Philosophie

Mise à disposition d'un matériel permettant de travailler les cours de philosophie.

mercredi 4 décembre 2019





Commentaire de texte


Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […]. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.


INTRO 

Le texte qui nous est proposé à l’étude est extrait du rire de Bergson.
 L’idée générale réside dans l’affirmation que le langage nous éloigne des choses et de nos propres sentiments, il accentue l’écart entre la réalité du monde et la représentation que nous nous en avons. L’enjeu est alors dans le fait que cet écart est lui-même la conséquence d’une préoccupation humaine exclusive pour l’utilitaire. C’est le besoin qui empêcherait la conscience et le langage d’atteindre la réalité des choses et de nous-même. 
Pour ce faire l’auteur procède en trois moments. 
Dans un premier temps (Nous ne voyons…) Bergson incrimine l’aspect négatif du langage qui vient s’additionner au mouvement de la conscience pour nous éloigner des choses et du monde. Le nom commun est l’arme de cette réduction. 
Puis (Et ce ne sont...) il étend ce problème de la simplification des choses aux sentiments. C’est notre intériorité qui se trouve mise à l’écart.
Alors (Ainsi, jusque…) l’auteur pourra dévoiler l’étendue de la confusion : le langage nous place à distance des choses et de nous-même. Il nous empêcherait d’exister pleinement. 


Corps du commentaire :


Le constat inaugural de Bergson réside dans l’affirmation que nous ne voyons pas les choses mêmes : autrement dit nous demeurons extérieurs aux choses, plus fondamentalement nous sommes dans un écart par rapport au réel qui empêche sa saisie. La question qui se pose alors est celle de notre attitude par rapport aux choses : nous simplifions le réel autour de nous de façon à ce qu’il nous corresponde. Se borner signifie ici que la limite que nous portons sur les choses est celle même d’une réduction de la réalité aux besoins. C’est donc les fonctions élémentaires, boire, manger, dormir qui conditionnent notre rapport aux choses. Cette simplification du réel est donc commandée d’abord par la survie. Cela s’explique par une logique d’identification rapide des dangers : il faut d’abord viser l’efficacité et non la subtilité. La nuance est un danger dans le cas d’une survie qui commande une action immédiate et non une réflexion. C’est la vision d’ensemble qui est privilégiée et non le singulier ou le détail. Nous plaçons sur les choses des termes génériques qui permettent cette adaptation souhaitée au réel. Ces « étiquettes » sont donc des noms communs. Le nom commun permet de fabriquer du tout là où n’existe que du propre et du singulier. Dire « un chien » équivaut à nommer un genre et non une individualité ce qui est suffisant pour avoir la perception commune d’un chien. Le maître saura reconnaître son chien entre 100 de la même race. C’est l’expérience individuelle et le sentiment qui font rentrer dans le singulier et la différence. Le nom commun permet de ne voir que l’ensemble, par lui nous pouvons gommer le détail qui est perceptible seulement pour celui qui le souhaite. Ainsi l’attachement du maître pour son chien fait glisser le général vers le particulier : son sentiment d’amour pour son chien produit du singulier, du nom propre en même temps qu’une histoire des sentiments. Le langage a un effet catalyseur, il augmente cette disposition naturelle en organisant le réel selon son aspect le plus commun ou banal. C’est ici que nous retrouvons l’utilitaire : tandis que la conscience produit du commun en supprimant les marques puissantes de l’individualité, le langage produit une communication d’autant plus efficace qu’elle prend la forme de cette conscience dont il est lui-même le résultat évolutionniste et historique. Alors le langage prend la place d’un intermédiaire entre nous et la chose. Le mot s’insinue jusque dans les replis du monde, il vient redoubler notre séparation d’avec l’intimité des choses en ne permettant que la vision d’ensemble. 
Le mot est d’emblée déjà un rapport : celui pour la linguistique d’une division entre signifié et signifiant. Entre le nom commun et l’objet particulier désigné il y a le mot, comme si la correspondance ne pouvait jamais s’effectuer, comme si la coïncidence était impossible et que nous soyons toujours obligés de chercher cette nuance qui toujours s’échappe. Mais cette position linguistique ne peut pas être celle de Bergson. La linguistique de Saussure et Benveniste n’étant pas encore en place au moment de la rédaction du Rire.

Alors il ne faut pas s’étonner si le langage traite nos sentiments de la même façon que les choses, le langage vient s’additionner à la conscience afin de réaliser une réduction identique avec des sentiments qui autrement envahiraient toute notre conscience et déborderaient. Mais ici alors que notre être se conforme à la nature du besoin pour les choses, il répugne à accepter le même sort pour ses propres sentiments. Il souhaite retrouver en lui « ces milles nuances » qui fabriquent sa singularité et le distingue des autres. Ici nous trouvons une sorte de révolution : la conscience refuse ce qu’elle a produit par ailleurs pour désigner les choses, le commun ne convient pas au propre. Dire « je t’aime » n’est-ce pas utiliser une facilité de langage, ce mot si employé peut-il traduire ce que j’éprouve lorsque je suis amoureux ? Peut-il dire le frisson de l’émoi, de la peur de perdre l’autre, de la chaleur d’une main dans une main ? Comment la haine peut-elle traduire cette volonté de tuer et de détruire qui bouillonne en moi ? 
L’imprécision est ici l’ennemie de l’identité du sujet, de son besoin d’exister en tant que lui-même et non comme un autre. Pour réussir cette métamorphose nous devrions devenir poètes ou peintres : ceux qui ont compris que pour trouver le mot il fallait d’abord le perdre, accepter les entrelacs de la nomination, le détour. Comment pour pouvoir dire ne plus pouvoir nommer les choses. Apprendre à ne plus connaître mais réapprendre à voir et comprendre autrement soi-même et le monde. Les poètes sont ceux qui voient le monde sans filtre, sans la barrière du nom commun pour ne plus rencontrer que du singulier et de n’ineffable. Donner le pouvoir à l’imagination ce n’est pas ajouter au langage mais ôter son caractère profondément général.  Le peintre ne voit pas plus mais débarrasse la conscience du fardeau du général. Cela suppose aussi que nous ne soyons pas dans un schéma linguistique mais pré-linguistique ou classique ou le pouvoir des mots est inférieur au possible de la pensée. Où la correspondance entre l’image acoustique et l’esprit est définitivement produite.  C’est la conscience qui d’abord dépouille le sentiment en le pensant du côté de l’aspect extérieur et finalement de sa finalité sociale qui est de permettre sa communication, ce qui ne peut se faire sans simplification. Chaque sentiment est pourtant toujours lié à des circonstances qui le rend indentifiable et unique, chacun est irréductible. Rentrer dans l’aspect personnel du sentiment revient à distinguer toutes les palettes des sentiments, cette palette dont laquelle seul le peintre s’est joué. Le langage révèle sa nature insuffisante devant une réalité toujours plus complexe et foisonnante, bien loin de la réduction auquel le langage la contraint. 

