, une contrainte extérieure que l’enfant ne maîtrise pas. 

 

Il[TN17]  s’agit d’un préjugé partagé parmi les hommes que celui de la liberté de la volonté, une illusion fondée sur un défaut de la raison. La liberté n’est pas dans le choix mais dans la connaissance, dans la reconnaissance d’un mécanisme extérieur qui permet de reconnaître en soi la nécessité extérieure. La liberté commence à la suppression d’une situation fondée sur l’illusion.

 

 

 

 

 

 

 

 


 [TN1]Annonce du texte informé, mise en perspective de la Lettre à Schuller dans son rapport au siècle et au débat des idées

 [TN2]Ici on pose la question principale qui peut s’énoncer aussi autrement : que peut valoir l’idée de liberté face au déterminisme ? Il s’agit en d’autres termes de la problématique. 

 [TN3]Ici position de l’idée générale du texte avec un développement permettant la compréhension de sa construction. L’IG est directement liée au texte et seulement à lui.

 [TN4]Puis les enjeux qui sont une extension ou un déploiement de l’IG – il s’agit d’étendre l’IG au débat général des idées. 

 [TN5]Ici annonce des parties du commentaire – 2 parties qui constitueront les 2 parties du traitement du commentaire

 [TN6]Première partie

 [TN7]Deuxième partie

 [TN8]Il y a une règle d’égalité (relative) des parties – les parties s’équivalent sauf dans le cas de l’intro et de la conclusion

 [TN9]L’analyse commence souvent par l’ouverture du texte, elle est donc d’abord linéaire pour devenir rapidement thématique – l’analyse linéaire produit une analyse de chaque phrase du texte en suivant l’ordre d’écriture. La méthode thématique travaille sur les concepts : elle ne prend pas en compte l’ordre linéaire mais des idées

 [TN10]Extrait du Traité Politique chap 1 – cette formule permet d’inscrire la lettre à Schuller dans un travail plus large ou Spinoza s’oppose à la définition admise de la liberté de la volonté. 

 [TN11]Nous sommes ici dans une exploration thématique qui permet de naviguer dans le texte. 

 [TN12]Il y a ici déploiement de l’appareil critique et conceptuel. Il faut expliquer pour rendre clair le texte en apportant des éléments de compréhension. 

Un devoir maison suppose la lecture de l’auteur et la recherche des éléments permettant sa compréhension 

 [TN13]Le passage à la seconde partie est indiquée clairement au lecteur

 [TN14]Ici nous expliquons mais aussi engageons une lecture critique : cad que nous posons un jalon vers une compréhension de ce qu’est la liberté chez Spinoza à partir de l’analyse du texte et ici spécifiquement de la pierre. 

 [TN15]Ici nous introduisons les exemples développés lors du prochain paragraphe dans un cadre conceptuel global cad informé.

 [TN16]Ici il s’agit de proposer une solution permettant de comprendre l’extrait tout en développant l’exemple sans simplement le répéter

