L’invention
de la modernité va correspondre à un modèle politique qui va se fonder sur une
transformation du politique et avec lui les échanges. Platon dans les lois
tente de définir une société idéale. Elle serait constituer de quatre
travailleurs fondamentaux : l’agriculteur, un boulanger, un maçon, un
cordonnier. La question que pose Platon c’est faut-il que chacun de ses
travailleurs soit capable de faire toutes les activités et d’être tour à tour
maçon, … ?
En
fait, Platon s’interroge sur la production de la richesse et répond qu’il y a
un avantage à la division des métiers.
-Premièrement
car il y a une pente naturelle qui nous oriente vers tel ou tel travaille, le
meilleur travailleur étant celui qui aime ce qu’il fait.
-Secondement
l’excellence dans le travaille suppose une spécialisation. Celui qui occupe
quatre fonctions ne pourra pas exceller dans chacune.
-Troisièmement
il y a un gain de formation dans l’adoption d’une spécialisation. Former
quelqu’un à quatre métiers suppose énormément de temps.
La
conclusion de Platon est donc l’avantage à la division des métiers car « il faut frapper le fer
tandis qu’il est chaud » Aristote. Ce qu’Aristote veut dire c’est
qu’on ne peut être au four et au moulin. Il faut être disponible pour la tâche
qu’on veut accomplir or si le fer est chaud et que le blé doit être moissonné,
que le ciment est frais. Aucunes de ces tâches seront faites convenablement. Il
y a un temps du travail qui est le juste temps, cette construction de la
spécialisation des tâches conduit immédiatement à la rémunération des travails.
Les grecs proposent de distinguer entre les échanges et la chrématistique.
Les grecs posent une priorité du politique sur l’économique ayant
pour eux la signification de l’échange donc du troc. Mais il y a une logique à
cet été de fait, la société esclavagiste donne peu de valeur au travail. Il y a
une soumission de l’économique au politique. La question de la valeur d’une
marchandise se pose comme une question de temps de travail et d’immobilisation
de celui-ci dans la matière. Il y a un travail simple et ici nous reprenons les
analyses d’Adam Smith qui pose que ce travail simple est celui opéré par
l’ouvrier le moins qualifié qui engage l’opération la plus simple. Pour obtenir
la valeur d’un ouvrier spécialisé il suffit de multiplier le travail simple par
des éléments que nous avons déjà explorés, la formation, la compétence… Ici
nous sommes dans la valeur d’usage qui se distingue de la valeur d’échange.
L’échange pour sa part disparait devant la chrématistique alors que l’échange
entourait l’équivalent universel (argent)
de marchandise, désormais c’est la marchandise qui est entourée de deux
sommes d’argent. Plus loin l’argent devient autonome et fera disparaitre la
médiation de la marchandise, désormais l’argent produit de l’argent. Les
échanges financiers prennent la place du travail productif, le mouvement s’est
initié avec la dématérialisation de l’argent et la construction des flux d’échanges
sur la confiance. On peut dire qu’un krach boursier est le moment où la
confiance est brisé où les personnes réclament leur argent réel. A partir de là
l’État est lui-même en faillite, cette logique chrématistique est aussi celle
qui nait de la société industrielle de la multiplication fantastique des flux
et d’une circulation qui ne peut plus être dirigée par le politique.
b-L’industrie, les échanges, la technique
La chrématistique inaugure une société de l’échange où
le commerce doit conduire à la paix, l’exploration des mers permet d’enrichir
les états d’Europe. Le passage d’une économie féodale à une économie
industrielle est effectif dès le XXème siècle. Marx distingue à cette époque manufacture
ouvrée, manufacture sériée. Une manufacture ouvrée est le fait de confier à des
travailleurs une tâche particulière dont ils doivent s’acquitter sur leur lieu
d’habitation. La manufacture sériée étant le fait de déplacer le travailleur
sur un unique lieu de travail où l’activité est regroupée. Or la manufacture
sériée coûte plus cher qu’une manufacture ouvrée, il faut prouver qu’elle est
rentable. Ce sera la démonstration d’Adam Smith sur la fabrique d’épingles. On
prend dix-huit travailleurs et on confie à chacun la tâche de fabriquer des
épingles pendant dix heures, de la matière au produit fini. Chacun à la fin de
la journée a fabriqué 300 épingles. On multiplie donc 300 par 18, on obtient
donc 5400 épingles. Maintenant on prend les travailleurs que l’on met sur une
chaîne de fabrication en divisant la fabrication en dix-huit étapes. Nous
sommes ici dans la division du travail or, de cette façon on dénombre 35 000
épingles par jour. La preuve est faite, la division des tâches permet une
augmentation quantitative de la production.
Ainsi la plus value engage le bénéfice de l’entreprise
en même temps qu’une absence de revenu, un temps mort pour le travailleur. Marx
est le premier qui formalise cette perte en montrant que le travailleur est
pris par l’entreprise pour une marchandise. Le travailleur est une denrée comme
une autre dont on achète une portion de temps, sa vie est alors à disposition
du producteur. Marx distingue alors entre « poïesis » et
« praxis » autrement dit entre travail aliéné et travail réalisant.
