Philosophie

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lundi 22 octobre 2012

La personne, autrui


  
La notion de personne :
Personne vient du grec persona qui veut dire masque, les acteurs portaient des masques figés en une unique expression, soulignant ainsi l’identité et le caractère unique de chaque personnage. Parler de quelqu’un comme une personne implique alors la part de rôle, de jeu, présent en chacun de nous comme acteur social. Souvent nous ne parvenons plus à distinguer entre le rôle social et notre identité, nous sommes notre fonction : médecin, enseignant, ouvrier… Plus encore que de jouer un rôle c’est souvent notre rôle qui nous joue… c’est ce qu’enseigne Sartre lorsqu’il pose que chacun danse sa profession, danse de l’épicier, du médecin,…
Et si les aléas de la vie arrache notre statut à notre existence il n’est parfois plus possible d’adhérer à soi, on ne se reconnaît plus. Lorsque Richard III est dépossédé de son trône il ne se reconnaît plus lui-même, privé de sa fonction il sombre dans la folie. Incapable de se reconnaître il réclame un miroir qui ne peut plus que lui renvoyer le reflet d’un homme et « seulement » d’un homme. Son visage n’existait que par et dans le regard des autres, privé de ce regard il ne se reconnaît plus lui-même. Prendre un contenu de l’extérieur, prendre pour contenu l’extériorité, la définition de l’hétéronomie qui s’oppose à l’autonomie – du fait de ne plus dépendre que de soi.
C’est certainement un mode d’abdication de sa liberté. Moment où l’on se fait chose pour ne plus assumer l’infini de la liberté et des possibles. S’enfermer dans u  rôle pour ne plus ressentir le vertige de sa propre puissance et de sa liberté. Je suis ce que je ne suis pas, et ne suis pas ce que je suis.
Pascal invite à retrouver son identité par une ascèse : se dépouiller des habits d’emprunt, redécouvrir par delà ce que nous avons ce que nous sommes. « Notre âme est indifférente à l’état de batelier comme à celui de duc » ( Discours sur la Condition des Grands). Non plus je ne suis mes attributs physiques, « celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté l’aime t’il ? Non : car la petite vérole qui tuera la beauté sans tuer la personne fera qu’il ne l’aimera plus ». Ce moi n’est donc ni dans le corps, ni non plus dans l’âme : car le jugement, la mémoire, la morale peuvent se perdre sans remettre en cause la présence du moi. Le moi se présente presque comme un fantôme, comme une impression fantastique et délirante. Je ne me possède que comme un costume, je m’habite mais je ne connais pas ma propre adresse.
D’un côté une personne qui se donne dans son statut social et ainsi se dissout dans l’éther de la société et de l‘universel, de l’autre une personne seulement elle-même, être biologique et singulier qui n’épuise pas les pouvoirs de l’espèce et qui ne peut se saisir pleinement sans l’apport des autres. Il faut rappeler ici la formule grecque gravée au fronton du temple de Delphes : connais-toi toi-même qui peut se traduire autrement par la prescription de ne pas oublier que tu n’es pas un Dieu. Connais tes propres limites. 