Ainsi une troisième malédiction apparaît : le langage éloigne des choses, de nos sentiments, enfin de nous-mêmes.  C’est notre être intérieur qui s’échappe et disparaît, alors que le langage avait pour vocation de nous permettre de saisir les choses il devient l’instrument de notre propre aliénation. Tout cela débute par la volonté d’agir et d’être plus efficace, l’homme d’action est celui qui doit mettre à distance sa réflexion, simplifier pour exister. Mais le monde moderne n’est plus celui de la rivalité des consciences et des personnes. Nous voulons réintégrer cette part que nous perdons chaque jour. Telle est la position de Bergson. L’efficacité du langage rejoint celle de la lutte pour devenir des hommes, pour combattre la nature. C’est le réalisme qui vient tuer le réel, qui s’affirme contre le poète et le peintre. Ce que Bergson souhaite c’est un retour sur et vers soi, un dialogue qui doit retrouver le chemin de la complexité pour que chacun existe contre la foule, pour ses sentiments.  Il y a chez Bergson la nostalgie d’une autre grammaire que celle de la communication, celle d’un monde perdu ou pas encore trouvé où chacun serait reconnu comme unique. Ici Bergson est lui-même ce peintre des sentiments et des âmes que Bergson annonce. Nous sommes sinon dans une zone grise entre la chose et nous, toujours dans une distance qui permet la réflexion mais aussi toujours privé de la saveur du monde et de la compréhension de notre intériorité. 


Le texte de Bergson finalement annonce deux révolutions qui modifieront profondément la perception du langage. Celle de la linguistique qui viendra balayer ce fond dont parle Bergson qui se séparerait du mot, cette pensée en dehors de la nomination. Tandis que la volonté de se retrouver, de reprendre un dialogue intérieur interrompu, sera bientôt le champ de la psychanalyse. L’analyse étant se moment de libération d’une parole capable de guérir et de se comprendre soi-même. 




jeudi 17 janvier 2019

Correction note de synthèse : les besoins sont-ils naturels ou sociaux ?

Cinq textes nous sont proposés à l'étude, deux défendent la thèse que seuls les désirs naturels sont nécessaires et que les désirs sociaux conduisent aux excès. Trois que l'activité des hommes fabrique des désirs en même temps qu'une condition spécifiquement humaine.

Epicure fait une nomenclature des besoins en distinguant ceux qui sont naturels de ceux qui ne le sont pas. Ces derniers éloignent l'homme de lui-même en le laissant poursuivre des chimères (Rousseau).
Tandis que l'homme du besoin naturel est "en paix" (Rousseau) l'homme de la "vaine opinion" (Epicure)  encourage les désirs ni naturels ni nécessaires. Ainsi nous avons une philosophie ou l'homme de la nature se satisfait de ce qui est là, homme de l'immédiateté de la présence aux choses et en face l'homme d'une société qui invente des désirs dans une gradation sans fin (pourvoir au nécessaire puis au superflu puis aux délices puis aux immenses richesses...). Tourbillon sans fin des passions dirait Epicure, tourment de l'âme qui rend l'homme esclave (Rousseau). Tandis que l'homme du besoin naturel et nécessaire est celui qui peut maitriser ses désirs et ainsi faire place à autrui (Epicure), l'homme de la société est celui de l'égoïsme qui se croit "maître de l'univers"(Rousseau).

Toute la violence viendrait donc de l'homme en société (Rousseau), plus encore dit Marx (Idéo) c'est l'histoire elle-même qui naît avec un désir qui pousse l'homme à trouver de nouveaux besoins dans une spirale sans fin. C'est le passage de l'immédiateté à la médiation (Marx - Intro), du besoin facilement assouvi à un désir qui "englouti" les trésors (Rousseau) en même temps qu'il "nous crée et impose des besoins indéfinis" (Clavel). Ici se formule pour la première fois l'idée d'une société de consommation qui pour la première fois dans l'histoire des hommes est toute entièrement tournée vers une production qui ne vise pas la production d'un objet mais qui transforme le sujet en objet  (Marx intro). L'homme est sans cesse dans la recherche de nouveaux besoins (Marx Id) qui font en même temps sa grandeur et son malheur : l'homme devient l'esclave des richesses (Rousseau) et convoite sans cesse celles d'autrui. Grandeur pourtant car comme le dit Marx il nous fallait "sortir de la grossièreté primitive" pour accéder jusqu'à "l'objet d'art" : l'oeuvre d'art comme paradigme d'un inutile où vient pourtant se déposer toute son humanité.

S'éloigner du nécessaire et du naturel pour rencontrer une consommation qui devient un mode de vie (Marx Intro), pour ne plus être dans la simplicité béate de cet "homme sauvage" dont Rousseau rêve l'existence. Car enfin dit Clavel "ce n'est pas la société qui crée des besoins mais la culture qui crée des besoins et la société", inversion prodigieuse où l'homme sauvage devient la véritable chimère - la nature deviendrait alors un mythe, le plus puissant de tous. Car que serait l'homme sans le désir, avec seulement ce nécessaire dont parlent Epicure et Rousseau ? "Une bête" répond  Clavel.

