Sartre, l’être
et le néant.
Première
partie « le problème du néant », chap. II « la mauvaise
foi », para. II « les conduites de mauvaise foi » - p. 90 à 104.
Biographie :
1905-1980. Romancier, dramaturge, critique
littéraire, philosophe. Fondateur de la revue «Les temps modernes »
en 1944.. Attribution en 1964 du prix Nobel qu’il refuse.
Toute sa philosophie va prendre l’orientation d’une
réflexion sur l’engagement et la responsabilité, sur la liberté et le choix,
sur l’identité et l’action. Ses choix personnels ne recouvrent que peu cette
dimension de l’engagement et de la résistance. Sa philosophie semble être une
tentative de rattrapage de sa vie, d’une culpabilité, d’une conscience de
n’avoir par agit au bon moment (au moment de l’occupation allemande sûrement),
d’où cette entrée en politique qui est parfois catastrophique dans ses choix –
adhésions et revirements, soutenir puis condamner – Sartre oscille souvent, se
déclare puis se rétracte, signe d’une intelligence toujours aux aguets, qui
vient saisir les événements et puis donne une orientation à sa
conscience ? Ou bien qui ne comprend pas assez vite, qui fonce dans
l’emballement révolutionnaire sans réfléchir assez ? Être incapable de
peser les signes, plus, refuser les
témoignages et les preuves ? Historiquement Sartre est sûrement une grande
figure du XXe siècle, celle de l’intellectuel engagé, d’un homme qui lutte – le
temps de l’évaluation de cette lutte n’est pas encore venu.
résumé doctrinal :
« Tout commence par la contingence » dit
Roquentin dans La Nausée, Sartre la nomme dans L’Être et le Néant
la facticité : la réduction au fait, à l’action, au phénomène. Rien
n’existe avant le fait, c’est la fin de l’illusion sur les autres mondes, sur
Dieu, pas d’autres vies pour se racheter : tout est « ici et
maintenant’.
On ne trouve de liberté qu’en situation, cette
situation est constituée des conditions et facteurs antérieurs. Mais cette liberté
se découvre dans un projet – le projet vient saisir la situation pour
l’informer cad pour l’accepter, la refuser, la modifier. Par mes projets je
puis aussi me mettre à distance de moi-même, mes choix renouvelés peuvent
fabriquer ma nature. Alors qu’une chose est toujours ce qu’elle sera, elle est
en conformité totale avec une essence donnée, l’homme existe (ek-sis-tere /
sortir de) cad échappe au monde des objets et des déterminations. L’homme est
toujours en dehors de lui-même, jamais au-delà.
Mes rapports avec autrui sont marqués par le sceau de
l’impossible, sans cesse tordus ces rapports empêchent d’accéder à autrui et à
moi-même autrement que comme conscience « nauséeuse ».
Pour échapper à cela reste la mauvaise foi qui me
permet d’adopter un rôle et une contenance, une consistance. Le refuge dans une
figure sociale permettant en même temps que le sérieux le comique. Dans ce
cadre « le salaud » est celui qui tente non pas seulement de devenir
une chose mais qui veut « chosifier » autrui – qui tente de réduire
autrui à une fonction, qui tente de nier sa liberté.
Il y a une opposition entre L’être et le néant
et la Critique de la raison dialectique :
EetN : l’homme est une « passion
inutile », un pour-soi dont l’aventure peut se solder par l’échec et la
mort. Il s’agit d’un livre sur la situation de l’homme seul, qui fait des choix
et qui doit les assumer, jusque dans l’erreur. C’est une analyse de la
conscience individuelle, une plongée dans ses situations.
CRD : l’homme est dans l’histoire, il est le
jouet de forces supérieures, quel est le poids d’un homme face aux
évènements ? l’autorité collective prend le pas sur l’autorité
individuelle.
Répertoire des
concepts :
Angoisse :
vertige devant les possibles, devant la liberté
Choix :
l’homme a toujours le choix, la responsabilité se porte vers moi dans le choix
de l’action mes aussi vers l’humanité toute entière au sens ou mon choix porte
avec lui tous les hommes. Choisir = accepter une responsabilité totale. Pb de
l’engagement et du désengagement.
Conscience :
« la conscience est l’être qui est ce qu’il n’est pas et qui n’est pas ce
qu’elle est », elle se trouve donc toujours dans un décalage, dans une
forme de non coïncidence à soi. Elle est le Pour-Soi, elle est
mouvement, déplacement, liberté.