 [TN17]Conclusion

mercredi 4 décembre 2019


Commentaire de texte - 

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Spinoza – Lettre à Schuller 


Spinoza[TN1]  répond dans sa lettre à une objection posée par Schuller : comment l’homme peut faire des choix libres s’il est déterminé ? La réponse de Spinoza s’ancre dans la modernité naissante. C’est ce moment de la rupture épistémologique où l’héliocentrisme remplace le géocentrisme, ou la connaissance passe de Dieu aux hommes par le biais des sciences, de la raison. Le déterminisme représente l’univers désormais comme une suite de causes et d’effets, la Nature est un système fermé où chaque chose se comprend au regard d’une autre. La question de la place de l’homme ne peut échapper à cette interrogation : qu’est[TN2] -ce que la liberté face au déterminisme ? 
L’idée générale[TN3]  est que l’homme se croit libre alors qu’il est mû par des causes qu’il ignore. L’homme est ainsi lui-même chose parmi les choses, non pas « un empire dans un empire » mais au contraire réduit à la transcription d’un simple rapport mécanique comme une pierre qui penserait agir par elle-même en méconnaissant la loi de la dynamique des corps. Tel est l’homme qui se croirait exception dans la nature : une simple pierre qui ignore les raisons de ses déplacements. La liberté[TN4]  n’est donc pas cette reconnaissance spontanée que décrit Descartes (qui fabrique avec elle la certitude de notre propre existence comme être conscient et libre) mais au contraire la liberté s’obtient seulement par un calcul de la raison qui suppose une distance critique et la reconnaissance de la passion comme cause de cette illusion. La liberté ne se trouvant plus alors que dans la reconnaissance de cette nécessité : c’est elle qui guide vers le chemin d’une liberté qui a pour contenu la raison. 
Pour ce faire[TN5]  l’auteur procède en deux parties. D’abord[TN6]  (« j’appelle libre…déterminée ») il inscrit que Dieu est une substance unique qui ne dépend de nulle autre qu’elle-même, aussi conséquemment il n’agit qu’à partir de sa propre volonté. Au contraire toute chose singulière existe à partir d’une autre chose : l’homme n’échappe pas à cette règle. Il faut ajouter que toute chose particulière dépend d’un tout qui le dépasse.  Dieu seul est cause de lui-même. Suivra[TN7]  une démonstration (« Concevez maintenant… fin du texte) qui rejette comme illusion une liberté qui ignore les motifs de l’action et fabrique avec son ignorance un pouvoir de la conscience[TN8] .

L’auteur commence[TN9]  par un rappel définitionnel, il s’agit de déterminer ce qu’est liberté et contrainte. La liberté est comprise comme ce qui dépend de soi, ce qui implique que ne peut se saisir comme libre que « celui qui agit par la seule nécessité de sa nature ». Celui qui est libre ne dépend que de lui-même. Les termes « sa nature » supposant que sa volonté est directement liée à ses propres possibles et capacités. Alors en négatif on trouve la contrainte qui suppose, pour sa part, autre qu’elle même pour exister. On peut synthétiser l’opposition en écrivant que celui qui ne dépend que de lui-même est dans une logique d’intériorité puisque son action ne dépend que de lui tandis que celui qui dépend d’autre chose que de lui-même est dans l’extériorité. Conséquemment on posera que la liberté n’est possible que pour celui qui est cause de lui-même donc qui ne dépend que de sa propre nature ou intériorité.  

On comprend alors différemment la proposition Spinoziste « l’homme n’est pas un empire dans un empire[TN10]  » : le terme d’empire s’inscrit comme pouvoir, avoir de l’empire sur une chose c’est avoir une emprise sur elle. L’homme ne peut pas avoir un pouvoir sur les choses alors qu’il en fait partie. Il est issu de cette extériorité qui dépend d’autre que lui. Dieu est intériorité – on comprend qu’il ne dépend que de sa nature propre « libre nécessité de sa nature » inscrit Spinoza. Attention la nécessité ici ne renvoie pas ici à une contrainte mais à la distinction intériorité – extériorité. L’homme est « par nature » englobé dans les choses de la nature, on peut ici introduire cette nuance : l’homme fait partie de la nature naturée qui a été pensée par une cause extérieure, Dieu ; au contraire Dieu est la nature naturante cad que la Nature se confond avec Dieu, sa création dépend d’un acte de sa seule volonté. La nécessité est ici seulement interne. Cela[TN11]  annonce la critique de Spinoza à la fin du texte : l’homme est dans l’illusion de la toute puissance de sa volonté qui est une illusion tout comme la liberté qu’elle revendique. Il y a trois niveaux de compréhension : le premier est de poser que l’homme dépend d’une nature extérieure et non de sa nature propre qui n’existe que comme partie d’une nature qui l’englobe, le second qu’il dépend en lui de la tyrannie de ses propres passions en ignorant le motif réel de son action, le troisième dans la reconnaissance qu’il appartient à la nature, il est nature naturée et non naturante.
L’exemple de la pierre en cette première partie permet de valider cette lecture de l’opposition intériorité et extériorité, l’une impliquant la liberté l’autre la contrainte. Lorsque Spinoza écrit « descendons aux choses créés » l’erreur serait d’avoir une lecture pyramidale ou Dieu serait transcendant et les objets sous « son empire ». Dieu[TN12]  est toute chose, il est la Nature et ses objets mais il ne doit pas être confondu avec un législateur ou un souverain : Dieu se confond avec les choses mais il a pour particularité d’être aussi à l’origine de toute chose. L’homme appartient à la nature. Il en est un des produits, il s’inscrit dans une chaîne de déterminations qui échappent à sa raison. Ici la pierre est mû par un mouvement extérieur à sa volonté, loi de la thermodynamique que la pierre ignore, ainsi elle croit libre alors qu’elle est déterminée. Ce serait la situation même de l’homme, allégoriquement nous sommes comme cette pierre. La démonstration de Spinoza vise à ruiner la thèse du libre arbitre. Si toute chose dépend d’une autre chose alors le déterminisme est présent pour elle : elle ne peut s’en abstraire. 

