Philosophie

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lundi 25 février 2013

L’Etat est-il le seul moyen d’établir la concorde ?





Corrigé de dissertation : L’Etat est-il le seul moyen d’établir la concorde ?

Intro : L’Etat est une notion difficile à définir car la perception qu’on en a varie en fonction de ses modalités et du point de vue duquel on le considère : il est aussi bien puissance commune et protectrice, que puissance souveraine à laquelle on se soumet, pouvoir législatif que l’on reconnaît, puissance totalitaire qui peut assujettir. Aujourd’hui les interrogations sur l’Etat semblent converger dans la question de la juste mesure. L’Etat est-il en excès parce qu’il opprimerait l’individu, ou en défaut, submergé par les échanges de la société civile ? A ces questions, il ne peut être répondu qu’à partir de l’analyse de la fonction de l’Etat. La nécessité de l’Etat est logiquement déductible de sa fonction. Ainsi, l’Etat n’est-il pas le moyen de réguler et de pacifier les rapports entre les hommes, d’instituer la concorde ?

I.                          L’Etat a pour justification la concorde qu’il institue
A.                L’état de nature est, selon Hobbes, l’état de la guerre de tous contre tous (Le Léviathan)
B.                Pour pacifier les rapports entre les hommes, il est nécessaire de céder son droit naturel à un souverain. On échange alors sa liberté contre sa sécurité ou une liberté absolue illusoire contre une liberté réelle et restreinte (Hobbes et Rousseau)
C.                L’état a donc pour fonction d’établir la concorde mais il suppose un contrat c’est-à-dire finalement, une sorte de concorde préalable à celle qu’il pérennise. Paradoxalement, l’Etat est aussi établi par la concorde



2.                          L’état n’établit pas la concorde, au contraire il l’entrave ou pérennise la violence
L’Etat suppose donc à certains égards la concorde. Rien ne dit que l’état de nature par ailleurs soit un état de guerre. Selon l’hypothèse de Rousseau, à l’état de nature, les hommes sont dispersés par le besoin. Ce sont les passions qui rapprochent les hommes, et l’Etat est le fruit d’un accord des volontés qui fait accéder l’homme naturel à son humanité.
A.                La concorde produite par l’Etat peut n’être qu’une illusion voire la dissimulation d’une discorde essentielle et menaçante. L’Etat est l’organe de la classe dominante, il donne une forme juridique et institutionnelle à la domination. Il conviendrait en conséquence, de se défier de l’impression trompeuse de concorde que suggère la pseudo-universalité des lois. (Marx)
B.                L’Etat semble sinon une menace pour la concorde du moins l’entrave d’une harmonie qui s’instaurerait bien mieux sans lui. Le système de la liberté naturelle qu’il faut restaurer contre l’Etat est une meilleure garantie de la paix, dès lors que l’on juge les échanges naturels et la nature providentielle ( théorie de la main invisible d’Adam Smith)
C.                 Pour maintenir la concorde , il faut donc viser la disparition  de l’Etat : si le prolétariat s’empare de l’Etat, c’est à terme pour le faire disparaître. En supprimant les classes sociales, on supprime la cause de l’Etat (Marx). Du point de vue des libéraux, c’est l’Etat qui empêche la concorde d’advenir, d’où la nécessité d’une extinction ou réduction de l’Etat.
Cependant, cette extinction ne saurait être complète puisque l’Etat conserverait précisément ces fonctions régaliennes qui visent le maintien de l’ordre et de la paix, et semblent indiquer une déficience de l’ordre naturel.



3.                        Si l’Etat ne peut disparaître, doit-il nécessairement viser la concorde ?
A.                La question présuppose en effet que la concorde soit l’objectif visé par l’Etat. Mais qu’en est-il d’une concorde obtenue au prix de la justice ? Rousseau remarque qu’on vit en paix dans les cachots, et que les compagnons d’Ulysse vivent bien dans l’antre du cyclope… avant d’être dévorés (Contrat Social, livre I, chapitre 4).
B.                L’Etat du reste ne saurait suffire au maintien de la paix, car il entre avec les autres Etats dans un état de nature qui est le plus souvent un état de guerre. Il faut donc viser une concorde entre les Etats par une sorte d’Etat des Etats, par exemple la SDN qu’évoque Kant dans Idée d’une Histoire au point de vue cosmopolitique. En ce sens, la concorde ne peut plus apparaître comme une réalité effective. Lorsqu’elle n’est pas purement une illusion dangereuse, elle reste un idéal, un horizon, un concept régulateur. (une Idée au sens kantien)
       C          Pour atteindre cette concorde idéale, l’Etat doit préalablement offrir les conditions qui  rendent         son avènement possible. Par l’éducation et l'élaboration de lois justes les hommes peuvent devenir sages. S’ils l’étaient déjà, ils pourraient s’accorder sans le secours de l’Etat. L’Etat n’est donc que le moyen indirect de la concorde, son moyen par défaut. Mais la véritable concorde assurée par un Etat ne peut se manifester que dans la possibilité ménagée à la discorde, entendue comme différend. La paix, au fond, n’est-ce pas la possibilité de la dispute quand celle-ci est la promotrice de la liberté et du progrès?

dimanche 17 février 2013

Faut-il prendre ses désirs pour la réalité ? / introduction rédigée



 A la question "faut-il prendre ses désirs pour la réalité?" nous répondrions d'abord que nos désirs visent forcément le réel, il s'agit d'atteindre quelque chose ou quelqu'un qui aujourd'hui manque dans notre existence. Mais prendre ses désirs pour la réalité est aussi une position critique où il est possible d'échapper à son environnement et aux autres, comme le fait de rêver éveillé ou de ne pas prendre suffisamment conscience des choses. Comme si le réel était le premier ennemi du désir. Or ce dernier semble plutôt être entièrement structuré autour de la réalité : le désir me montre d'abord un objet qui est possible puisqu'il occupe mon esprit et provoque une tension de tout mon être vers lui. Alors l'impossible est peut-être la forme provisoire de la réalité lorsque ce dernier est dans cette phase stratégique de découverte de son objet. Le désir ne se contente pas d’espérer mais il agit, il vise, il construit, il invente. Peut-être même que le réel n'est que  la partie émergée du désir, ce qui laisse penser alors que le réel est une création du désir, son reflet et non son ennemi. Le principe de réalité devenant un principe "désirant".
Pour traiter cette question nous poserons d'abord que prendre ses désirs pour la réalité équivaut à prendre "des vessies pour des lanternes", signe d'une confusion et d'une errance du sens et de l'esprit. La maîtrise des désirs étant la première étape vers une connaissance de la réalité qui est proprement humaine : devant l'impossible mieux vaut "changer l'ordre de ses désirs plutôt que l'ordre du monde". Mais en même temps il nous faudra convenir que la réalité prend souvent la destination du désir, nous voulons, croyons, prions... n'est-ce pas cela qui forme la matière du réel ?  Peut-être nous faudra t-il convenir que nos désirs constituent la réalité, qu'ils en sont l'étoffe dont nous nous parons chaque jour et qui dès lors nous laisse inassouvi et insatisfait. Alors nous devons peut-être constater que la réalité ne possède pas de statut d'autonomie par rapport aux désirs, le sol de notre perception n'est pas le réel mais le désir lui-même qui nous permet de voir les choses avec un œil plus acéré et critique : qui permet de fabriquer un "tableau" du réel, de se le figurer. Le réel devient alors une invention du désir, un avatar qui prend une forme sérieuse alors qu'il est tissé d'ombres : son sol est celui des passions qui agitent les hommes.


















vendredi 15 février 2013

Rousseau, le contrat social / analyse complète



Rousseau, Du Contrat Social.