Car pour être il faut toujours quelque chose encore, quelque chose en plus (Clavel)... La société de consommation nécessite une production qui fabrique le besoin, qui "l'excite" dit Marx et fabrique ainsi un monde complet avec un consommateur, des objets et un marché pour les écouler. Pour Marx c'est la nature même du mode de production qui fabrique la représentation que nous avons du monde et de nous-mêmes (Marx Intro). Loin de la paix que raconte Rousseau chez l'homme de la nature, l'homme de la société est celui de la lutte pour la reconnaissance dans une frénésie inachevée pour saisir un désir qui sans cesse s'échappe. Ce serait alors la production qui fabrique le besoin (Marx) et non le besoin la production (Rousseau - Clavel). Que "Jean-Jacques" retourne à ses rêveries (Clavel) et que l'homme lui, désormais "sensible à l'art" (Marx Intro), puisse accomplir sa propre histoire (Marx id) en s'inventant lui-même.


dimanche 6 janvier 2019



Texte de Lucien Febvre, Combats pour l'histoire

Intro

L'histoire est une conversation entre les hommes, l'historien a pour rôle de faire parler jusqu'aux choses muettes afin de tisser un réseau de solidarité que nous nommons l'histoire. Lucien Febvre invite ainsi a revisiter la mission de l'historien et à travers elle d'interroger la notion de scientificité. Il faut savoir quitter le sol connu de l'histoire des archives, des documents et des preuves tangibles pour celui plus incertain des preuves indirectes, des traces et des sédiments qui racontent aussi l'histoire de ces hommes et de ces civilisations qui ont façonnés la terre, priés les dieux, regardés les cieux, forgés le métal ou l'étain, dresser des palais ou des masures...

Alors se pose l'affirmation d'une histoire non plus générale mais "solidaire" ou dites  des "annales" qui s'oppose à une histoire objective qui oublie d'entendre la voix des hommes à travers chaque objet abandonné. Le "génie" de l'historien se révélant dans sa capacité à produire du sens, à déployer de l'objectivité au milieu des traces éparses du passé. Pour que l'histoire est un sens l'historien doit aller au-delà du connu, vers ces zones d'ombres qui ne bénéficient pas de documents écrits et d'une mémoire encore présente à travers eux.

Pour ce faire l'auteur procède en deux moments précédés par une brève introduction où l'auteur expose sa thèse : l'histoire peut se faire avec mais aussi sans documents écrits. Puis (Avec...façons d'être des hommes) il compare l'historien à une abeille qui doit faire miel de toutes fleurs. Il doit recomposer l'histoire passé avec des fragments s'il ne dispose pas de preuves écrites. Enfin (Toute une part... écrit) il inscrit l'histoire comme une enquête ou les choses muettes prennent une voix grâce au travail de l'historien.

Analyse rapide du texte 

Le texte débute par une concession : l'histoire se fait avec des documents écrits, avec des archives donc, avec des bibliothèques et des recherches qui ne se confrontent pas nécessairement au terrain et aux autres traces d'un temps passé. Mais Lucien Febvre affirme immédiatement que cela ne se peut que si les documents écrits existent, ailleurs il faut faire sans. Il y a donc affirmation qu'une autre histoire existe, ou plutôt qu'existe une autre façon de faire l'histoire et avec elle d'autres historiens. L'auteur s'attaque directement ici à l'école dites des archives, l'historien semble contenir tout le savoir mais "moutonnier en réalité" il n'a aucune initiative ni ingéniosité. L'historien dont parle Lucien Febvre est au contraire celui qui est capable de créer à partir de presque rien. L'image de l'abeille est en ce sens poétique mais convient assez peu. L'abeille collecte sans réfléchir son action tandis que l'historien doit sans cesse s'interroger sur le sens de ce qu'il voit : "décrire ce que l'on voit, rien de plus facile,  mais voir ce qu'il faut décrire..." écrivait ainsi l'auteur. C'est cela que l'historien doit faire, et pour cela l'ingéniosité ou le "génie" sont nécessaires car il faut apprendre à lire autrement que sur le papier : dans tous les signes que contiennent les pierres des murs, le métal des épées, dans la vaisselle comme dans le sillon des boeufs, dans les étoiles et les éclipses. L'historien fabrique avec ces matériaux du sens : il ressemble à l'architecte, bâtisseur d'une maison. L'édifice est dressé, on peut en faire le tour, admiré ses contours, puis le grenier où sont remisés les vieilles choses et celles auxquels nous tenons. Enfin la cave et dessous encore les fondations. Il y a une grande parenté entre l'architecte et l'historien, tous les deux voient le dessous des choses : on se promène dans les rues dans les villes sans apercevoir ses fondations grecques ou romaines, sans voir que les pierres de telle époque s'additionne à l'architecture d'aujourd'hui. Tel est le travail de l'historien, redonner une visibilité à ce qui autrement resterait recouvert et inconnu. Le "miel usuel" de l'historien est l'archive, le témoignage mais il faut aussi s'occuper des vestiges, des lambeaux ou des fragments de l'histoire qui demeurent dans l'obscurité si un historien ne fait pas ce travail de défrichage : élaguer où il y a trop, compléter où il manque. Cela ne peut se faire sans une coopération, pour trouver une solidarité des faits il faut que les scientifiques oeuvrent ensemble. Le géologue, le paléontologue, le généticien, le sociologue... chacun apporte sa pierre pour construire l'édifice de l'histoire. Si l'histoire doit prendre la forme de la subjectivité et de l'interprétation cela tient à la nature même de la preuve qui fait sa spécificité. Il s'agit de traces profondément humaines : l'homme modifie la nature, son environnement, sa condition - c'est la raison pour laquelle ces traces ne peuvent parler qu'aux hommes. Et il en va de l'histoire comme des autres sciences. La prétention du positivisme était de faire la lumière à partir d'une science débarrassée de la subjectivité, de l'imagination pensées comme des tares dont il faudrait se défaire. Mais aucune science ne peut se comprendre sans l'acceptation de cette étincelle, de cette imagination, de cette part profondément subjective qu'elle comprend. C'est parce-que l'historien s'adresse humainement aux objets et vestiges que ceux-là lui répondent humainement. C'est pourquoi l'histoire redonne du sens aux choses, un lien de solidarité qui permet de fabriquer une cohérence qui autrement ferait défaut. L'histoire n'est pas "qu'un vagabondage parmi des tombes" (Hegel) mais une conversation entre des hommes qui se retrouvent sur le fil ténu de la mémoire et de la parenté - rien d'humain ne m'est étranger pourrait dire l'historien qui plus que tout autre raconte à sa façon ce que nous avons ou aurons tous vécus.

dimanche 14 octobre 2018

Texte de Bergson extrait du Rire / le langage

Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous […].Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même dans les mêmes conditions, pour tous les hommes.Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.
Bergson, Le rire.