La seconde partie[TN13]  s’inaugure par une mise en cause de l’illusion présente dans l’affirmation de la liberté chez l’homme, cette revendication est disproportionnée. Elle fait abstraction que nous ne sommes qu’une partie d’une nature qui pose des lois et des mécanismes que nous subissons sans les comprendre. Nous sommes assujettis à l’ordre de la nature. C'est donc à partir de l'infini seulement, qu'il est possible de penser cette chose singulière qu'est l'homme.  Il y a alors une nécessité des passions qui découlent de notre statut de chose de la nature parmi les autres choses naturelles. L’erreur de la pierre comme celle de l’homme peut se corriger par la connaissance des causes adéquates : savoir ce qui nous mets en mouvement c’est pour une part se libérer de l’illusion de la pierre… C’est[TN14]  l’intervention de la connaissance dans la chaîne causale qui permet de penser une liberté proprement humaine. Non pas échapper au déterminisme mais s’en servir comme outil pour modifier[TN15]  l’action. 

La liberté devient donc une nécessité bien comprise : connaître le motif de mon action afin de ne pas se retrouver dans la position de l’ivrogne qui est mis en mouvement par l’alcool, élément à sa nature. Cet alcool transforme sa nature, il y cède croyant être maître de lui-même alors qu’il en est seulement le jouet. Celui qui est en colère et qui cède à cette passion, à son penchant, est dans la même situation : il devient le jouet d’une force extérieure. Il croira agir par sa propre volonté alors qu’il est le jouet de forces extérieures. Se libérer de la force aliénante de la passion suppose la connaissance de cette extériorité. Celui qui est en colère et qui se connaît[TN16]  en colère peut résister à cette passion, la dominer en y cédant pas. La liberté se niche là : dans cette capacité à réfléchir la passion qui arrive. La seule force de la liberté repose dans cette capacité à saisir l’extériorité en soi afin d’y échapper ou d’y céder en connaissant la nature de la passion et de l’emportement. Il y a ici un renversement qui transforme l’impuissance en puissance d’agir. La liberté comme nécessité bien comprise. Accroissement de la puissance d'agir par la connaissance des passions et la recherche de l'objet qui convient à notre nature. Se libérer de la force aliénante de l’extériorité, comme l’alcool, la colère. L’enfant lui est agit par une cause extérieure, le lait qu’il croit vouloir est un cri de la nature, une contrainte extérieure que l’enfant ne maîtrise pas. 

Il[TN17]  s’agit d’un préjugé partagé parmi les hommes que celui de la liberté de la volonté, une illusion fondée sur un défaut de la raison. La liberté n’est pas dans le choix mais dans la connaissance, dans la reconnaissance d’un mécanisme extérieur qui permet de reconnaître en soi la nécessité extérieure. La liberté commence à la suppression d’une situation fondée sur l’illusion.