Introduction :

Le Contrat Social prend une place particulière dans l’œuvre de Rousseau, il se fabrique à partir de l’échec de la constitution d’un homme. Faire un homme c’est tout l’ouvrage de l’Emile ou de l’éducation à travers son précepteur, parvenir à éduquer un homme dans le respect de la Nature, parvenir à faire un homme délivrer de la corruption de cette société qui s’est inaugurée sur un mauvais principe : celui de l’amour-propre, de l’égoïsme, chacun se mirant dans le regard d’autrui pour se trouver : cette passion malheureuse porte avec elle la jalousie et l’orgueil. Or le principe organisateur de la société devrait être la pitié, la bonne passion est d’abord un amour de soi : moment d’un bonheur simple que Rousseau tente de ranimer par le biais d’une ode à une nature qu’il tente sans cesse d’approcher dans Les rêveries du promeneur solitaire comme dans L’essai sur l’origine des langues ou encore sous une forme plus «ethnologique » dans Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

Dans tous les cas il y a un rapport solitaire de l’homme avec la nature, il y aurait ainsi une forme de contingence dans le passage à la société civile : c’est le besoin – cette nécessité qui presse l’homme de s’allier aux autres hommes pour faire échec à une double menace 1) il y a un avarice des produits de la nature qui menace l’homme de mort 2) la prédation des animaux ne peut se trouver freinée que par l’alliance des hommes. Dans les deux cas la technique accompagne le mouvement d’unification des individus.

Cette simplicité du contact à la nature on la trouve dans les rêveries, une promenade est l’occasion de faire un avec les éléments, se promenant sur les hauteurs de Genève Rousseau pose un rapport de fusion avec le lac. Cette cinquième promenade est le moment de la reconnaissance d’une unité entre l’homme et la nature. Mais ce contact est aussi une chimère, elle n’est pas même l’état passé de l’homme, elle est son état rêvé. La nature nous préviens Rousseau est une chimère, un concept, une idée qui possède une fonction régulatrice. Elle permet de poser un état non corrompu qui engage un critique de la société présente.

Il faut un détraquement de l’histoire de la nature pour que le rapprochement des hommes arrive, en effet l’Etat de nature suppose l’isolement. Pour parvenir à satisfaire ses besoins l’homme doit fuir ses semblables. Chacun se suffit à lui-même. Si les circonstances contraignent le besoin à agir contre son essence, qui est la séparation, alors la société naît mais elle est mauvaise. C’est l’histoire de cette corruption que raconte Rousseau dans le second discours. La contrainte du besoin inaugure une civilisation du malheur.

« Toutes les actions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre  force à se fuir. Ce n’est ni la faim ni la soif, mais l’amour, la haine, la pitié, la colère qui leur ont arraché les premières voix », dans L’essai sur l’origine des langues Rousseau dresse le portrait des passions comme créatrice de tous les rapports. Elles sont rassembleuses ou hostiles, mais les hostilités qu’elles éveillent sont encore des liens sociaux. Lorsque l’homme devient un être de passion il existe avec ses semblables : chacun devenant une part sensible de lui-même. La passion est l’expérience en même temps que l’épreuve de notre communauté de nature. C’est donc sur les passions que l’homme doit agir : « Tous les établissements humains sont fondés sur les passions humaines et se conservent par elles »  Lettres écrites de la Montagne. Il faut donc réunir les hommes sur un mode passionnel de rassemblement et non sur le besoin qui porte avec lui la mort de la société. C’est la pitié qui doit servir de modèle : la tâche du Contrat sera de faire que l’extension de cette passion ne conduise pas à l’opinion. Il devra organiser le lieu proprement public comme un nouvel espace naturel. Rousseau prend soin de distinguer entre la nature de l’homme et sa condition. La condition de l’homme recouvre la contingence malfaisante de son origine, l’efficacité du besoin à « ouvrir » l’histoire. Une inauguration pleine de fureur et de cris. La nature de l’homme est son aptitude passionnelle à envelopper la mauvaise contrainte du besoin dans les liens de l’affection sociale. Cette affection prendra pour nom dans et à partir du Contrat Social : la loi. Si la nature de l’homme est intrinsèquement bonne, la condition humaine est intrinsèquement mauvaise. Le Contrat social est la tentative pour faire retrouver à l’homme sa dignité – il s’agit pour Rousseau de fabriquer un citoyen qui possède toutes les vertus que l’on trouve dans la nature sans une intelligence pour les saisir. « L »homme est à naturaliser » écrivait Nietzsche dans l’aphorisme 109 du Gai Savoir. Le projet est le même pour Rousseau, la nature n’est pas derrière mais devant, l’homme doit s’inventer dans le cadre d’un espace législatif qui reconnaisse la valeur de chaque homme d’abord parce qu’il est homme. L’écriture de Rousseau devient alors un pamphlet cinglant contre ce règne de la force qui est celui de la monarchie. Il faut dégager des formes anciennes et imparfaites l’Etat de la modernité. L’effort de Rousseau sera alors d’établir la loi et le principe de chaque société : « ainsi loin de détruire tous les gouvernements je les ai tous établis » Lettres écrites de la Montagne. L’Etat ne peut se comprendre que par une doctrine : de même que pour Aristote les monstres sont des formes qui n’accèdent pas à leur pleine réalisation, de même les sociétés despotiques sont des monstres dans le Contrat social, mais on peut y deviner la forme de la légitimité et du droit. La condamnation de la société intervient non par morale mais par défaut d’accord logique du régime politique avec ce que l’esprit connaît de la logique et de la pensée.