INTRO 

Le texte qui nous est proposé à l’étude est extrait du rirede Bergson.
 L’idée générale réside dans l’affirmation que le langage nous éloigne des choses et de nos propres sentiments, il accentue l’écart entre la réalité du monde et la représentation que nous nous en avons. L’enjeu est alors dans le fait que cet écart est lui même la conséquence d’une préoccupation humaine exclusive  pour l’utilitaire. C’est le besoin qui empêcherait la conscience et le langage d’atteindre la réalité des choses et de nous-même. 
Pour ce faire l’auteur procède en trois moments. 
Dans un premier temps (Nous ne voyons…) Bergson incrimine l’aspect négatif du langage qui vient s’additionner au mouvement de la conscience pour nous éloigner des choses et du monde. Le nom commun est l’arme de cette réduction. 
Puis (Et ce ne sont...) il étend ce problème de la simplification des choses aux sentiments. C’est notre intériorité qui se trouve mise à l’écart..
Alors (Ainsi, jusque…) l’auteur pourra dévoiler l’étendue de la confusion : le langage nous place à distance des choses et de nous-même. Il nous empêcherait d’exister pleinement. 


Le constat inaugural de Bergson réside dans l’affirmation que nous ne voyons pas les choses mêmes : autrement dit nous demeurons extérieurs aux choses, plus fondamentalement nous sommes dans un écart par rapport au réel qui empêche sa saisie. La question qui se pose alors est celle de notre attitude par rapport aux choses : nous simplifions le réel autour de nous de façon à ce qu’il nous corresponde. Se borner signifie ici que la limite que nous portons sur les choses est celle même d’une réduction de la réalité aux besoins. C’est donc les fonctions élémentaires, boire, manger, dormir qui conditionnent notre rapport aux choses. Cette simplification du réel est donc commandée d’abord par la survie. Cela s’explique par une logique d’identification rapide des dangers : il faut d’abord viser l’efficacité et non la subtilité. La nuance est un danger dans le cas d’une survie qui commande une action immédiate et non une réflexion. C’est la vision d’ensemble qui est privilégiée et non le singulier ou le détail. Nous plaçons sur les choses des termes génériques qui permettent cette adaptation souhaitée au réel. Ces « étiquettes » sont donc des noms communs. Le nom commun permet de fabriquer du tout là où n’existe que du propre et du singulier. Dire « un chien » équivaut à nommer un genre et non une individualité ce qui est suffisant pour avoir la perception commune d’un chien. Le maître saura reconnaître son chien entre 100 de la même race. C’est l’expérience individuelle et le sentiment qui font rentrer dans le singulier et la différence. Le nom commun permet de ne voir que l’ensemble, par lui nous pouvons gommer le détail qui est perceptible seulement pour celui qui le souhaite. Ainsi l’attachement du maître pour son chien fait glisser le général vers le  particulier : son sentiment d’amour pour son chien produit du singulier, du nom propre en même temps qu’une histoire des sentiments. Le langage a un effet catalyseur, il augmente cette disposition naturelle en organisant le réel selon son aspect le plus commun ou banal. C’est ici que nous retrouvons l’utilitaire : tandis que la conscience produit du commun en supprimant les marques puissantes de l’individualité, le langage produit une communication d’autant plus efficace qu’elle  prend la forme de cette conscience dont il est lui-même le résultat évolutionniste et historique. Alors le langage prend la place d’un intermédiaire entre nous et la chose. Le mot s’insinue jusque dans les replis du monde, il vient redoubler notre séparation d’avec l’intimité des choses en ne permettant que la vision d’ensemble. 
Le mot est d’emblée déjà un rapport : celui pour la linguistique d’une division entre signifié et signifiant. Entre le nom commun et l’objet particulier désigné il y a le mot, comme si la correspondance ne pouvait jamais s’effectuer, comme si la coïncidence était impossible et que nous soyons toujours obligé de chercher cette nuance qui toujours s’échappe. Mais cette position linguistique ne peut pas être celle de Bergson. La linguistique de Saussure et Benveniste n’étant pas encore en place au moment de la rédaction duRire.