Désespoir :
sans espoir au double sens : pas d’espérance du côté de Dieu (pas de
providence divine) et je ne peux espérer que de moi-même et pas des autres
hommes. Tout doit provenir de moi, d’où un sentiment de responsabilité
écrasant.
En-Soi : l’Être ou la chose,
l’identité, l’essence. Ce concept provient de Hegel il désigne pour lui le mode
d’être du réel sans extériorité, dans une intériorité qui refuse tout autre que
lui. Pour Sartre il est une tentation permanente de la conscience humaine qui
ne peut pourtant s’y fixer dans la mesure où elle est un pour-soi. L’En-soi est
aussi le reste de la pensée idéaliste.
Facticité : le donné qui s’impose, ma place, ma
situation, ma conscience. La facticité n’implique pas la notion de factice mais
uniquement celle du fait, du donné : la condition humaine se déf. par le
fait.
Liberté : elle vient définir l’homme, elle est notre
seule identité qui paradoxalement est de ne pas en avoir, de se trouver sans
cesse à apparaître sans trouver un être de cet apparaître.
Mauvaise-foi :
faire comme si quoi que ce fusse mettait imposé, se vivre sous le mode d’être
de la chose alors que comme homme/femme on échappe à toute détermination, se
vivre comme non libre. Vouloir adopter une identité, ne plus vouloir se vivre
dans la liberté, dans l’indécision, dans le mouvement. La société préfère
déterminer des rôles, des identités, elle favorise la fixation dans une
fonction : il y a ainsi la danse de l’épicier ou celle du garçon de café
(95-96).
Pour-Soi : vient définir la conscience, le
pour-soi est un néant d’Être, une trouée ou une percée dans l’Être, il est une
fracture de l’Être, il empêche une détermination unique, une identité, une
fixation.
Il avait pour sens chez Hegel la façon d’être du
sujet, sa façon de refuser toute influence sur son mode d’être. Pour Sartre il
devient la marque du sujet humain en devenir, « du rien par quoi il y a
des choses », secrétant du néant le Pour-Soi est incapable de se fixer
dans un En-Soi qui lui demeure impossible à atteindre.
Regard : le regard d’autrui peut me
« chosifier », me rendre chose, me faire vivre comme une chose. Être
sous le feu du regard d’autrui
c’est vivre le duel des
consciences : « l’enfer c’est les autres » (Huis clos),
les consciences cherchent à s’asservir mutuellement ce qui rend impossible une
communication réelle. L’expression « l’enfer c’est les autres » = 1°)
il y a en l’autre le projet fondamental de ma réduire, de me néantiser. 2°) ce
sont les rapports qui sont mauvais, viciés ; non pas l’homme mais les
rapports qu’il entretien avec ses semblables.
Responsabilité :
le fait d’être responsable de tout et de tous. Cette responsabilité est le fait
de ma liberté, je ne peux y échapper elle prend la forme d’une contrainte,
« je suis condamné à être libre » d’où l’adoption d’une conduite de
mauvaise foi pour tenter d’oublier que suis libre et en même temps que je suis
toujours responsable.
Sincérité :
elle est d’abord peur de la liberté, elle exige d’autrui qu’il se dise
« en vérité », qu’il adopte donc une identité définitive, qu’il
accepte d’être une chose afin qu’il puisse se retourner vers lui
« souverainement » pour lui
redonner sa liberté, pour ne plus le traiter en chose. Dans l’ex. de Sartre
(p101) l’homosexuel doit dire qu’il est homosexuel afin qu’il puisse redevenir
libre. L’attaque portée par la sincérité vise directement la liberté, elle doit
elle-même devenir chose, elle doit prendre un contenu, devenir tel ou tel
attribut, se figer dans une identité comme l’est la chose – être homosexuel.
Cette identité est prise afin d’échapper au jugement moral de la société qui ne
peut accepter cette identité qu’à la condition qu’elle soit assumer dans sa
négativité par celui qui la porte : « on s’adresse à une conscience
pour lui demander, au nom de sa nature de conscience, de se détruire
radicalement comme conscience, en lui faisant espérer, par delà cette destruction,
une renaissance »(p.101).
Transcendance : désigne
l’extériorité, le fait que la conscience soit tendue vers l’extérieur, soit
vers un objet soit vers un projet (sa propre fin par exemple). Le fait que la
conscience se transcende elle-même cad tente d’échapper à ce qu’elle est comme
apparaître.
suite de l'analyse
C’est
précisément cette conscience qui vient s’engouffrer dans la matière pour
l’informer, pour lui donner un sens : pour lui donner une existence pour « nous ».