Commentaire du texte de Rousseau extrait du Contrat Social

Dans ce texte, Rousseau développe les conséquences sur l’homme du passage de l’état de nature à l’état civil ainsi que le bénéfice qu’il en tire. La nature humaine, définie par sa perfectibilité, s’accomplit véritablement dans et par la société. Ce n’est pas la société comme telle qui corrompt l’homme mais une société reposant sur la force et le pouvoir monarchique. Il faut donc que le peuple s’unisse par un contrat par lequel il échangera une liberté illimitée contre une liberté garantie par les lois positives, et gagnera une liberté morale. Dans un premier temps, Rousseau décrit le changement que produit en l’homme la sortie de l’état de nature. Puis il analyse le gain de la société civile en dépit des sacrifices qu’elle requière.

1.  Description du changement de l’homme soit de l’accès à l’humanité
Rousseau évoque au début du texte l’état de nature, fiction théorique destinée à faire comprendre la nature des lois légitimes. Dans le Second Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, il a donné une description de cet état de nature : un état où les hommes sont dispersés par le besoin, c’est-à-dire où, à la différence de la conception de Hobbes, les hommes ne sont pas contraints de s’assembler pour échapper à la violence. La société n’est pas un état auquel l’homme aboutirait naturellement, ainsi que le pensait Aristote, qualifiant l’homme de « zoon politikon » (animal politique). Chez Rousseau, les causes de la société civile ne sont pas inscrites dans la nature de l’homme, elles sont extrinsèques. L’avarice de la nature, la protection contre les prédateurs, tels sont les motifs de  l’institution de la société. Cependant l’auteur ne s’intéresse pas ici aux causes de la société mais aux changements qu’elle induit en l’homme. C’est dans la société en effet que l’homme accède à la moralité, ce dont il est permis de déduire que l’état de nature est proprement amoral. Il n’y donc pas de justice avant les lois positives. Rousseau évoque la naissance de la conscience morale, telle une voix qui se fait entendre en chacun. La conscience n’est pas une voie, un chemin, mais une voix qui introduit une sorte de dualité dans le sujet. On songe au démon de Socrate qui le dissuadait parfois d’agir, et surtout à la belle définition platonicienne de la pensée : le dialogue silencieux de l’âme avec elle-même. La conscience morale apparaît comme une relation du sujet à lui-même soit littéralement une réflexion. Rousseau oppose termes à termes une série de notions : justice, devoir, droit et raison succèdent, se substituent à l’instinct, l’impulsion physique, l’appétit, aux penchants. Dans l’état de nature, l’homme est isolé des autres, il est conduit par l’amour de soi ou le désir de sa propre conservation. C’est pourquoi la société entraîne un changement de regard, presque une périagogé, non pas comme chez Platon vers les Idées, mais tout simplement de sa propre personne vers celle des autres. En quittant l’égoïsme qui suit de son isolement, l’homme dépasse la singularité de son point de vue et accède à l’universalité de la raison.
Mais le vocabulaire de Rousseau indique la contrainte plutôt que le choix. Tout se passe comme si l’évolution de l’homme n’était pas le fruit de sa liberté mais la liberté son effet. Les avantages que l’homme doit trouver dans la société ne peuvent lui apparaître clairement tant qu’il n’a pas été modifié par elle. Seul l’homme accompli, l’homme finalement, est juge de ces bénéfices. Voilà peut-être la raison pour laquelle l’homme ne se pense pas l’origine de ce que pourtant il initie (il est « forcé »). C’est tout le problème du contrat social que de savoir si la raison en est la cause ou le résultat. Elle est en effet posée comme une disposition naturelle qui trouve dans la société la condition de son actualisation. Toutes les facultés enveloppées s’y développent, car la nature de l’homme n’est autre que sa perfectibilité.
Toutefois, ce n’est pas toute forme de société qui peut accomplir la nature de l’homme. Rousseau par le terme allusif « abus » désigne vraisemblablement le pouvoir monarchique, et tous les régimes qui en appellent à l’intérêt des hommes et non à leur raison, les maintenant ainsi dans ce que l’auteur qualifie d’esclavage des appétits. L’homme corrompu devient pire encore que cet animal « stupide et borné ». Car l’animal aussi stupide soit-il, est dénué de méchanceté tandis qu’une société mauvaise corrompt en l’homme sa passion primitive la pitié et le rend finalement « bestial ». Quoique certaines lois puissent donc dénaturer l’homme, Rousseau ne peut assimiler l’homme naturel à un animal stupide et dans le même temps inviter à demeurer dans cet état. La nature de l’homme est un rêve plutôt qu’un regret : « L’homme est à naturaliser » (Nietzsche, Le gai savoir, aphorisme 105). La sortie de l’état de nature est irréversible, on n’y peut revenir. Le paragraphe s’achève sur l’assimilation de l’homme et de l’intelligence qui devient sa propriété fondamentale.

II- passage de la liberté naturelle à la liberté civile
Dans ce deuxième paragraphe, Rousseau évalue les bénéfices du passage à la société civile. La balance qui symbolise d’ordinaire la justice, renvoie ici à l’exercice d’une pensée qui pèse et établit des rapports. C’est par le contrat social que l’homme passe de l’état de nature à l’état civil. Chacun renonce à sa liberté naturelle, et l’opération est rigoureusement réciproque. Dans la négative, celui qui a abdiqué sa liberté se trouverait à la merci de celui qui ne s’est pas dessaisi de son droit. L’accord de tous est une condition nécessaire du contrat mais suppose que l’homme soit d’ores et déjà en mesure d’écouter sa raison. Seul un homme déjà éclairé peut envisager le calcul que nous restitue Rousseau. Il y a lieu de se demander, dès lors, si le contrat est tout simplement possible.
Comme l’affirme la première phrase du chapitre 1, « l’homme est né libre et partout il est dans les fers ». L’homme possède donc des droits par nature dont les lois positives devront devenir garantes. Si la liberté est constitutive de l’homme, il n’est pas vraisemblable que nous devions y renoncer. Renoncer à sa liberté, ainsi que le souligne l’auteur plus loin, ce serait renoncer à sa qualité d’homme. L’homme ne perd donc pas sa liberté comme telle mais sa liberté naturelle c’est-à-dire sa liberté illimitée. Une liberté absolue qui n’est pas assortie d’une puissance absolue qui permette d’en jouir, est de peu d’intérêt. La propriété privée que l’état civil institue, est la reconnaissance que tout ne m’appartient pas mais que ce que je possède m’est garanti. La propriété est donc par définition limitée. C’est la volonté générale qui désigne chez Rousseau l’intérêt commun, c’est-à-dire la volonté émanant du corps civil lorsqu’il est appelé à se prononcer sur cet intérêt général, qui détermine les règles, les bornes qui rendent la liberté réelle quoique restreinte, et stabilise les possessions. Le droit se substitue à la force et le hasard que représente la première occupation. Ce sont les conventions qui confèrent des droits à l’homme et finalement l’humanisent.
L’homme perd donc par l’état civil, l’avantage, à vrai dire fictif, de son droit sur toutes choses, et son indépendance à l’égard d’autrui. Mais d’une façon assez paradoxale, c’est précisément en perdant cette indépendance que l’homme accède à l’autonomie. Car c’est en lui que s’effectue la conversion principale. Rousseau clôt sa démonstration sur une définition de la liberté véritable désormais entendue comme autonomie : l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite. Cette définition qui place la liberté dans l’obéissance n’est pas paradoxale si l’on garde à l’esprit l’origine de ces lois. L’individu, comme le peuple dans la démocratie, est à la fois sujet et souverain de lui-même. Il est législateur parce qu’il est raisonnable et capable à ce titre de s’arracher à la tyrannie de l’instinct et de l’appétit. Il est sujet parce qu’il doit obéir à cette loi en sacrifiant son intérêt particulier. La définition de l’autonomie et la perfectibilité de la nature humaine sont des thèses que l’on trouve sous une forme presque similaire chez Kant. L’accent est cependant mis sur la nécessité des conventions pour faire surgir cette liberté intérieure, tandis que chez Kant, la loi morale est un fait de la raison qui semble indépendant de toute institution.