 [TN1]Annonce du texte informé, mise en perspective de la Lettre à Schuller dans son rapport au siècle et au débat des idées
 [TN2]Ici on pose la question principale qui peut s’énoncer aussi autrement : que peut valoir l’idée de liberté face au déterminisme ? Il s’agit en d’autres termes de la problématique. 
 [TN3]Ici position de l’idée générale du texte avec un développement permettant la compréhension de sa construction. L’IG est directement liée au texte et seulement à lui.
 [TN4]Puis les enjeux qui sont une extension ou un déploiement de l’IG – il s’agit d’étendre l’IG au débat général des idées. 
 [TN5]Ici annonce des parties du commentaire – 2 parties qui constitueront les 2 parties du traitement du commentaire
 [TN6]Première partie
 [TN7]Deuxième partie
 [TN8]Il y a une règle d’égalité (relative) des parties – les parties s’équivalent sauf dans le cas de l’intro et de la conclusion
 [TN9]L’analyse commence souvent par l’ouverture du texte, elle est donc d’abord linéaire pour devenir rapidement thématique – l’analyse linéaire produit une analyse de chaque phrase du texte en suivant l’ordre d’écriture. La méthode thématique travaille sur les concepts : elle ne prend pas en compte l’ordre linéaire mais des idées
 [TN10]Extrait du Traité Politique chap 1 – cette formule permet d’inscrire la lettre à Schuller dans un travail plus large ou Spinoza s’oppose à la définition admise de la liberté de la volonté. 
 [TN11]Nous sommes ici dans une exploration thématique qui permet de naviguer dans le texte. 
 [TN12]Il y a ici déploiement de l’appareil critique et conceptuel. Il faut expliquer pour rendre clair le texte en apportant des éléments de compréhension. 
Un devoir maison suppose la lecture de l’auteur et la recherche des éléments permettant sa compréhension 
 [TN13]Le passage à la seconde partie est indiquée clairement au lecteur
 [TN14]Ici nous expliquons mais aussi engageons une lecture critique : cad que nous posons un jalon vers une compréhension de ce qu’est la liberté chez Spinoza à partir de l’analyse du texte et ici spécifiquement de la pierre. 
 [TN15]Ici nous introduisons les exemples développés lors du prochain paragraphe dans un cadre conceptuel global cad informé.
 [TN16]Ici il s’agit de proposer une solution permettant de comprendre l’extrait tout en développant l’exemple sans simplement le répéter
 [TN17]Conclusion




Commentaire de texte


Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […]. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.


INTRO 

Le texte qui nous est proposé à l’étude est extrait du rire de Bergson.
 L’idée générale réside dans l’affirmation que le langage nous éloigne des choses et de nos propres sentiments, il accentue l’écart entre la réalité du monde et la représentation que nous nous en avons. L’enjeu est alors dans le fait que cet écart est lui-même la conséquence d’une préoccupation humaine exclusive pour l’utilitaire. C’est le besoin qui empêcherait la conscience et le langage d’atteindre la réalité des choses et de nous-même. 
Pour ce faire l’auteur procède en trois moments. 
Dans un premier temps (Nous ne voyons…) Bergson incrimine l’aspect négatif du langage qui vient s’additionner au mouvement de la conscience pour nous éloigner des choses et du monde. Le nom commun est l’arme de cette réduction. 
Puis (Et ce ne sont...) il étend ce problème de la simplification des choses aux sentiments. C’est notre intériorité qui se trouve mise à l’écart.
Alors (Ainsi, jusque…) l’auteur pourra dévoiler l’étendue de la confusion : le langage nous place à distance des choses et de nous-même. Il nous empêcherait d’exister pleinement. 