Alors il ne faut pas s’étonner si le langage traite nos sentiments de la même façon que les choses, le langage vient s’additionner à la conscience afin de réaliser une réduction identique avec des sentiments qui autrement envahiraient toute notre conscience et déborderaient. Mais ici alors que notre être se conforme à la nature du besoin pour les choses, il répugne à accepter le même sort pour ses propres sentiments. Il souhaite retrouver en lui « ces milles nuances » qui fabriquent sa singularité et le distingue des autres. Ici nous trouvons une sorte de révolution : la conscience refuse ce qu’elle a produit par ailleurs pour désigner les choses, le commun ne convient pas au propre. Dire « je t’aime » n’est-ce pas utiliser une facilité de langage, ce mot si employé peut-il traduire ce que j’éprouve lorsque je suis amoureux ? Peut-il dire le frisson de l’émoi, de la peur de perdre l’autre, de la chaleur d’une main dans une main ? Comment la haine peut-elle traduire cette volonté de tuer et de détruire qui bouillonne en moi ? 
L’imprécision est ici l’ennemie de l’identité du sujet, de son besoin d’exister en tant que lui-même et non comme un autre. Pour réussir cette métamorphose nous devrions devenir poètes ou peintres : ceux qui ont compris que pour trouver le mot il fallait d’abord le perdre, accepter les entrelacs de la nomination, le détour. Comment pour pouvoir dire ne plus pouvoir nommer les choses. Apprendre à ne plus connaître mais réapprendre à voir et comprendre autrement soi-même et le monde. Les poètes sont ceux qui voient le monde sans filtre, sans la barrière du nom commun pour ne plus rencontrer que du singulier et de n’ineffable. Donner le pouvoir à l’imagination ce n’est pas ajouter au langage mais ôter son caractère profondément général.  Le peintre ne voit pas plus mais débarrasse la conscience du fardeau du général. Cela suppose aussi que nous ne soyons pas dans un schéma linguistique mais pré-linguistique ou classique ou le pouvoir des mots est inférieur au possible de la pensée. Où la correspondance entre l’image acoustique et l’esprit est définitivement produite.  C’est la conscience qui d’abord dépouille le sentiment en le pensant du côté de l’aspect extérieur et finalement de sa finalité sociale qui est de permettre sa communication, ce qui ne peut se faire sans simplification. Chaque sentiment est pourtant toujours lié à des circonstances qui le rend indentifiable et unique, chacun est irréductible. Rentrer dans l’aspect personnel du sentiment revient à distinguer toutes les palettes des sentiments, cette palette dont laquelle seul le peintre s’est joué. Le langage révèle sa nature insuffisante devant une réalité toujours plus complexe et foisonnante, bien loin de la réduction auquel le langage la contraint.

Ainsi une troisième malédiction apparaît : le langage éloigne des choses, de nos sentiments, enfin de nous-mêmes.  C’est notre être intérieur qui s’échappe et disparaît, alors que le langage avait pour vocation de nous permettre de saisir les choses il devient l’instrument de notre propre aliénation. Tout cela débute par la volonté d’agir et d’être plus efficace, l’homme d’action est celui qui doit mettre à distance sa réflexion, simplifier pour exister. Mais le monde moderne n’est plus celui de la rivalité des consciences et des personnes. Nous voulons réintégrer cette part que nous perdons chaque jour. Telle est la position de Bergson. L’efficacité du langage rejoint celle de la lutte pour devenir des hommes, pour combattre la nature. C’est le réalisme qui vient tuer le réel, qui s’affirme contre le poète et le peintre. Ce que Bergson souhaite c’est un retour sur et vers soi, un dialogue qui doit retrouver le chemin de la complexité pour que chacun existe contre la foule, pour ses sentiments.  Il y a chez Bergson la nostalgie d’une autre grammaire que celle de la communication, celle d’un monde perdu ou pas encore trouvé où chacun serait reconnu comme unique. Ici Bergson est lui-même ce peintre des sentiments et des âmes que Bergson annonce. Nous sommes sinon dans une zone grise entre la chose et nous, toujours dans une distance qui permet la réflexion mais aussi toujours privé de la saveur du monde et de la compréhension de notre intériorité. 


Le texte de Bergson finalement annonce deux révolutions qui modifieront profondément la perception du langage. Celle de la linguistique qui viendra balayer ce fond dont parle Bergson qui se séparerait du mot, cette pensée en dehors de la nomination. Tandis que la volonté de se retrouver, de reprendre un dialogue intérieur interrompu, sera bientôt le champ de la psychanalyse. L’analyse étant se moment de libération d’une parole capable de guérir et de se comprendre soi-même. 




mardi 29 mai 2018


L’Etat veut-il mon bien ?




L’Etat ne vise pas mon bien mais sa propre perpétuation : la tyrannie ne vise que son propre bien.

a-   le passage de l’Etat de Nature à la sté civile est ce moment où se fonde une société qui porte désormais l’idée d’un bien qui n’existait pas auparavant  
b-   ce passage est remarquable dit Rousseau mais trop souvent rabaisse l’h plus bas qu’il n’était dans l’Etat de nature car ce sont ses mauvaises passions qui prennent alors le dessus. L’Etat est d’abord un « monstre froid » = il sauvegarde ma vie en sacrifiant ma liberté. Il pousse les h à la cupidité et à l’amour propre. 
Les premiers gouvernements sont despotiques : seul le bien du souverain l’emporte sans le souci des individus qui constituent ses sujets. Il est d’abord égoïsme. 
c-    L’Etat est cette figure de Barbe bleue – il désigne la limite de la liberté et place ainsi « des fleurs sur mes chaines » : derrière l’amélioration de mes conditions de vie, les loisirs, se cache sa seule volonté de se perpétuer lui-même. (Bakounine – Marx). C’est la question de la liberté que pose l’Etat. 

Le premier rôle de l’Etat n’est pas mon bien être mais le bien commun. 

a-   l’Etat est d’abord le cadre d’un gouvernement qui a pour rôle de faire exister une société dans la sécurité. Cette assurance de rester en vie conduit à un pacte d’association qui est d’abord pacte de soumission (Hobbes - Rousseau). Mais lentement il y a glissement vers la volonté de fonder l’utilité : promouvoir l’éducation, la culture, la santé… tous les éléments qui forment ce que nous appelons l’Etat social ou providence. L’Etat est alors en charge des fonctions régaliennes : Justice, Trésor, Armée.
b-   Mais l’Etat devient alors le lieu d’exercice du pouvoir : en cela il se doit de gérer le bien de chaque citoyen. Nous pouvons prendre la métaphore organique du politique : (Hobbes) l’Etat a pour mission de protéger la société dans sa totalité au risque du sacrifice d’un organe malade qui mettrait en péril les organes vitaux. 
c-    Ainsi l’Etat peut faire le sacrifice d’un individu au profit du tout. Le gouvernement exemplaire du bien fut celui de Robespierre et de la terreur ou se confond la folie d’un h avec celle de l’Etat lui-même. Le gouvernement de la vertu détruit la personne au profit de l’individu, la morale individuelle au profit de la raison d’Etat. 