Dans ce texte, Rousseau montre les avantages de la société civile pour l’individu qui, bien qu’il ait renoncé à une liberté illimitée, devient un homme véritable, c’est-à-dire un être pensant et moral. Il dénonce par une allusion les méfaits des régimes qui dénaturent l’homme, le corrompent en rétablissant dans la société le règne de l’intérêt propre et de l’appétit qui ne pouvait causer autant de dommages dans la dispersion de l’état de nature. L’état de nature n’est donc pas un idéal dont il faudrait déplorer la perte, mais un état destiné à être dépassé pour qu’advienne l’homme. L’humanité n’est pas une donnée, non plus que la raison et la liberté qui en sont les attributs, mais une conquête, et le politique, selon le régime, sa condition de possibilité.





Analyse des chapitres :

Chap. II

Rousseau rappelle que la « plus ancienne société est celle de la famille », il rejoint ici La politique d’Aristote avec cette différence notable que ce dernier posait que le passage de la famille au clan, puis à la tribu enfin à la société n’était que l’extension d’un principe initial de gouvernement qu’était la force. Ainsi le roi se trouve t-il être le père – l’origine naturelle de la famille se trouvant être le gage d’un gouvernement naturel par le monarque. Au contraire Rousseau brise le lien entre nature et convention – les enfants sont liés aux parents durant le seul temps de la dépendance, ils retrouvent ensuite l’indépendance et ne gardent contact avec leurs parents que par un acte de volonté que l’on nomme alors convention. Ici Rousseau reprend Locke qui dans son « essai sur le gouvernement civil » écrit les liens de la sujettion des enfants sont semblables à leurs langes et à leurs premiers habillements, qui leur sont absolument nécessaires à cause de la faiblesse de l’enfance. L’âge et la raison les délivrent de ces liens, et les mettent dans leur propre et libre disposition » (§14). La famille n’est donc plus naturelle mais conventionnelle – ce sont les hommes qui décident de la conserver – aussi elle ne peut servir d’alibi naturel à l’exercice de la force car « le droit que les pères ont de commander à leurs enfants ne subsiste qu’un certain temps » (ibid). Au contraire Rousseau met en avant la conservation de soi comme moteur de l’activité et ressort de l’identité naturelle. Ainsi chacun se trouve t’il être dans un rapport à lui-même où il doit privilégier sa propre survie. L’aliénation de liberté n’y est que partielle et vise à cette conservation – le père joue bien dans ce cadre le rôle du chef mais seulement provisoirement et de plus la différence avec la fonction politique réside dans l’amour que « le père porte à ses enfants » et que le roi remplace par l’intérêt. Le chef est sans amour pour le peuple, il ne peut donc revendiquer le statut du père. Sa critique de la monarchie prendra toute sa force dans la fin du chapitre. Déjà dans Emile ou de l’éducation Rousseau indiquait que pour fonder un vrai rapport de l’homme à lui-même il faudrait qu’il soit son propre maître, une formation par la nature elle-même permettant d’en comprendre le sens et aussi de se découvrir soi-même. Ayant abandonné l’idée d’un homme qui ne soit pas en même temps un citoyen, Rousseau refuse de confier le rôle d’éducateur à un monarque qui tire son pouvoir seulement de la force et non du droit.
Il poursuit par la critique de Grotius, qui avec Pufendorf et Helvétius, sont des tenants du droit naturel. Les jurisconsultes justifient la domination des rois par le rappel d’un transfert de puissance de Dieu vers certains hommes : « certains hommes sont nés pour dominer, d’autres pour être dominer » (Aristote). La critique de la force fera l’objet d’un traitement spécifique au chapitre suivant (chap.3, « du droit du plus fort ») ? Il ne peut y avoir aucun gouvernement qui fonctionne sur le modèle naturel de la famille sans s’obliger lui-même à reconnaître l’indépendance de « ses enfants », or le pouvoir monarchiste ne reconnaît jamais ni la liberté ni l’émancipation du peuple. La réfutation de cette thèse d’un lien entre gouvernement monarchiste et pouvoir paternel est inscrite par Rousseau dans le Discours sur l’inégalité. La reprise littérale de Grotius dans droit de la guerre et de la paix vise à le ranger du côté des « fauteurs de despotisme », Rousseau assimile Hobbes à cette pensée. Ici il faut souligner que l’animosité de Rousseau à l’égard de Hobbes est en partie non fondée, il est impossible de trouver chez Hobbes une défense de la monarchie en dehors de propos circonstanciés qui pensent une coïncidence entre le roi et ses sujets au regard d’un intérêt commun. Rousseau combattra cette thèse au livre III, chap.VI. L’argument de Grotius est que l’esclave lui-même demande le maître, le peuple serait perdu sans un monarque. Rousseau affirme au contraire qu’il n’y a des esclaves que parce qu’il y a des maîtres. C’est la force qui fait les premiers maîtres et non le droit, c’est une prise de pouvoir illégitime qui provoque l’esclavage. L’argument de la légitimité du pouvoir par hérédité est absurde pour Rousseau, su nous descendons tous de ces 2 premiers êtres que sont Adam et Eve alors parce que nous sommes tous leurs fils et filles personne ne peut prétendre à une préséance plus grande. Fils du roi Noé chacun peut se prétendre également héritier du trône et fondé à le revendiquer.

Chap. III

Ce chapitre est consacré à une critique de la formule « droit du plus fort ». Rousseau  reprend l’argument selon lequel la puissance fait droit pour en montrer l’absurdité.