La poïesis est l’acte de faire sans retour vers le travailleur autrement dit le
travailleur est coupé de son travail. La praxis au contraire est le moment où
il y a un retour du travail vers le travailleur, c’est le moment où en faisant
je me fais. Marx produit une critique de l’échange à partir de la critique de
la spoliation du travailleur qui n’est pas rémunéré pour son travail réel,
ainsi « alors que l’ouvrier produit toutes les richesses le palais la
soie, l’or il habite dans une cave, il est habillé de hardes et il a une
monnaie de billot ». Le travail semble ici être une malédiction, il faut entendre
sa double nature pour un partie il est libérateur car il permet de modifier la
nature extérieur et ainsi de se modifier soi-même, mais aussi il est comme
l’étymologie le fait savoir un instrument de torture à 3
pieux « tripalium ». Le travail est ainsi marqué religieusement
comme une punition, la chute du paradis précipite l’homme dans le travail avant
la terre livrait spontanément ses fruits, des fontaines de nectars étaient à
notre dispositions. Le fruit du désir charnel conduit l’homme et la femme à
être chassés du paradis. L’humanité qui s’inaugure alors est celle de la
souffrance et de la survie. On retrouve cette position dans la Grèce ancienne
où le travail manuel est considéré comme infamant. On retrouve
jusqu’aujourd’hui cette distinction entre travail intellectuel et libérateur et
un travail manuel aliénant car lié à la matière. La plus belle expression s’en
trouve dans le mythe de Prométhée.
c-Le mythe de Prométhée
Prométhée occupe une position particulière dans le
panthéon des dieux, c’est un titan qui ne prend pas part à la lutte entre
Chronos et Zeus. Dans le mythe de Prométhée les hommes et les dieux vivent
ensemble, les hommes ne meurent pas et ne connaissent ni maladie ni souffrance.
Zeus décide qu’un partage doit être fait entre les attributs des hommes et des
dieux et va chercher Prométhée pour faire le partage. Ce choix est en soi une
interrogation car Prométhée n’a pas d’affection particulière pour Zeus et aime
les hommes. De plus, son nom signifie le prompt, le vif, le rusé il est donc le
contraire de son frère Épiméthée signifiant le lent celui qui comprend toujours
trop tard. Prométhée va donc accomplir le partage il va faire deux lots, pour
cela il accompli un sacrifice. Il prend un bœuf qu’il découpe en deux, la ligne
de partage étant la ligne de partage des attributs. Le premier lot est
constitué de la panse de l’animal qu’il va remplir de toutes les parties
comestibles de l’animal. Ce lot est laid à l’extérieur et bon à l’intérieur. Un
deuxième lot est constitué de toutes les parties non-comestibles (os, nerfs, …)
sont rassemblées dans un graisse alléchante. Le deuxième lot est donc bon et
beau à l’extérieur et mauvais à l’intérieur. Prométhée porte dans chacune de
ses mains un lot et s’approche de Zeus et lui dit « choisit ta
part ». Zeus choisit la belle part donc la mauvaise et scelle la condition
humaine, les hommes pour vivre devront manger une chair morte soumise à la
putréfaction, leur propre corps mourra et décomposera. Zeus décide de priver
les hommes du feu or s’ils ne peuvent plus cuire leurs aliments ils deviennent
des bêtes. Dès lors, Prométhée va voler le feu dans les forges d’Héphaïstos, il
redescend avec une braise qu’il donne aux hommes. Zeus décide alors de les
priver du blé désormais ils devront retourner la terre, travailler pour
récolter le blé. Zeus produit un dernier leurre équivalent au premier, il crée
un être magnifique à l’extérieur et fait de boue à l’intérieur c’est Pandora,
la femme qui précipite les hommes du côté de la génération. Pandora vient avec
une jarre qu’elle vide dans le monde des hommes. Elle contient tous les maux
invisibles (famine, peste, haine, …), on voit ici la condition humaine scellée
désormais la technique est l’intermédiaire indispensable pour parvenir à la
fin.