L’Etat en démocratie veut mon bien comme le bien de tous : il est la mesure du Bien.

a-   Mais connaissons-nous un régime capable de réaliser le bien individuel en même temps que le bien commun ? La démocratie même si elles est « trop sublime pour l’h » est seule capable de faire se confondre bien individuel et collectif. Elle est imparfaite mais elle est la tentative proprement humaine pour fonder les valeurs d’égalité et de solidarité. L’Etat en ce sens avec la démocratie invente une morale laïque capable de faire exister à la fois l’individu dans ses aspirations et ses désirs et le groupe à travers l’idée de Nation.
b-   La Nation incarne un territoire physique tandis que la patrie prend la forme d’un territoire affectif. L’Etat est la seule forme viable d’une morale incarnée dans des institutions qui fabriquent au quotidien ce qu’est le Bien. Le transfert du religieux vers le politique est le moment de création d’un bien laïque qui est en même temps singulier et universel. 

c-    L’Etat n’est jamais que la forme d’une société qui lui donne un visage. Nous sommes responsables des institutions et du bien qu’elles incarnent. Si l’individu ne veut pas d’abord son propre bien à travers la figure d’une liberté qui ne peut pas être négociée alors le pouvoir risque de perdre une volonté qu’il ne peut pas incarner seul : le tout est la somme de ses parties. C’est chacune de ces parties qu’il faut donc interroger : l’Etat ne peut vouloir que si nous voulons, on ne naît ni libres ni égaux nous nous voulons libre et égaux.

samedi 13 janvier 2018

corrigé du commentaire - Freud - Métapsychologie



Ce texte est une réponse aux contestations que suscite l'hypothèse de l'inconscient. Il s'agit pour Freud de démontrer la validité scientifique de l'inconscient psychique. Ce texte engage une réflexion sur l'inconscient : comment quelque chose d'invisible et de non observable peut-il acquérir le statut de science. Il s'agit aussi d'interroger la notion de preuve, la psychologie peut-elle être considérée comme une science ?
Le texte se compose d'une introduction qui en révèle la notion polémique. Dans un second temps des arguments se succèdent qui doivent attester de la nécessité et de la légitimité de l'hypothèse de l'inconscient. Enfin, sous la forme d'une conclusion, Freud opère un renversement qui montre l'absurdité de l'hypothèse contraire à la sienne.

1 -   Nécessité et légitimité de l'hypothèse de l'inconscient

La conscience ne peut rendre compte d'elle-même, elle comporte des béances, des absences. Mais cet argument ne vaut que si l'hypothèse de l'inconscient est déjà en place et reconnu comme valide. C'est seulement au regard de cette hypothèse que l'argument d'une incomplétude de la conscience est possible. Le présupposé de Freud étant que tout évènement possède un sens, une signification. on pourrait objecter ici que l'hypothèse de Freud ne prend pas en compte la présence possible du hasard, de l'incertitude dans la production des représentations psychiques, ainsi du "non-sens" serait possible. Un épisode qui ne provient pas d'une suite logique mais d'un surgissement hasardeux.
Il est certains que des actes de la conscience ne sont pas intelligibles. Donc soit ces événements demeurent inexpliqués soit il faut trouver une clé d'interprétation permettant de trouver du sens (et donc ici une cause).
Car enfin l'inconscient propose une lecture "normale" d'événements qui autrement seraient extraordinaires : les rêves, les lapsus, les actes manqués sont "la voie royale de l'inconscient" cad qu'ils permettent d'accéder au sens "invisible"' de l'action = les pulsions et les désirs qui cohabitent avec la conscience. L'autre face étant celle des manifestations "symptomatiques" qui proviennent directement de l'inconscient - ici s'efface la ligne de partage entre santé et "folie". La barrière entre le normal et la pathologique devient ainsi mobile et s'estompe.

2 -

Il y a une universalité de l'expérience que l'on comprend par le fait que chacun en a fait l'expérience intime. Nous pouvons tous retrouver des épisodes personnels qui mettent en avant notre inconscient : des pensées refoulées, des peurs, des angoisses... Les phénomènes psychopathologiques de la vie quotidienne sont banals. Que l'expérience en soit individuelle et commune constitue un argument en faveur de l'hypothèse de l'inconscient qui devient ainsi irréfutable. Par ailleurs Freud donne un fondement empirique à sa démonstration : celle-ci n'est pas que théorique mais étayée par une réalité commune.

Cependant nous devons constater que le constat de l'expérience sensible ne peut se produire sans l'énoncé de l'hypothèse elle-même, autrement dit l'observation est la conséquence de cette hypothèse.

C'est l'universalité de l'expérience qui conduit ici à la reconnaissance de l'universalité des lois psychiques.

Il y a dans le texte une critique de Descartes et de sa souveraineté de la conscience, pour Freud le sujet n'est pas maître de ses représentations. Le sujet a des pensées dont il ignore l'origine, dont il ne peut rendre compte. En quelque sorte des pensée sans sujet...  Il y a bien ici une entreprise de décentrement du sujet - de perte de repère et de constitution d'un nouveau centre.

L'inconscient se sert du donné caché pour le dépasser = c'est en effet l'expérience qui donne ici les moyens de son dépassement vers une théorie générale de l'inconscient. Le donné immédiat est en fait déjà une construction qui ne peut se comprendre qu'à partir de l'hypothèse de l'inconscient. Autrement dit ce que l'hypothèse est censée prouver est en fait à la fois l'origine de la formulation d'un inconscient et en même temps son terme.

Ce qui rend légitime l'hypothèse de Freud c'est le gain d'intelligibilité qu'elle apporte. Elle permet de garantir la véracité du fait psychique, elle donne un gain de sens - elle permet l'analyse et donc donne "la raison" du fait caché. Elle dévoile et rend sa présence "nécessaire" cad indispensable. Ici il y a un paradoxe dans le fait que l'inconscient apporte une lumière qui finalement donne cohérence et raison et s'apparente ainsi à un fait "de conscience".

Le succès thérapeutique étant le second niveau de preuve : une pratique couronnée de succès qui est ici sa pratique clinique, l'analyse étant le moment de la mise à jour de l'inconscient et donc de la guérison. Ex : Anna O.