Corps du commentaire :


Le constat inaugural de Bergson réside dans l’affirmation que nous ne voyons pas les choses mêmes : autrement dit nous demeurons extérieurs aux choses, plus fondamentalement nous sommes dans un écart par rapport au réel qui empêche sa saisie. La question qui se pose alors est celle de notre attitude par rapport aux choses : nous simplifions le réel autour de nous de façon à ce qu’il nous corresponde. Se borner signifie ici que la limite que nous portons sur les choses est celle même d’une réduction de la réalité aux besoins. C’est donc les fonctions élémentaires, boire, manger, dormir qui conditionnent notre rapport aux choses. Cette simplification du réel est donc commandée d’abord par la survie. Cela s’explique par une logique d’identification rapide des dangers : il faut d’abord viser l’efficacité et non la subtilité. La nuance est un danger dans le cas d’une survie qui commande une action immédiate et non une réflexion. C’est la vision d’ensemble qui est privilégiée et non le singulier ou le détail. Nous plaçons sur les choses des termes génériques qui permettent cette adaptation souhaitée au réel. Ces « étiquettes » sont donc des noms communs. Le nom commun permet de fabriquer du tout là où n’existe que du propre et du singulier. Dire « un chien » équivaut à nommer un genre et non une individualité ce qui est suffisant pour avoir la perception commune d’un chien. Le maître saura reconnaître son chien entre 100 de la même race. C’est l’expérience individuelle et le sentiment qui font rentrer dans le singulier et la différence. Le nom commun permet de ne voir que l’ensemble, par lui nous pouvons gommer le détail qui est perceptible seulement pour celui qui le souhaite. Ainsi l’attachement du maître pour son chien fait glisser le général vers le particulier : son sentiment d’amour pour son chien produit du singulier, du nom propre en même temps qu’une histoire des sentiments. Le langage a un effet catalyseur, il augmente cette disposition naturelle en organisant le réel selon son aspect le plus commun ou banal. C’est ici que nous retrouvons l’utilitaire : tandis que la conscience produit du commun en supprimant les marques puissantes de l’individualité, le langage produit une communication d’autant plus efficace qu’elle prend la forme de cette conscience dont il est lui-même le résultat évolutionniste et historique. Alors le langage prend la place d’un intermédiaire entre nous et la chose. Le mot s’insinue jusque dans les replis du monde, il vient redoubler notre séparation d’avec l’intimité des choses en ne permettant que la vision d’ensemble. 
Le mot est d’emblée déjà un rapport : celui pour la linguistique d’une division entre signifié et signifiant. Entre le nom commun et l’objet particulier désigné il y a le mot, comme si la correspondance ne pouvait jamais s’effectuer, comme si la coïncidence était impossible et que nous soyons toujours obligés de chercher cette nuance qui toujours s’échappe. Mais cette position linguistique ne peut pas être celle de Bergson. La linguistique de Saussure et Benveniste n’étant pas encore en place au moment de la rédaction du Rire.