III-La technique
a-Définition
Nous serions tentés de poser que nous avons plus
souvent à faire aux techniques qu’à la technique. La révolution industrielle
nous a précipités dans une abondance de biens sans précédent dans l’histoire de
l’humanité. La production manufacturée a permis de multiplier les indications
techniques, souvent le terme technique signifie l’usage d’un outil qui fait le
lien entre l’homme et la nature. C’est cet outil qui prend la qualificatif de
technique mais par extension on va qualifier tout processus qui supposera des
règles ou une répétition nécessaire à l’accompagnement de l’action. Ainsi la
danse suppose que le corps lui-même soit malléable et nous retrouvons ici la
définition du corps comme instrument avec cette nuance que le corps est chair
c’est-à-dire alliance entre esprit et matière. Spinoza se demandait « que peut un
corps ? » soulignant ainsi que les propriétés du corps sont
plus mystérieuses que celles de l’esprit. Lentement nous avons pourtant
dissocié les techniques ordinaires que nous appliquons en les nommant
techniques sans qu’elles le soient véritablement. Pour l’occident la technique
est équivalent à la science c’est-à-dire à des protocoles spécialisés qui nous
empêchent la maitrise. Le mouvement est aussi lié à la fin de la maitrise du
processus du travail par l’ouvrier. Dans les corporations il y a maitrise de
toutes les étapes. Au contraire la spécialisation actuelle ne permet plus une
compréhension de la totalité du métier de même qu’il faut additionner les
étapes pour parvenir à la production d’un objet, de même il faut additionner
les spécialités pour saisir l’intelligence qui préside à son élaboration. Nous
sommes ici très loin de la définition de la technique telle qu’Aristote nous la
livre dans les parties des animaux « la différence entre l’homme et l’animal étant que
l’animal possède un dispositif technique particulier et biologique ».
Le lion possède la griffe et la dent, l’antilope la rapidité et la génération,
l’homme pour sa part est la plus faibles des créatures car il ne possède
naturellement aucunes techniques spécifiques. Dès lors, il va duper ses facultés intellectuelles par
l’intermédiaire de la main « qui est un outil d’outil qui est capable de tout tenir et de tout
saisir » d’Aristote. La main permet donc le développement de
l’habilité technique, la technique chez l’homme est culturelle et non
biologique c’est-à-dire le développement des techniques accompagne une certaine
maitrise de l’environnement. On se souvient que l’homme se distingue de son
milieu puis l’adapte à lui. Cette définition de la technique chez Aristote
suppose que l’homme soit une totalité qui possède des qualités intellectuelles
et physiques ce qui implique en creux la vision de la norme et de la
monstruosité. La technique est donc le moyen proprement humain de s’approprier
le monde extérieur comme de connaitre le monde intérieur. Il faut comme le dit
Descartes « il faut
devenir comme maître et possesseur de la nature ». Ici nous
retrouvons toute la modernité dans cette expression, la nature n’est plus
elle-même un outil comme un meuble que nous possédons et exploitons. Mais il
faut aussi se rendre compte de la différence d’échelle de production entre le
début du 20ème siècle et aujourd’hui. Au début du 20ème
siècle l’industrie produit 50 millions de tonnes d’houille, aujourd’hui 5
milliards de tonnes ce qui signifie que l’exploitation des ressources
naturelles devient un nouveau monde dans lequel la nature disparait au profit
d’un environnement entièrement humain.
b-Technophilie et technophobie
« Nous
pouvons regarder les choses humainement car elles se tournent humainement vers
nous ». Hegel signifie ainsi
que l’ouvrage de l’homme sur la nature façonne la nature à l’image de l’homme.
Ainsi où que nous regardons nous trouvons la technique. Les enjeux de la
conquête de la technique sont ceux de la même civilisation. Vendre un
frigidaire au Burkina Faso n’implique pas immédiatement le bien des
populations. Ici nous sommes face à un calcul technique, le frigidaire suppose
la centrale hydraulique, la construction des voies de communication d’énergies,
la sécurisation de ces voies, bref c’est un monde complet qui est vendu avec le
frigidaire, un mode de vie qui suppose la suppression des cultures des pays. Le
cadre technique est devenu aujourd’hui un cadre opérationnel qui se trouve
normalisé par la loi, la LOF qui prévoit d’augmenter les instruments techniques
pour le pilotage des grandes administrations. Ici nous entrons dans une
politique du chiffre où les indicateurs deviennent les instruments de la
navigation technique. La particularité aujourd’hui n’est plus une donnée que
l’on pourrait évacuer, elle suppose une compréhension géostratégique. On se
souvient de C. Bernard qui est alors président du comité d’éthique qui
racontait comment la Suisse avait géré le problème de la maladie du goitre. En
ajoutant des sels minéraux dans l’eau publique sans informer la population, ce
qu’un pays démocratique peut faire pour le bien, on peut imaginer les
possibilités pour un régime dictatorial. Nous avons aujourd’hui technicisé la
chaine de commandement nucléaire, nous sommes en large part tributaire des
techniques sous le gouvernement d’Obama. L’utilisation des drones armés de
missiles est passée en arsenal de 30 à 2000 aujourd’hui. De même que les
casques des pilotes de chasse sont commandés par les impulsions électriques du
cerveau, pour optimiser la concentration les pilotes sont placés sous
amphétamine. La technophilie pense que tout espoir viendra de la science
remplaçant ainsi la religion par une pensée du tout technique animée par l’idée
de progrès. La technophobie au contraire refuse les fruits de l’industrie et
plaide pour un retour à la nature. La question de la technique ne se pose plus
aujourd’hui, notre environnement y compris notre environnement de travail
s’étant adapté à cette nouvelle donnée culturelle incontournable.