Force --------------) Force
Devoir-------------) Droit

La force n’engendre jamais que de la force, seul le devoir produit du droit. Souvent la force prend le masque du droit pour faire de l’obéissance un devoir. Car il faut faire en sorte que les hommes obéissent pas par force mais par devoir cad par une volonté propre.



Chap. V

distinction association / agrégation

agrégation = dans un simple agrégat les hommes n’ont d’autre lien que leur commune servitude, le rassemblement est contraint par la force et la peur.

association = suppose une intention commune et une volonté générale, il y a dans une association un but et un objectif – bref une conscience – l’adhésion est alors volontaire et non plus forcée.

Le tyran même en devenant maître du monde reste et demeure un particulier. Le passage du maître au prince est celui de la force au droit, son expression dernière étant celle du passage de la monarchie à la république (res-publica = chose publique ou bien commun). C’est ici la différence entre particulier et général. Gouverner = réunir sous le même vocable le peuple et la souveraineté, afin que ne demeure pas la division entre le gouvernement et le peuple. Différence ici entre soumettre et régir : soumettre = force = suppression des libertés au profit d’une dictature ; régir = gouverner, la soumission s’adresse à une multitude cad que cette masse n’est pas organisée, régir = réfléchir les conditions de cette union vers un but commun.

Rousseau interroge la proposition d’un premier vote nécessaire pour s’accorder sur le fait de voter, car « comment  100 peuvent avoir raison contre 10 ? », déplacer du côté de la cession de sa liberté à un monarque : « d’où cent qui veulent un maître ont-ils le droit de voter pour dix qui n’en veulent point ? ».

Ainsi dire que le peuple se donne au monarque = inscrire qu’il y a une convention avant l’institution de la monarchie – c’est donc librement, « démocratiquement », que les hommes auraient renoncer à la liberté que pourtant ils pouvaient saisir puisque précisément ils sont en situation de suffrage universel. Démonter le mécanisme du faux semblant des jurisconsultes = prouver que la monarchie est l’effet d’une usurpation, d’un vol, d’une force et pas d’un droit.

Chap. VI

Détermination des clauses du contrat après le bref rappel de ce qui provoque le passage à la société civile :
1°)       la prédation des autres espèces animales contraint l’homme à chercher son semblable pour survivre et résister, le regroupement est donc d’abord une stratégie de l’espèce elle-même afin de ne pas disparaître. Ici on peut poser que la « raison » ou l’intelligence comme mode spécifique à l’homme est une direction de l’espèce humaine pour ne pas disparaître, l’intelligence comme choix de l’espèce pour contrer les autres prédateurs.
2°)       l’avarice de la Nature est aussi ce qui pousse l’homme au regroupement afin de mettre en commun les fruits de son travail et aussi assurer en commun la sécurité. Si le tout est supérieur à la somme de ses parties alors il y a un gain dans le passage à la société civile qui produit un nouvel organisme capable de se défendre avec plus d’efficacité comtre les agressions des corps extérieurs ou étrangers.

Les clauses du contrat se ramènent toutes à une seule : l’aliénation totale de tous les droits du contractant au profit de tous, mais comme tous font la même opération rien ne se perd et personne ne se trouve lésé. On retrouve cette formulation, « un pour, tous pour un », il s’agit de produire une alliance des volontés où chacun se trouverait dans la situation d’exprimer l’universel. Il y a production d’un sur-corps, d’un nouvel organisme ou chacun serait en même temps lui-même et les autres. 

C’est la formation de la volonté générale, la VG est plus que la simple majorité qui n’est jamais qu’une expression quantitative, 51% l’emportent sur 49%. Ici la VG est quantitative mais aussi qualitative : chacun à volontairement contracté et renoncé de ce fait à un droit illimité sur toute chose au profit d’une liberté réduite mais certaine. C’est donc un individu universel qui se trouve derrière le contrat – c’est pourquoi  il y a une assurance sur le vote que l’on ne trouve pas en dehors. Chacun conclut un pacte avec la communauté toute entière et non pas d’individu à individu : Chaque individu en s’abandonnant totalement  à la communauté ne se donne à personne en particulier. Lorsque le citoyen vote la loi il mesurera toujours que cette loi s’appliquant à tous s’appliquera à lui-même, ne voulant pas d’une règle préjudiciable pour lui-même il ne cherchera pas à la rendre préjudiciable aux autres. Rousseau pose que cette VG ne doit pas subir de fractionnement, l’interdiction de des partis est le résultat de cette volonté de maintenir l’union de tous autour du vote.

L’idée est ici qu’il ne faut pas dépendre d’un homme mais seulement de la loi.

Le pacte est donc à la fois l’acte constitutif de la communauté en même temps que cette communauté est déjà en place pour permettre ce contrat.

Chap VII  


L’obligation est totale car le fait de s’être engagé envers le tout ne permet d’annuler le contrat, lorsque l’on s’engage envers un particulier on peut se défaire de son engagement au motif d’un changement des rapports ou bien d’une division des volontés : ici le contrat est toujours ce qu’il doit être.

Autant le contrat engage envers la chose commune autant la chose commune ne peut être liée à moi qu’autant que je suis en accord avec la VG : elle est une loi inaltérable qui ne peut être comprise seulement que comme une addition des volontés --) elle est le résultat de l’accord des volontés et d’un contrat qui place le souverain (cad ce tout) du côté d’une volonté « une et indivisible ».

Le contrat ne vaut pourtant qu’aussi longtemps que les volontés de tout le corps : le souverain est formé de tous les particulier qui le composent.

Celui qui tente de se dérober aux devoirs du Contrat se verra l’imposer par la contrainte : la prison est le moyen de faire revenir l’homme au devoir et à la raison. Elle a pour fonction de « forcer à être libre ».

Chap VIII

Tout le 1er paragraphe est consacré à l’Etat de Nature et au rappel de l’intérêt du passage à la ste civile :
Substitution dans sa conduite de la justice à l’instinct        .
Consulter sa raison avant d’écouter ses penchants
Ses facultés s’exercent et se développent, son âme s’élève
Le moment de cet arrachement est « un instant heureux »
Passage d’un animal borné et stupide à un être intelligent et un homme

Le pb est ici que ce passage s’est effectué avec une mauvaise passion, l’amour propre, et sous un mauvais principe, le besoin. Ainsi la ste civile s’engage dans la voie de la corruption et « le dégrade souvent en dessous de la condition dont il sort » à l’h est mauvais dans l’histoire, c’est cela qu’il faut modifier, il faut « naturaliser » l’h cad renouer avec la pitié naturelle et conserver l’intelligence de la ste civile : cela ne peut se faire que par le contrat social cad par la citoyenneté et le pouvoir de la loi au-dessus des hommes.