La matière se trouve alors en position « d’attente » ou plutôt de
suspend – elle ne tire son existence que d’une volonté externe et souveraine,
celle de l’homme. « L’éclairage » des raisons permet alors la
« manifestation » du rocher. Il ne peut « apparaître » que
pour une conscience et au-dedans d’un mouvement qui vient donner une impulsion
aux choses. Autrement dit le rocher ne peut apparaître comme phénomène qu’à
partir d’une libre décision d’un agent pensant qui forme avec ce rocher un
projet, s’il s’agit de la gravir alors il devient atout ou obstacle mais ces
attributs proviennent encore de « nous » et non des choses. La
manifestation d’un rocher est alors toute de résistance ou d’aide : mais
cela est encore un fait de ma volonté, c’est parce que je veux l’escalader ou
grimper dessus afin de profiter du paysage. Le rocher est sans vouloir, ce
n’est pas au rocher que je me heurte mais à mon vouloir, à une volonté qui
décide et met en place des moyens pour parvenir à ses fins. La neutralité de la
matière tient tout entièrement en cette absence de projets, seul l’homme est
capable de manifester sa liberté par une activité consciente qui le conduit à
s’engager dans l’avenir sous la forme d’une volonté de devenir ou de parvenir.
La destination même de la roche est technique, l’homme s’intéresse à
l’alpinisme et dès lors met en place des dispositifs techniques pour atteindre
ses fins, il y a bien un calcul et une intelligence des moyens afin de
transformer la nature, le monde qui est « ouvré » par l’homme :
le monde est à disposition de l’homme qui lui donne une identité et pour lequel
finalement il devient aide ou obstacle. Ce sont les « pics et les piolets,
les sentiers, la technique de l’ascension » qui donnent une identité à
cette roche qui entretien un rapport avec la technique de l’alpinisme :
soutenir un rapport – là se trouve la fonction de l’objet. L’objet se redouble
comme moyen en produisant une médiation de médiation, il est l’occasion de
trouver ma réalisation par la flexion de la matière.
Il y a
seulement une « brutalité » de la matière, elle est d’une pièce, sans
faille, sans aspérité, d’un bloc ; l’homme est pluriel, son identité sans
cesse se défait pour se reformer, il veut, renonce, espère. C’est la volonté de
l’homme qui est le cadre, troublant renversement, ce ne sont pas les choses qui
font le cadre mais c’est l’homme qui est le cadre. Le cadre c’est la grille de
références, elle vient déterminer ce que nous comprendrons du monde, mais cette
compréhension ne peut que passer par ce cadre qui forme un nouveau cadre, c’est
l’héritage des techniques. On comprend que les choses ne peuvent faire
« qu’à l’origine », avant l’intervention de l’homme, avant celle de
la conscience. Alors que la nature est du côté de « l’origine » nous
sommes du côté du « préalable », toute l’opération de la pensée vient
se glisser en cette nuance. Et ce cadre prend pour nom liberté, paradoxalement
encore la liberté la liberté n’est plus cet affranchissement des limites, des
cadres : elle est sa manifestation même. Vouloir ceci ou cela, c’est poser
un univers, un monde, c’est aussi choisir et donc limiter les champs de
l’action en proposant des solutions – pourtant c’est ainsi que se manifeste la
liberté humaine – quitter l’indistinction et la brutalité pour déterminer,
orienter, accéder. Ce cadre est celui des techniques et des fins, des moyens et
des fins : l’infini de notre volonté vient se heurter non pas à la matière
mais à la puissance d’une volonté qui se contente de vouloir sans se
donner les moyens de son efficacité dans le monde. Ce n’est jamais la
matière qui est « en cause » mais seulement le projet que je forme.
La faute est toujours de la volonté, ainsi « si le rocher se révèle trop
difficile à gravir » ce n’est pas par une qualité intrinsèque du rocher
mais par un défaut d’évaluation de mes propres forces, de ma technique
d’alpinisme ou encore du matériel qu j’utilise. La « révélation » du
rocher est toujours le miroir de les propres failles, d’un défaut du vouloir ou
d’un mal-vouloir. La liberté fabrique ses barreaux, ses limites amis elle tente
aussi de les monter à l’extérieur alors qu’elles sont le dedans de la volonté,
le mystère de la liberté étant justement en cette forme d’insatisfaction de
l’agent à pouvoir trouver la paix en un dedans de la liberté qui n’existe pas,
elle est mouvement et projection, elle est pure extériorité.
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