Autrui
Si le rapport à soi est impossible demeure la communication des consciences comme préoccupation. Pourtant Leibnitz se représente l’homme comme une monade, sans porte ni fenêtre, c’est un Deux ex machina qui seul peut harmoniser les parties de cette machine gigantesque qu’est l’existence. Descartes pour sa part montre que le cogito est aussi dans sa découverte celle d’une solitude radicale. La sensation étant dubitable, seule demeure la pensée. Seule ma conscience est réelle mais dans ce cas il est possible que les autres consciences n’existent que comme production de ma propre conscience, comme un rêve. Ma conscience étant la seule dont j’ai l’expérience tout le reste est un spectacle, un objet. Le danger du solipsisme guette alors. 
Esquisse d’une solution :
Le courant intellectualiste propose de fonder la certitude de l’existence d’autrui sur un raisonnement logique. Un raisonnement analogique montrera qu’autrui est. Si je vois dans la rue des chapeaux et des manteaux, je juge que ce sont des hommes qui passent. Je connais autrui par analogie avec moi-même, c’est ce que posent et Descartes et Berkeley. Mon expérience me permet de déchiffrer l’attitude des autres : un homme qui pleure me fait reconnaître qu’il est bouleversé – car je pleure lorsque je suis bouleversé. Je connais autrui  par ses gestes et ses attitudes, comme je me connais moi-même dans mes attitudes et états : la connaissance analogique permet donc le déplacement et l’interprétation. Mais ce raisonnement ne permet que d’aboutir à un raisonnement probable, on peut pleurer de rire ou de joie. C’est la situation et pas seulement le sujet qui m’informe de l’interprétation.
Pourtant l’existence d’autrui est un fait qui s’impose à moi, et il est indéniable. Tout comme la nature extérieure existe indéniablement. Nous éprouvons l’existence des autres consciences dans un sentiment originaire de coexistence. Husserl pose que « toute conscience est conscience de quelque chose », l’expérience d’autrui est vécue avant que d’être intellectualisable. L’enfant reconnaît le visage souriant et y répond alors qu’il est incapable encore de raisonner. La communication avec autrui est anté-langagière, elle se donne avant toute parole, inscrite dans les codes sociaux de chaque société. Le langage véhicule des codes impersonnels, l’intime se dérobe souvent dans les mots. Se faire comprendre n’est-ce pas déjà abdiquer devant l’insurmontable différence des êtres. Le langage servant alors comme parure, comme déguisement. Bergson pense ainsi qu’il sert seulement à dire les objets du monde, substituant à la pluralité une somme réduite de vocables – servant ainsi de classement et de nomenclature aux objets du monde – par extension il tente de faire la même chose avec autrui. L’enserrer dans des mots afin de le réduire comme objet à une chose simple et connaissable. Le langage est une proposition spatiale et une résolution du même type. Prendre la succession comme alphabet du monde, commode pour l’action des hommes il ne peut rendre compte de l’intime. Le langage permet un monde commun, un monde de concepts et de choses qui est un monde d’objets – ce n’est pas le monde des consciences. Parler alors pour ne rien dire vraiment, pour éviter de se confronter au vertige du silence qui peut saisir les êtres, qui donne à entendre parfois plus que le discours. 

Le conflit
Dire je équivaut à reconnaître l’existence des autres consciences, en s’opposant on devient soi, en s’écartant du tous, du nous, nous devenons je. L’enfant fait d’abord l’expérience du général avant de trouver sa place, il parle de lui à la troisième personne du singulier avant de dire je : et ce changement est si remarquable qu’il ne revient jamais en arrière explique Kant. Un simple regard peut devenir une convocation des consciences, ne pas regarder autrui comme un objet mais faire l’expérience de l’humanité par le regard. « Si j’appréhende le regard je cesse de percevoir les yeux .. ce n’est jamais quand des yeux vous regardent qu’on peut les trouver beaux ou laids, qu’on peut remarquer leur couleur » énonce Sartre (L’Etre et le Néant). Mais ce regard est aussi le rappel de l’affrontement des consciences. Surpris par le regard d’autrui je suis gêné, « j’ai honte de ma liberté en tant qu’elle m’échappe pour devenir objet donné » (L’être et le Néant). A mon tour je fige celui que je regarde comme objet et je fais l’expérience de ma propre puissance. Il y a autour du regard une stratégie de l’opacité, se voiler le regard pour ne plus devenir la proie ou ne plus être le chasseur.
La sympathie
La sympathie, l’expérience de l’amour, de l’amitié, permettraient une communication plus claire des consciences. Ici se distingue l’amitié – cette philia grecque – de la simple camaraderie. Les camarades sont ceux qui partagent le même univers et œuvrent ensemble dans un but commun. Au contraire l’amitié est élective, elle suppose délibération et choix de la conscience. La camaraderie est externe alors que l’amitié est interne aux sujets. Il y a ainsi des formes de « contagion affective » lorsque je rentre dans un café je suis touché par l’ambiance des lieux, je peux ainsi être joyeux dans une fête par simple mimétisme, il y a ici une forme d’abdication de la personne qui est bien toute de convention. Lorsque la panique gagne la foule tout le monde s’enfuit, le mouvement de la foule est irréversible, il est comme un courant affectif. La sympathie est autre chose, il s’agit d’un mouvement, d’une direction de la conscience – elle transcende en ce sens l’affectivité : par la sympathie je puis connaître la souffrance mais non la partager. Je peux ainsi comprendre des émotions que je ne connais pas – la sympathie élargit mes horizons alors que la connaissance analogique est une  connaissance familière, restreinte. Lire dans un visage une candeur que je ne pouvais imaginer, dans un regard une haine intense. Découvrir le visage d’autrui comme une carte aux trésors, fondant émotivité et réceptivité et pourtant au cap des tempêtes de l’expérience humaine. 

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