Distinction entre possession et propriété
Possession, = droit du premier occupant cad droit par force = seulement de la force et une spoliation de tout le genre humain
Propriété, suppose un acte positif et une répartition qui peut se faire par le travail par ex, ds la lignée des libéraux comme Locke, un droit qui se limite à mes propres forces, à ma capacité de travail : ex de la terre à une terre qui puisse subvenir à mes besoins et pas au-delà..



dimanche 20 janvier 2013

La religion / cours pris en notes par une élève




La religion

   

La religion : « la religion porte-t-elle l’Homme a accepté ou refusé sa condition ? »


Introduction :

Tout d’abord, poser la question de la religion s’est méconnaître la pluralité des religions et au cœur même du monothéisme des divisions. Le judaïsme est une religion de l’élection qui suppose l’identification historique à un peuple. Le christianisme prétend à un homme universel qui renvoie à une religion elle-même universelle. L’islam pose la foi dans une communauté. Le protestantisme apparaitra à partir du XVIème siècle comme une religion où le succès individuel est la marque d’une élection divine. Tandis que ces religions adorent un Dieu, le bouddhisme n’engage pas la croyance vers une divinité. Les trois grands monothéistes pensent un paradis tandis que le bouddhisme pense qu’il n’y a rien de mieux au-delà que dans l’effectuation de cette existence selon des règle monacales. Le bouddhisme se subdivisant en bouddhisme japonais, chinois, tibétains. Du coté du polythéisme, nous avons l’hindouisme avec 32 Dieux principaux mais si nous comptabilisons la totalité des Dieux domestiques nous arrivons en Inde à 2 millions de dieux différents. 

L’animisme (« anima »  âme, animation) = doté un objet d’une puissance et d’une volonté. L’animisme se retrouve, par exemple, dans le vaudou qui engage des pratiques magiques. La magie étant le fait d’énoncer une parole jointe à une action qui aura la capacité de modifier le réel. La parole magique est incantatoire. Le langage par une combinaison spécifique permettrait d’atteindre un objectif. Ainsi le philtre d’amour est en même temps qu’une potion, une incantation. Il s’agit en fait de minimiser le poids de la matière, celle utilisée pour constituer la potion par une parole qui devient le socle réel de la puissance de la potion. Dans les campagnes, les reboutes possèderaient un pouvoir par l’apposition des mains avec le pouvoir de faire sortir le feu et le mal. Ils sont donc considérés comme sorciers et en même temps que nécessaire, craints. Ils sont mis à l’écart car redoutés. Ce sont souvent des vieilles femmes célibataires qui endossent ce rôle par défaut de tout autre. 

Nous venons de voir qu’il existe une pluralité d’approche religieuse qui toutes sont différentes avec cependant, un élément en commun. Chaque religion monothéiste, polythéiste, animiste suppose l’adoption de rites. Le rites étant la construction  de paroles ou d’actes qui viennent relier l’homme au divin. La ritualisation étant la forme que prend la dévotion des hommes par rapports aux Dieux, c’est ce que nous appellerons : le sacré. Le sacré supposant une séparation d’avec le profane. Le profane c’est l’ici-bas, le sacré l’au-delà. La religion instaure un rapport de supériorité de l’invisible sur le visible. Le terme même de « relegere » signifiant le lien de l’homme au sacré, impliquant une relation directe de l’homme avec le divin. La question du rapport de la religion à la condition humaine est biaisée (= corrompu) car le refus par la religion de l’acceptation d’une humaine condition. En effet, la religion est du coté d’une nature, d’une essence qui exclu l’existence. Pour la religion la vérité est ailleurs, c’est-à-dire qu’elle inverse rapport visible/invisible, matériel/immatériel en donnant à l’immatériel les propriétés du matériel donc en rendant le monde invisible plus réel que l’existence sensible.

  

I- La religion refuse la condition humaine au profit de son essence

A-    La religion des idées ou l’inversion platonicienne 

Platon oppose la philosophie aux sophistes. Les sophistes sont ceux qui « tendent à la foule un miroir ». Les sophistes sont donc ceux qui sont éloignés du vrai, ils nourrissent leur appétit de pouvoir par une allégeance aux Dieux de la Cité. Or, Platon met en place un cosmos des idées qui éloignent de la représentation du Panthéon Grec. Les Dieux y sont jaloux, colériques, fornicateurs. Platon propose au contraire un ciel des idées qui permet de trouver l’unité du concept. Ainsi le concept de lit comprend tous les lits possibles dont ceux déjà créés et ceux à venir. Il y a donc plus dans le concept que dans aucun lit réel : c’est, dira Nietzsche « la création des arrières mondes », c’est-à-dire le fait que Platon invente des mondes en leurs donnant une épaisseur plus grande que celui de la matière. La caverne, de Platon, met en scène cet éloignement. Cet éloignement de la matière sensible, de la réalité de présence de l’objet au profit d’un invisible qui devient le monde réel. Platon dira ainsi « il faut mourir au corps pour naître aux idées ». L’existence n’est que provisoire tandis que les idées sont éternels. 

B-    La religion s’oppose à la condition humaine, elle est la création fantastique d’une essence 