Alors il ne faut pas s’étonner si le langage traite nos sentiments de la même façon que les choses, le langage vient s’additionner à la conscience afin de réaliser une réduction identique avec des sentiments qui autrement envahiraient toute notre conscience et déborderaient. Mais ici alors que notre être se conforme à la nature du besoin pour les choses, il répugne à accepter le même sort pour ses propres sentiments. Il souhaite retrouver en lui « ces milles nuances » qui fabriquent sa singularité et le distingue des autres. Ici nous trouvons une sorte de révolution : la conscience refuse ce qu’elle a produit par ailleurs pour désigner les choses, le commun ne convient pas au propre. Dire « je t’aime » n’est-ce pas utiliser une facilité de langage, ce mot si employé peut-il traduire ce que j’éprouve lorsque je suis amoureux ? Peut-il dire le frisson de l’émoi, de la peur de perdre l’autre, de la chaleur d’une main dans une main ? Comment la haine peut-elle traduire cette volonté de tuer et de détruire qui bouillonne en moi ? 
L’imprécision est ici l’ennemie de l’identité du sujet, de son besoin d’exister en tant que lui-même et non comme un autre. Pour réussir cette métamorphose nous devrions devenir poètes ou peintres : ceux qui ont compris que pour trouver le mot il fallait d’abord le perdre, accepter les entrelacs de la nomination, le détour. Comment pour pouvoir dire ne plus pouvoir nommer les choses. Apprendre à ne plus connaître mais réapprendre à voir et comprendre autrement soi-même et le monde. Les poètes sont ceux qui voient le monde sans filtre, sans la barrière du nom commun pour ne plus rencontrer que du singulier et de n’ineffable. Donner le pouvoir à l’imagination ce n’est pas ajouter au langage mais ôter son caractère profondément général.  Le peintre ne voit pas plus mais débarrasse la conscience du fardeau du général. Cela suppose aussi que nous ne soyons pas dans un schéma linguistique mais pré-linguistique ou classique ou le pouvoir des mots est inférieur au possible de la pensée. Où la correspondance entre l’image acoustique et l’esprit est définitivement produite.  C’est la conscience qui d’abord dépouille le sentiment en le pensant du côté de l’aspect extérieur et finalement de sa finalité sociale qui est de permettre sa communication, ce qui ne peut se faire sans simplification. Chaque sentiment est pourtant toujours lié à des circonstances qui le rend indentifiable et unique, chacun est irréductible. Rentrer dans l’aspect personnel du sentiment revient à distinguer toutes les palettes des sentiments, cette palette dont laquelle seul le peintre s’est joué. Le langage révèle sa nature insuffisante devant une réalité toujours plus complexe et foisonnante, bien loin de la réduction auquel le langage la contraint. 

Ainsi une troisième malédiction apparaît : le langage éloigne des choses, de nos sentiments, enfin de nous-mêmes.  C’est notre être intérieur qui s’échappe et disparaît, alors que le langage avait pour vocation de nous permettre de saisir les choses il devient l’instrument de notre propre aliénation. Tout cela débute par la volonté d’agir et d’être plus efficace, l’homme d’action est celui qui doit mettre à distance sa réflexion, simplifier pour exister. Mais le monde moderne n’est plus celui de la rivalité des consciences et des personnes. Nous voulons réintégrer cette part que nous perdons chaque jour. Telle est la position de Bergson. L’efficacité du langage rejoint celle de la lutte pour devenir des hommes, pour combattre la nature. C’est le réalisme qui vient tuer le réel, qui s’affirme contre le poète et le peintre. Ce que Bergson souhaite c’est un retour sur et vers soi, un dialogue qui doit retrouver le chemin de la complexité pour que chacun existe contre la foule, pour ses sentiments.  Il y a chez Bergson la nostalgie d’une autre grammaire que celle de la communication, celle d’un monde perdu ou pas encore trouvé où chacun serait reconnu comme unique. Ici Bergson est lui-même ce peintre des sentiments et des âmes que Bergson annonce. Nous sommes sinon dans une zone grise entre la chose et nous, toujours dans une distance qui permet la réflexion mais aussi toujours privé de la saveur du monde et de la compréhension de notre intériorité. 


Le texte de Bergson finalement annonce deux révolutions qui modifieront profondément la perception du langage. Celle de la linguistique qui viendra balayer ce fond dont parle Bergson qui se séparerait du mot, cette pensée en dehors de la nomination. Tandis que la volonté de se retrouver, de reprendre un dialogue intérieur interrompu, sera bientôt le champ de la psychanalyse. L’analyse étant se moment de libération d’une parole capable de guérir et de se comprendre soi-même. 




jeudi 17 janvier 2019

Correction note de synthèse : les besoins sont-ils naturels ou sociaux ?

Cinq textes nous sont proposés à l'étude, deux défendent la thèse que seuls les désirs naturels sont nécessaires et que les désirs sociaux conduisent aux excès. Trois que l'activité des hommes fabrique des désirs en même temps qu'une condition spécifiquement humaine.