Ce texte est une réponse aux médecins positivistes de son époque qui font à la psychanalyse un procès en "sorcellerie". Ils accordent une grande importance à la science et sont dans le refus de toute "métaphysique". La science apporte des preuves et doit tester les conjectures. Freud montre que l'hypothèse de l'inconscient répond à ces exigences tout en déplaçant la notion de preuve : c'est l'hypothèse qui préside au fait scientifique et non le fait qui conduit à l'hypothèse. En un sens on peut dire que Freud partage avec ses détracteurs la conception de la science.

3 -

La conclusion quoique brève réaffirme le décentrement du sujet. cette révolution freudienne est la 3ième humiliation que Freud prétend infliger à l'humanité à la suite de Copernic et de Darwin : "le moi n'est pas maître dans a propre maison". Il refuse d'assimiler le psychisme à la conscience mais en fait un espace plus grand qui absorbe celle-ci dans un cadre qui est celui de l'inconscient : la ça, le moi et le surmoi forme une nouvelle trilogie. Ceux qui identifient le sujet à la conscience sont du côté d'une "prétention intenable". L'illégitimité devient la posture de ceux qui n'acceptent pas l'hypothèse de l'inconscient. Il y a ici un renversement complet de l'accusation. La conscience est alors lacunaire tandis que les propriétés de l'inconscient sont celles de la raison et du sens. Plus encore l'activité consciente est un leurre et donc un mensonge et une tromperie.


Conclusion au texte :
Freud invite à interroger la scientificité de l'hypothèse de l'inconscient. L'auteur invoque le pouvoir explicatif et le succès pratique comme preuves de son hypothèse. Pourtant ce terme d'hypothèse perdure jusqu'à la fin du texte alors que sa preuve devrait constituer aussi la fin de cette appellation : il y a une ambiguïté de la langue que Freud entretien - une hypothèse vérifiée est une preuve et donc un fait scientifique et non plus sa simple hypothèse. C'est notre conception de la science elle-même que Freud ébranle en plaçant la preuve du côté même d'une hypothèse qui finalement réclame toujours un effort supplémentaire pour être "vraie".



jeudi 4 février 2016

L'histoire n'est-elle qu'un roman ?



           1 -  L'histoire comme construction d'un récit national.
A - l'histoire originale est ce moment ou l'acteur de l'histoire raconte l'histoire qui se fait sous ses yeux. Jules César et la guerre des Gaules mais aussi Primo-Lévi dans si c'est un homme. Cette histoire se donne à travers un récit personnel, une romance qui est celle de soi dans les événements de l'Histoire. La subjectivité y est vérité car cette histoire à un objet double : les faits et soi-même. Se dire à travers les faits - prendre appui sur le siècle pour montrer mon regard.
B - l'histoire originale rencontre aussi l'impensé de chaque société, le désir de faire corps et une histoire sur laquelle faire fond - "vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà" : chaque pays substantifie sa façon de voir et porte les documents de sa propre histoire jusqu'à l'universel.  Ainsi chacun raconte une histoire locale en en faisant le roman de l'histoire des hommes : cf cartographie des pays où chacun se place au centre du globe. la construction d'un récit national suppose une adhésion à une identité fixe qui vient arrêter des caractères dominants pour chaque société
C - le roman pour sa part porte avec lui la charge de la fiction / il met en scène les passions et l'histoire des hommes sous l'angle du divertissement "prendre un livre si plonger si plaire, quelle fête!" dit Mme Bovary dans le roman de Flaubert. Il s'agit de pouvoir se mettre à la place de, de changer de vie en tournant la page, d'aimer ou de haïr avec les personnages tout en restant à l'abri de la réalité dans son fauteuil. L'histoire elle propose un voyage, puisqu'il s'agit bien de se  déplacer, vers le passé. Ce retour vers ce qui a été mais n'est plus suppose une étude minutieuse, une technique et des instruments qui ne ressemblent en rien à ceux de la construction romanesque. il ne s'agit plus de divertir mais d'instruire.

          2 -  L'histoire se sépare de la littérature par accès au statut de science des événements -   l'histoire n'interprète pas traite, elle ne divertit pas elle instruit

A - l'Histoire est une science et pour être telle dispose d'un certain nombre de traits qui lui confèrent ce statut : l'histoire ne s'invente pas dans l'écriture mais dans les actions des hommes. pour les mesurer nous avons des outils : les archives, les vestiges, les témoignages, les documents... Popper ajoute l'infalsifiabilité de l'histoire - normalement une science suppose que nous puissions "expérimenter" ses fondements, que nous puissions reproduire l'expérimentation pour valider ses résultats. Or l'histoire ne le permet pas car tout événement produit y est définitif - la validation par l'observation et sa reconduction s'y trouve impossible - il ne s'agit donc pas d'une théorie physique mais d'une science humaine qui suppose la mobilité des actions - l'exposé histoire est donc fiable mais suppose une adaptation continue aux hommes.
B - l'histoire peut devenir objective en ne prenant plus en compte que "la raison dans l'histoire" et en chassant ainsi la subjectivité comme ennemie de la science. "le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays" - Michelet s'enferme ainsi au XIXe dans son grenier pour écrire une histoire objective de la révolution française : mais tout histoire est choix - traiter la révolution sous l'angle de Robespierre ou de Marie-Antoinette suppose déjà un choix = c'est finalement notre histoire que nous tentons de comprendre et expliquer avec celle dues événements passés - Nous ne pouvons plus voir la lune comme les grecs la voyait - comment comprendre des faits qui supposent d'autres conceptions des choses, de la nature, des êtres ? Comment ne pas assécher l'histoire lorsqu'elle en vient au résumé : Marignan 1515 ?


          3 -  L'histoire est le bruissement des civilisations, elle raconte le temps des hommes par la connaissance et l'analyse des faits. Elle est le récit des hommes. 