Saint Paul dans l’Épitre aux éphésiens écrira : « esclaves obéissez à vos maîtres car toute autorité vient de Dieu ». Ce à quoi répondra Rousseau : « si toute autorité vient de Dieu, toutes maladies en vient aussi, est-ce une raison pour ne pas appeler le médecin ? ». En effet, le pouvoir religieux en posant un au-delà qui serait la véritable patrie comme Plotin le disait en pointant le doigt vers les cieux et en disant : « là-haut est ma patrie ». Alors l’ici-bas est déserté, c’est un lieu de souffrance provisoire à l’égal de celle du Christ sur la croix, moment de labeur et de peine, vallée de larmes où l’homme ne peut qu’adorer le Dieu en lui laissant l’entière détermination de son destin : c’est ce qu’on appelle la providence divine. Cette providence, on la trouve dans l’affirmation de Leibnitz : « Dieu sait de tout temps qu’existera un certain Jules César, destructeur de la République romaine ». Dieu est donc omniscient et omnipotent (= partout à la fois) : « le passé, comme le futur sont présent à ses yeux ». Dieu est donc le géométral (= voir tout à la fois) du temps, il ne peut en effet être soumis sans en dépendre et dans ce cas se serait le temps lui-même qui incarnerait la divinité. La question du commencement est donc une question proprement humaine qui soulève des questions elles-mêmes sans réponse. Dieu créé le monde (dans la Bible) en 7 jours, 6 jours de création et une journée de repos. On voit ici l’anthropomorphisme de la condition humaine. La projection d’un ordre social et d’une physiologie du corps vers une essence ou un Être qui en même qui n’est pas soumis à autre chose que sa volonté ne peut non plus posséder des sens et des émotions. D’où ce fatum posé par la providence que l’on peut retrouver de façon ironique c’est Chéri-bibi qui se promenant sur les berges de Paris, qui rencontrant une personne lui enfonce un couteau dans le ventre lui dit « fatalitas ». En effet, l’individu se promène, il a un ventre, lui-même a un couteau et celui-ci s’enfonce dans le ventre. C’est la même absurdité qui fera qu’après le tremblement terre de Lisbonne, il sera justifié par une volonté divine qui a dû s’abattre sur une ville pêcheresse. Sade dira alors « dans ce cas si je vois une personne se noyer et que je peux la sauver, je dois m’en garder car si telle est la volonté de Dieu peut-être qu’en le sauvant cette personne en tuera dix autres ». La providence divine empêche donc l’action au moment même où l’essor des techniques nous révèle « comme maître et possesseur de la nature » (Descartes). Bergson dans Les deux sources de la morale et de la religion, distincte entre deux types de religions : une religion statique et une religion ouverte. La religion statique est liée à un territoire (qu’il soit physique ou mental), il suppose une délimitation des frontières, un cadre, des murs. Ceux-là peuvent être réels ou mentaux, c’est donc une religion étroite, bornée  qui fonctionnent sur le rejet de la différence et le sentiment de sa supériorité. Au contraire la religion ouverte est dynamique, elle reprend l’étymologie de « religare » comme lien entre les croyants. C’est au contraire une religion de peau entre les cultures et les peuples. Son objet serait l’humanité, c’est-à-dire l’élargissement des frontières. Bergson fait une critique de la religion statique comme pansement, elle occupe d’abord un espace et elle rassure ces occupants par la promesse d’un destin spécifique. Cette dernière conduit inévitablement à la confrontation et à la guerre. Bergson envisage une autre religion qui serait capable de dépasser la condition humaine par le positionnement d’une raison sensible qui nous ferrait accéder à une universalité de l’émotion que l’on peut désigner par le concept de pitié. 

C-    La transformation du réel 

Finalement ce que Bergson promeut, c’est une capacité émotive universelle qui me ferait adhérer à la souffrance possible d’autrui. D’un côté, une religion statique qui ne serait qu’un pansement provisoire appliqué sur des plaies, non pour les soigner, mais pour les cacher. Un pansement de l’âme mais non stérile. De l’autre, une religion ouverte qui aurait finalement la capacité à absorber, à transmuter les religions statiques vers un devenir dynamique. En fait, ce modèle est celui du christianisme et dans le christianisme du catholicisme. Il en tire l’exemple du criminel qui va se dénoncer à la police. Celui-ci veut qu’on le reconnaisse et qu’on lui parle comme à celui qu’il est devenu, c’est-à-dire que son acte l’a modifié et que pour réintégrer la communauté des hommes. Il veut par la confession pouvoir, non pas expier son crime, mais en être reconnu comme l’auteur. Cette position intéressante, spéculativement, rencontre pourtant des limites. En effet, le spectacle du monde au XXème siècle est en même temps que celui du développement des civilisations, le moment des génocides crimino-guerre et plus loin d’une criminalité ordinaire qui œuvre souvent dans l’impunité. Ceux qui se dénoncent sont rares, ce qui n’invalide pas la proposition de Bergson mais la rend dans les faits plus incertaine. De même la religion ouverte qu’il prône finalement se dissout ou s’absorbe dans une société qui fait œuvre de paix. Autrement dit, elle n’a pas besoin nécessairement de références à Dieu. La société civile est cette tentative pour soustraire la violence de l’espace public d’abord, puis des espaces privés. La religion dynamique peut donc se laïciser au point de disparaître comme référence religieuse. 

II- La critique de la religion : la religion nous empêche de vivre notre condition 

A-    Feuerbach ou la critique de la religion 

Feuerbach dans l’Essence du christianisme, s’attaque aux mécanismes de la religion. D’abord, les hommes en s’extirpant de la nature étaient en même temps que soumis aux forces naturelles en capacité d’en dompter certaines. Aussi, s’est-il mis à admirer ses propres qualités, aussi a-t-il objectalisé ses qualités au point d’en faire un absolu. Il a regardé le courage, la pitié, l’amour, la force, la connaissance comme des propriétés non plus relatives mais absolues. Alors il s’est mis à les regarder comme n’étant pas siennes : là commence l’adoration. L’homme s’est mis devant un miroir puis il s’est mis à adorer l’image de lui-même au point de se détacher d’elle pour la nommer Dieu. Ce sont ces propres qualités qui sont substantifiées en la personne de Dieu. Il s’agit donc au XIXème siècle de réinvestir nos propres attributs. Pour lui, nous connaissons déjà l’Enfer, c’est celui de nos conditions réelles d’existences. Nous devons sortir de l’illusion de la religion comme illusion sur notre condition : « l’homme doit devenir un Dieu pour l’homme », ce qui suppose que nous quittions une adoration extérieure d’un Dieu fabriqué vers l’adoration de notre condition humaine. Plus encore dit Feuerbach, en plaçant ces qualités en dehors de nous il nous empêche de pouvoir les vivre. L’absolu bonté du Christ fait que nous ne serons jamais assez bon. La religion produit des faux soleils, des faux mondes en nous faisant douter de la réalité de notre existence. Lorsque nous étions soumis à la crainte des éléments par superstition, nous avons commencé à honorer les forces de la nature. Il s’agissait de conjurer l’incertitude, finalement de mettre à distance la peur de la mort omniprésente. Les rites funéraires sont ainsi la première tentative pour penser un continuum au-delà de l’existence humaine, une permanence, une éternité qui irait au-delà de la corruption du corps. A partir de là, Dieu est pensable. Il apporte une éternité qui nous faisait défaut, il se construit entièrement sur la peur et l’illusion. Pour Feuerbach, cette éternité il ne faut pas l’abandonner mais la déplacer vers l’espèce qui nous garantie une forme d’éternité à travers la jonction des générations entre elles 

B-    Marx : « il faut en finir avec la foi »

« La religion est l’opium du peuple, le soupir d’une créature opprimée ». Marx pose que la religion nous fait penser que l’Enfer peut être en dehors de l’existence que nous menons. Or, l’Enfer se trouve déjà dans nos conditions réelles d’existences. Nous faire penser que l’Enfer n’est pas sur Terre mais après le jugement de Dieu, c’est nous détourner de la réalité de nos conditions. Il faut nous détourner d’une illusion sur notre situation afin de pouvoir agir dans notre existence. La modification des conditions de travail est la condition pour modifier la superstructure, c’est-à-dire l’Etat et la religion. Nous sommes dans la situation d’enfants apeurés et hébétés. La condition pour devenir adulte étant, comme Nietzsche l’affirmera, la mort de Dieu. La critique de la religion s’étend jusqu’à Feuerbach car celui-ci, finalement, maintient ce qu’il défait en transférant la foi religieuse du côté de l’homme. En inscrivant que l’homme doit devenir un Dieu pour l’homme, il n’en finit pas avec l’idée de Dieu. Pour Marx, l’homme est un homme concret, c’est-à-dire qu’il fuit les arrières-mondes, les refuses tandis que l’homme religieux est « recroquevillé » dans le monde. Il faut inverser la proposition d’une situation qui a besoin de l’illusion au profit d’un monde concret qui est, pour Marx, la seule réalité.  