Epicure fait une nomenclature des besoins en distinguant ceux qui sont naturels de ceux qui ne le sont pas. Ces derniers éloignent l'homme de lui-même en le laissant poursuivre des chimères (Rousseau).
Tandis que l'homme du besoin naturel est "en paix" (Rousseau) l'homme de la "vaine opinion" (Epicure)  encourage les désirs ni naturels ni nécessaires. Ainsi nous avons une philosophie ou l'homme de la nature se satisfait de ce qui est là, homme de l'immédiateté de la présence aux choses et en face l'homme d'une société qui invente des désirs dans une gradation sans fin (pourvoir au nécessaire puis au superflu puis aux délices puis aux immenses richesses...). Tourbillon sans fin des passions dirait Epicure, tourment de l'âme qui rend l'homme esclave (Rousseau). Tandis que l'homme du besoin naturel et nécessaire est celui qui peut maitriser ses désirs et ainsi faire place à autrui (Epicure), l'homme de la société est celui de l'égoïsme qui se croit "maître de l'univers"(Rousseau).

Toute la violence viendrait donc de l'homme en société (Rousseau), plus encore dit Marx (Idéo) c'est l'histoire elle-même qui naît avec un désir qui pousse l'homme à trouver de nouveaux besoins dans une spirale sans fin. C'est le passage de l'immédiateté à la médiation (Marx - Intro), du besoin facilement assouvi à un désir qui "englouti" les trésors (Rousseau) en même temps qu'il "nous crée et impose des besoins indéfinis" (Clavel). Ici se formule pour la première fois l'idée d'une société de consommation qui pour la première fois dans l'histoire des hommes est toute entièrement tournée vers une production qui ne vise pas la production d'un objet mais qui transforme le sujet en objet  (Marx intro). L'homme est sans cesse dans la recherche de nouveaux besoins (Marx Id) qui font en même temps sa grandeur et son malheur : l'homme devient l'esclave des richesses (Rousseau) et convoite sans cesse celles d'autrui. Grandeur pourtant car comme le dit Marx il nous fallait "sortir de la grossièreté primitive" pour accéder jusqu'à "l'objet d'art" : l'oeuvre d'art comme paradigme d'un inutile où vient pourtant se déposer toute son humanité.

S'éloigner du nécessaire et du naturel pour rencontrer une consommation qui devient un mode de vie (Marx Intro), pour ne plus être dans la simplicité béate de cet "homme sauvage" dont Rousseau rêve l'existence. Car enfin dit Clavel "ce n'est pas la société qui crée des besoins mais la culture qui crée des besoins et la société", inversion prodigieuse où l'homme sauvage devient la véritable chimère - la nature deviendrait alors un mythe, le plus puissant de tous. Car que serait l'homme sans le désir, avec seulement ce nécessaire dont parlent Epicure et Rousseau ? "Une bête" répond  Clavel.

Car pour être il faut toujours quelque chose encore, quelque chose en plus (Clavel)... La société de consommation nécessite une production qui fabrique le besoin, qui "l'excite" dit Marx et fabrique ainsi un monde complet avec un consommateur, des objets et un marché pour les écouler. Pour Marx c'est la nature même du mode de production qui fabrique la représentation que nous avons du monde et de nous-mêmes (Marx Intro). Loin de la paix que raconte Rousseau chez l'homme de la nature, l'homme de la société est celui de la lutte pour la reconnaissance dans une frénésie inachevée pour saisir un désir qui sans cesse s'échappe. Ce serait alors la production qui fabrique le besoin (Marx) et non le besoin la production (Rousseau - Clavel). Que "Jean-Jacques" retourne à ses rêveries (Clavel) et que l'homme lui, désormais "sensible à l'art" (Marx Intro), puisse accomplir sa propre histoire (Marx id) en s'inventant lui-même.