A - toute histoire est "révision" cad qu'elle se transforme sans cesse au gré des découvertes et des liaisons possibles - mais réviser n'est pas nier : le négationnisme produit avec l'histoire un roman, en transformant l'événement lui-même, en tordant la réalité à une construction idéologique ou intellectuelle. Au contraire le processus de révision est celui de la construction scientifique, comparer, réviser, réaffirmer, compléter : le processus des sciences n'est pas figé mais dynamique.
B - la philosophie de l'histoire ramenait finalement l'histoire au temps d'un récit avec un début, une intrigue et une fin. Histoire conquérante d'un Occident où Hegel voyant passer Napoléon à cheval après la bataille d'Iéna dira "j'ai vu passer l'âme du monde à cheval". Histoire du christianisme qui se mêle à l'industrie montante.
C - alors l'histoire régionale vient croiser les sources et les peuples, elle engage une histoire non plus figée mais mouvante : il s'agit d'entendre le bruit des hommes au travers d'une analyse comparée / l'ethnologie nous apprend que l'histoire est un dialogue entre des peuples qui pensent différemment, qui possèdent d'autres signes et repères. Levi-Strauss comparait les histoires des peuples à des trains qui roulent parallèlement dans la même direction à la même vitesse pour les cultures parentes et dans des directions opposées pour les autres. Il faut donc comprendre que l'histoire est doublement proche du roman : elles partagent le sens / direction / et le rapport à la fiction et à la vérité. Alors que le roman vaut par lui-même, son pouvoir étant d'inventer un monde, dans lequel parfois nous nous reconnaissons -  l'Histoire pour sa part rapporte bruissement de nos actions, elle n'invente pas mais inventorie - et pour cela elle sélectionne, croise, analyse. Elle est le récit des hommes.




samedi 19 septembre 2015

Correction partie 2 – texte de Bergson




La conscience serait donc, et Bergson utilise le conditionnel pour avancer une idée si perturbante pour ses lecteurs, la marque de l’actuellement présent. Ici c’est la notion de durée que Bergson met en place : l’actuellement présent suppose ainsi une conscience tournée toute entièrement vers l’instant. Où plutôt, non vers l’instant, qui est une donnée mathématique sans épaisseur, mais vers le présent qui est la donnée spécifique de la conscience en tant que durée. La conscience se donne comme « un pont jeté entre le passé et le futur », elle est cette épaisseur qui vient unifier perceptions et mémoire afin d’agir. Il s’agit donc pour Bergson de faire comprendre que si le présent est équivalent à l’action – épaisseur de temps qui vient saisir les éléments afin d’atteindre un effet immédiat qui est le moment actuel – alors la conscience serait le nom donné à ce pic qu’est l’unification de l’action. Nous retrouvons ici la caractéristique de la conscience vigile telle que Descartes l’avait énoncé avec cependant cette modification d’importance : si la conscience est entièrement tournée vers l’action elle se détourne alors de ce qui n’est pas utile à elle. La « marque caractéristique » du présent telle est en fait la conscience. Elle est cette actuellement présent qui me fait sentir et penser pour agir, et ce qui n’est pas utile à cette fonction peut prendre alors le nom d’inconscient. Cette part d’ombre représente tout ce qui est en dessous de l’action, tout ce qui n’est pas utile, non agissant… La position de Bergson suppose alors une remise en cause, sinon en doute, de l’équation de Bergson qui est la transitivité de la conscience avec l’existence. La conscience n’est pas équivalente à l’existence mais à l’action prend soin d’affirmer Bergson qui « limite » ainsi la portée de la conscience. L’inconscient est possible car la conscience est un « état » qui se limite à la vigilance dans l’action, laissant ainsi la place à un inconscient qui pour sa part serait à la fois non-actuel et non-agissant. Une sorte de mémoire qui n’aurait pas pour finalité l’action ni l’efficacité immédiate mais plutôt une sorte de « récréation » ou le sujet se débarrasse de l’utile. La coupure entre présent et passé permet de mieux saisir la différence conscient – inconscient : ce qui n’agit pas peut exister en dehors de l’action, dans la marge du psychisme, il est le reste qui n’est pas nécessaire dans le mouvement de choix qu’opère la conscience. Descartes a donné à la conscience un contour qui excède son champ. En l’assimilant à l’existence plus aucune intermittence de la conscience n’était possible sans renoncer au statut même d’homme et de femme. Au contraire la position Bergsonienne permet de réunir ce qui semblait profondément fracturé : d’une part une conscience tournée vers l’agir et son autre face qu’est l’inconscient qui se détourne de l’action car inutile. Le processus de sélection de l’information étant directement lié au choix. Choisir c’est décidé, le vouloir est un pouvoir, celui d’orienter le sujet dans ses choix et donc d’éclairer sa volonté – la conscience est cette pointe qui vient permettre l’action. Ce même souci pédagogique l’anime encore lorsqu’il exprime qu’ainsi « nous aurons moins de peine » à concevoir l’inconscient. Comme si rassurer le lecteur devant l’audace de la démonstration était fondamental tant la « répugnance » à laquelle faisait référence l’auteur était si forte qu’elle empêcherait autrement la formulation d’une coexistence entre la conscience et l’inconscient. La force de la démonstration de Bergson visant à rendre impuissant cet inconscient pour son lecteur afin que sa pensée ne soit plus si dérangeante et ainsi la rendre possible et audible.

dimanche 3 mai 2015


Le Beau n'est-il qu'un effet de l'art ?

Ce sujet suppose une approche dialectique qui fasse un sort à la notion d'effet. Un effet est une conséquence mais c'est aussi "un effet" un procédé qui permet d'obtenir un résultat. Les n' et le qu' sont les marques d'une restriction qui supposent qu'une autre voie est possible. Il s'agit ici d'un présupposé.

il faut un cadre critique au regard de la Q elle-même, proposition d'un plan qui fasse ressortir les différentes facettes de l'énoncé :

1 / Le Beau n'est pas un effet de l'art mais de la nature.

2 / Le Beau n'est pas un effet mais la cause même de l'art - le beau n'est pas dans l'objet mais dans le sujet - l'art est un effet du Beau

3 / Le Beau est un fait de l'art - il est le moyen d'une autre perception de la réalité par l'activité humaine.