C-    Freud ou la religion comme enfance de l’humanité

Marx pense que les rapports de classe fabriquent finalement à la fois l’Etat et la religion. Il pense aussi que la suppression de ces rapports de classe, qui révolutionneraient le mode de production, engageraient une refonde profonde de la superstructure, c’est-à-dire de l’idéologie et donc de la conception et de la représentation du monde. Il œuvre pour créer un homme neuf. Marx fait donc une projection non psychologique où les conditions matérielles d’existence seraient les conditions psychologiques d’existence. Or, l’homme n’est pas ce qu’il fait mais ce qu’il injecte dans le fer. Freud tente de produire une histoire des hommes qui se structure autour de la famille. La famille étant pour Freud le lieu initial de la névrose. Il produit ainsi une histoire biologique de la construction psychique. D’abord, le clan qui est la reproduction du schéma social des grands mammifères comme chez les grands singes le mâle alpha a l’exclusivité de la reproduction avec les femelles. Pour des raisons de répartitions des tâches, les hommes partent à la chasse tandis que les femmes cueillent et s’occupent du foyer. Cette organisation est d’abord poreuse mais très vite la détermination par la force devient la détermination pour le genre : les hommes chassent, les femmes cueillent. Dans le même temps, le chef de clan à le monopole de la sexualité dans le groupe. Celui-ci prend donc la place du père tout en fabriquant un sentiment de concurrence chez ses fils. Ceux-ci se ligue pour tuer le père afin d’accéder. Mais l’effet de ce meurtre va à l’encontre de son intention, c’est-à-dire qu’il provoque un sentiment de culpabilité si forte chez les fils qu’il sanctuarise le père sous la forme d’un totem. Il devient donc sacré et par la même les femmes le deviennent aussi. Désormais les hommes devront aller chercher la femme en dehors du clan : c’est la naissance de l’exogamie et finalement le cadre du rapprochement des clans vers ce qu’on nommera tribu. Pour Freud le père est ici la première figure de Dieu qui apparaît immédiatement comme figure castratrice dans l’invention d’une loi qui a avoir avec des considérations psychologiques de culpabilité et de remords. Finalement le complexe d’Œdipe n’est rien d’autre que la volonté cette fois symbolique du meurtre du père par le fils qui veut posséder la mère. En effet, l’enfant a enregistré de la mort se comprenait sous la forme de l’absence, du voyage, il va donc souhaiter le départ de son père pour partager le lit avec sa mère. L’enfant saisit très vite que sa demande est en lien avec la volonté que son père disparaisse or l’enfant aime son père, le conflit pulsionnel qui e résulte conduit l’enfant à la période latence qui est l’oubli de la pulsion sexuelle jusqu’à la préadolescence. Cette période de latence est une période de refoulement qui précède la déclaration des pathologies psychiques. Pour Freud donc la croyance en Dieu revient à cet état primitif de l’humanité où le père dans son pouvoir o=absolu devient une figure sacrée. La peur occasionnée par sa mort est directement liée au fait de se retrouver désormais livré aux forces obscures de la nature sans protection. Alors pour conjurer le sort les hommes inventent les Dieux, c’est-à-dire une protection capable de s’étendre jusque dans la mort. Les parents sont pour l’enfant la base, les fondations de son existence. Petit il les pense invincible, tout puissant et lentement cette image s’effrite : les parents sont fragiles, dépressifs… Alors sans besoin de protection se tourne vers un Dieu, le père capable d’une protection non plus relative mais absolue. La croyance en Dieu est l’enfance de l’humanité, une adolescence en crise contre l’injustice de la mort. Pour devenir libre l’homme doit s’affranchir de la religion. L’autonomie de la pensée débute avec l’atéïsme. La démonstration de Freud s’inscrit dans la même démarche que celle de dévoilement de l’inconscient, ce qui signifie que la religion finalement fait partie du mécanisme inconscient dans un registre qui serait ici celui de l’hystérie. Bien-sûr nous devons remettre en contexte la position freudienne qui se structure autour du noyau familial, de la bourgeoisie à la fin du XIXème début XXème

Conclusion : 

Les positions de Marx et Freud ont irrigué la doctrine existentialiste de la seconde moitié du XXème siècle au point de produire ce que d’aucun appelle le désenchantement du monde. Or, cette position c’est incarné aussi dans des régimes politiques qui ont tentés de suppression le religieux en interdisant les cultes. L’effondrement de ces systèmes conduit au constat que le religieux n’avait pas disparu de ces territoires mais, comme la braise, il couvait. Le XXIème siècle voit un retour massif du religieux jusqu’à des formes fondamentalistes et sectaires. Le débat sur la laïcité c’est complexifié et a vu naître aussi l’apparition d’une laïcité de combat. Aujourd’hui le débat sur le religieux est devenu inséparable d’un débat public sur la capacité à vivre ensemble en étant guidé par des idéologies différentes. Nous avons vu réapparaître le spectre des guerres de religion même si la position de l’Etat demeure en France celui d’une neutralité religieuse. La religion statique de Bergson semble toujours actuelle au détriment d’une religion de l’humanité qu’il souhaitait de ses vœux et qui ne trouve toujours pas de lieu d’accomplissement en dehors finalement de ceux qui interrogent le fondement de la religion. Dostoïevski dans Les frères Karamazov met en scène le grand inquisiteur qui marche sur la place de Tolède. Tandis qu’à l’autre bout de la place, on nomme un haillon avance, accomplissant des miracles. Le grand inquisiteur le fait saisir par ses soldats et le fais jeter au cachot. Le soir venu, le grand inquisiteur lui rend visite et en le regardant il lui dit : « pourquoi es-tu revenu ? ». Le Christ ne répond pas, il lui dit alors : «  nous avions presque réussi à accomplir ton œuvre et te revoilà. Ton message était celui de la liberté, depuis le désordre règne ». Alors le Christ s’avance et l’embrasse sur la bouche…